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CHAPITRE 6 : Accoucher avec une sage-femme pour réparer déceptions, blessures ou traumatismes

7.3 Le rapport au risque au cœur de la réflexion

7.3.2 L’insécurité : la sienne et celle d’autrui

Les femmes de ce sous-groupe sont caractérisées par une certaine insécurité liée à l’accouchement, leurs craintes se révélant facilement au cours des entretiens, leur confiance en leur capacité à accoucher est moins appuyée que pour les répondantes des autres groupes. Un besoin de se documenter, d’intellectualiser la naissance pour se sécuriser est très présent chez ces mères. Florence, sage-femme, souligne d’ailleurs cette insécurité chez certaines des familles suivies qui sont parfois moins au fait des particularités de la pratique des sages-femmes : « On a l’impression que l’accouchement, c’est un moment d’urgence dans notre société et qu’il faut absolument qu’un médecin soit là. Les femmes ne s’extraient pas de leur culture, leur conjoint aussi. Il faut les rencontrer, répondre à leurs besoins par rapport à ça. » (Florence) Certaines femmes, comme Rosemarie, portaient en elles des peurs plus ou moins grandes qu’elles ont dû affronter, entre autres par le biais de la relation de confiance avec la sage-femme et de la quête d’informations justes pour départager les risques réels des risques imaginaires. Ainsi, avant de connaître son conjoint, Rosemarie ne souhaitait pas avoir d’enfants, car elle avait une peur maladive de mourir en accouchant. La professeure de yoga de Rosemarie, qui la première a semé l’idée qu’il existe d’autres manières d’accoucher qui respectent la physiologie, de même que le livre d’Isabelle Brabant, Une naissance heureuse, l’ont aidé à passer outre cette crainte qui lui paraissait démesurée. Rosemarie a compris, au fil des semaines, que même si elle se préparait de façon maximale à son accouchement physiologique, une certaine portion de risque demeurait hors de son contrôle. Elle a dû travailler sur elle-même pour accepter cette éventualité : « […] quand on accouche naturellement – c’est ça que j’ai découvert –, tu as un travail à faire, toi, de préparation psychologique, mais ton travail arrête à un certain niveau que tu ne peux pas prendre en compte. S’il y a une décélération du cœur fœtal, même si tu t’es le plus préparée au monde, il n’y a pas de choix, il faut que le bébé sorte et ça peut finir en césarienne et c’est ça que j’aurais peur qu’il se passe. [Il faut] vraiment avoir une bonne préparation face aux imprévus » (Rosemarie).

D’autres mères vivent de l’anxiété à l’approche de l’accouchement en lien avec les histoires tristes ou difficiles entendues autour d’elles. Nombreuses sont les femmes à voir leur confiance diminuer en chute libre après avoir entendu des « histoires d’horreur ». Trois de ces copines de Laure

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ont eu, dans un espace-temps restreint, des césariennes pour cause de présentation du bébé par le siège. Ces histoires ont créé une angoisse chez Laure qui en a parlé avec sa sage-femme. Cette peur était tellement présente qu’elle a habité les premiers rendez-vous avec la sage-femme avant de s’estomper. Elle s’est vue rassurée par le fait qu’il existe des façons d’aider un bébé à se retourner, choses qui n’avaient pas été tentées par ses amies ayant eu un suivi en milieu hospitalier où l’on opte plus rapidement pour la césarienne. Laure voulait connaître toutes les alternatives possibles pour se rassurer. Autrement, elle se sentait en pleine confiance auprès des sages-femmes et au sein de la maison de naissance.

Chez certaines mères qui font le choix de la sage-femme, les appréhensions viennent de leur entourage, ce qui peut ébranler le sentiment de plénitude à l’approche de la naissance. Comme le mentionne Éloïse, une sage-femme répondante, les appréhensions de l’entourage génèrent du stress chez les mères, entre autres par le besoin de se justifier dans leurs choix :

Il y a beaucoup de parents qui vivent beaucoup de poids, de pression de leur entourage, de leur famille, de leurs amis, qui ne sont pas d’accord avec leur choix d’accouchement avec sage-femme et hors centre hospitalier. Ils vivent beaucoup de pression, de besoin de se justifier, d’expliquer… […] Une pression extérieure qui est plus difficile, qui les amène à nous poser des questions. […] On vit vraiment dans une culture du risque […] « Ah mais s’il arrive telle complication rare, est-ce que ta sage-femme, elle sait quoi faire? » (Éloïse)

Les mères de ce groupe trouvent plus difficile de gérer ces peurs de leurs proches, car elles sont elles- mêmes moins convaincues des capacités de leur corps à accoucher et se sentent donc plus facilement ébranlées par les commentaires. Par exemple, Lucie a dû expliquer à sa famille les différences entre le suivi sage-femme et le suivi médical courant. Pour elle, les questions auxquelles elle a fait face étaient davantage le fruit de l’ignorance que de la peur des risques, du moins en provenance de ses proches. Elle affirme toutefois que d’autres personnes ont été plus effrayantes dans leurs commentaires, mais qu’elle savait y faire face, car elle était bien renseignée sur les fondements de la pratique sage-femme : « C’est sûr j’ai du monde qui m’ont dit : “[…] moi, je ne serais pas game29!” ou bien “Moi, ma fille serait

morte si j’avais été en maison de naissance!” […] [Q]uand tu poses les questions sur qu’est-ce qui s’est passé, ben tu te rends compte qu’il n’y aurait pas eu de problèmes… […] [M]ême si c’était arrivé, elles [les sages-femmes] auraient fait exactement la même chose qu’à l’hôpital et l’enfant n’aurait pas été en danger » (Lucie). De son côté, Cassandre était personnellement très rassurée dans ses propres peurs par la formation des sages-femmes et le matériel présent au moment de l’accouchement en cas de difficulté. Elle a toutefois dû aider certaines personnes de son entourage à surmonter leurs craintes.

113 Elle croit que sa propre confiance envers ses sages-femmes et les diverses procédures que ces dernières maîtrisent aidait à faire passer son message à son entourage :

[J’ai entendu des commentaires comme] : « Et s’il arrive quelque chose? S’il y a une situation d’urgence? » […] À chaque fois je prenais le temps de leur expliquer pourquoi moi je n’avais pas peur. […] [J]e leur disais que les procédures d’urgence sont bien installées. Que de toute façon, des transferts d’urgence il y en a très peu, finalement, parce que c’est vu avant et que les sages-femmes sont bien formées pour bien cibler ces situations-là qui pourraient survenir [et elles] tenteraient de les éviter a priori ou pendant [l’accouchement]. Tout ça, ça me rassurait [et] j’essayais de les rassurer en même temps, de les convaincre. (Cassandre)

Heureusement, les peurs de Cassandre ne concernaient pas les risques pour elle ou pour son enfant, mais la douleur et son intensité comme cela a été développé précédemment. Laure a vécu une situation similaire, son entourage ne se gênant pas pour leur faire part, à son conjoint et elle, de leur marginalité suite à leur choix d’accoucher auprès d’une sage-femme. Qu’à cela ne tienne, l’important pour ces femmes, c’est d’avoir la liberté d’accoucher comme elles l’entendent, dans la position qu’elles souhaitent, selon leur scénario. Ainsi, pour Cheyney, les femmes qui acceptent de se mesurer aux préjugés de l’entourage à l’égard de l’accouchement hors du milieu hospitalier sont renseignées et font en quelque sorte une sortie publique, une affirmation de leur conviction à l’égard de la liberté des femmes de choisir en optant pour une sage-femme.