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Une douleur saine qui permet de transiter vers la maternité

CHAPITRE 6 : Accoucher avec une sage-femme pour réparer déceptions, blessures ou traumatismes

7.1 Le rapport au corps : bâtir sa confiance autour du choix éclairé

7.2.1 Une douleur saine qui permet de transiter vers la maternité

La douleur est partie intégrante de la transition vers la maternité pour les mères du groupe, elle marque l’évènement d’une façon toute particulière, permettant à la mère – et au partenaire – de mieux percevoir l’ampleur des responsabilités qui leur incombent maintenant que l’enfant est né. Alors que pour certaines femmes présentées précédemment, la douleur de l’accouchement était partie prenante d’une forme de rite de passage, ici il s’agit plutôt d’un marqueur soulignant la transition. Certaines mères, comme Rosemarie, remercient la douleur vécue puisqu’elle a permis de prendre réellement conscience du nouveau statut, ce qu’elle décrit comme le passage de l’état de femme enceinte à celui de mère. Elle exprime donc que la douleur des contractions est une douleur qui parle d’elle-même, qui est révélatrice : « […] je suis comme contente même que ça l’ait fait mal. Ce n’est pas rien là! Tu es une journée, sans responsabilités. […] C’est facile là. Le lendemain, en quelques secondes, tu as une responsabilité qui dépend juste de toi. C’est tellement une grosse transition dans la vie d’une personne que même s’il y avait la douleur, même si c’est une tempête accoucher, ben ce n’est pas grave. Je trouve qu’il faut cette tempête-là des fois, pour réaliser. » (Rosemarie) Il est intéressant de constater l’évolution dans la pensée de Rosemarie, car cette dernière affirmait, au début de sa grossesse, qu’elle n’avait pas vraiment d’idée sur la question de la médication lors de l’accouchement. C’est aussi le cas des autres mères du groupe qui ont développé leurs préférences

101 pour une naissance avec une sage-femme et ont accepté ce qui s’y rattachait d’emblée : l’absence de médication contre la douleur comme cela est d’usage dans la pratique des sages-femmes. Rosemarie n’était pas fermée à l’idée de prendre la péridurale et n’était pas du tout fermement ancrée dans ses convictions actuelles sur les bienfaits de l’accouchement physiologique. Valentino renchérit en disant que la période périnatale est propice à ce genre d’évolution de la pensée : « Grossesse et accouchement sont des moments féconds, favorisant une réorganisation psychique, pas seulement chez la primipare. À chaque grossesse la femme réinterroge sa place de femme, de mère, d’humain, son rapport au monde » (Valentino 2010 : 1023). La naissance d’un enfant et les nouvelles responsabilités qui s’y rattachent, évoquées par Rosemarie, ont une place importante dans cette réflexion sur la nouvelle place que prend la femme dans son environnement une fois qu’elle est devenue mère.

Pour toutes les mères du groupe, c’est impensable de comparer la douleur de l’accouchement à une autre : il n’en existe aucune de ce type. D’ailleurs, elles tiennent à souligner que même si elles ont accouché « naturellement », elles n’iraient pas pour autant se faire arracher une dent sans anesthésie, arguant que personne n’aime avoir mal pour aucune raison valable, classant ainsi l’accouchement comme une expérience très différente de leur façon de vivre la douleur habituellement. Marie-Soleil exprime que la douleur lors d’un accouchement est positive : « Oui ça fait mal, mais ce n’est pas négatif non plus. C’est une douleur qui est bien récompensée! […] Se faire mal pour se faire mal, ce n’est pas plaisant. Mais donner la vie, c’est d’autre chose » (Marie-Soleil). Marie-Soleil va jusqu’à dire que même si c’est « le calvaire à vivre » 27, donner la vie, c’est la plus belle chose qu’une

femme peut faire, écartant ainsi toutes comparaisons entre la douleur de l’accouchement et une quelconque autre blessure, tellement pour elle cet évènement est rempli de sens et d’émotions. Pour sa part, Lucie affirme, comme d’autres l’ont fait avant elle, que la douleur de l’accouchement n’a pas de comparable. C’est bien loin de celle ressentie lors d’une fracture par exemple. Malgré l’intensité ressentie, elle souhaitait vivre l’accouchement avec son bébé, se passer des actes médicaux et des médicaments afin de diminuer les impacts qui y sont reliés. Cette logique, Lucie a tenté de l’expliquer autour d’elle, mais certaines personnes de son entourage continuaient de lui demander : « Pourquoi veux-tu avoir mal? » Lucie est catégorique, elle ne voulait pas avoir mal, elle voulait simplement mettre au monde son enfant par ses propres moyens et la douleur vécue, elle la savait normale et saine, bien qu'elle était plus ou moins enthousiaste à l’idée de la vivre. D’ailleurs, elle explique bien toutes les sensations amplifiées et entremêlées vécues au moment d’une naissance qui font qu’elle aime l’expérience de l’accouchement, qu’elle qualifie de « magique » :

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[C’est] hyper intense, mais autant côté émotionnel que physique […] [T]out est fois milles! Toutes les sensations… autant […] la douleur ou […] quand la douleur s’en va, la sensation de bien-être qui venait avec ça et la sensation d’être hyper smooth28 l’émotion aussi de la naissance. Tout est accentué énormément. [Il n’y a] aucun autre moment que quand tu donnes naissance que tu revis […] quelque chose qui peut se comparer à ça. […] [J]’aime ça accoucher. Même mon premier accouchement que j’ai comme moins senti […], j’ai quand même aimé ça le rush d’émotions quand tu accueilles le bébé […]! […] C’est vraiment quelque chose quand [le bébé] sort. Ça brûle! [Rires.] Très fort! Je pense qu’on m’aurait mis un fer chauffé à blanc, que ça aurait été pareil! [Rires.] […] Mais en même temps, après ça, quand elle est sortie, c’était tellement… ouf! On dirait que c’était [terminé]. On dirait quasiment qu’instantanément tu passes de douleur fois un milliard à : “j’ai un bébé dans mes bras et il n’y a plus de douleur.” C’est […] magique. (Lucie)

En acceptant la douleur, en lui disant « Oui! » et en se concentrant sur chacune des contractions qu’elle associait à des vagues, sans penser à la suivante, Lucie a réussi ce qui lui apparaît comme un exploit. Elle s’est elle-même surprise et est très fière de sa réussite qu’elle conçoit comme sienne d’avoir mis au monde son dernier bébé de façon « naturelle ». Lucie témoigne de son accouchement non pas en des termes spirituels ou de partage d’une expérience féminine universelle, elle l’a vécu comme une sportive qui aurait réussi à se dépasser, à accepter la douleur et à gagner le grand prix… : un bébé! C’est Florence, sage-femme, qui évoquait cette analogie, comparant l’accouchement à un marathon dans lequel l’accomplissement et le découragement s’alternent, laissant place à la fierté de mettre au monde le bébé. Lucie accordait un sens aux douleurs des contractions – qu’elle considérait par ailleurs comme saines, normales. Pour elle, elle avait mal pour une bonne raison qui la rendait heureuse. Par conséquent, elle ne voulait pas que les douleurs cessent. L’important était de concentrer son attention non pas sur la douleur, mais sur la sensation de bien-être, d’apaisement lorsque la contraction s’estompait, tout en demeurant détendue, le corps en état de relaxation.

Pour Rosemarie, « [La naissance est] comme un rituel. » (Rosemarie) Selon elle, la douleur est une étape normale du processus de l’accouchement, car par sa gradation continue, elle la rapproche de son objectif; la naissance de son enfant. Cette direction qu’elle donne à la douleur permet, selon elle, aux femmes de la traverser :

Mais une fois que tu comprends […] que c’est un mal par lequel il faut que tu passes, dans le sens que c’est un mal qui monte, qui monte, qui monte, [que] plus qu’il fait mal, plus qu’il va descendre et, dans le fond, plus que ça veut dire que tu es proche de la fin et que quand ça finit tu n’as plus mal. Je pense que quand tu as compris ça, je pense que ça va mieux dans la tête. Je pense que les femmes ne sont pas assez au courant de ça. Je pense que si ça faisait plus le cheminement dans la tête des femmes, il y en aurait

28 Lucie utilise le terme anglophone « smooth » pour signifier combien elle se sentait détendue après la

contraction. Elle utilise le mot « rush » en faisant référence à une montée d’émotions, une grande vague de sensations.

103 peut-être plus aussi [d’accouchements physiologiques]. […] Je n’ai pas dit : « O.K., je m’en vais avoir de la douleur ce soir », j’ai juste choisi d’accoucher. (Rosemarie)

Elle utilise le contre-exemple des mères de son entourage qui ont eu une péridurale et qui pouvaient jouer aux cartes pendant le travail. Ces dernières étaient déçues que l’accouchement ne prenne pas les dimensions d’un évènement spécial. Rosemarie voulait vraiment que la naissance ne soit pas une banalité du quotidien. Pour Rosemarie, accoucher, ce n’est pas observer son corps travailler d’un point de vue plus extérieur. Ce que Rosemarie évoque correspond aux propos de Simonds et al. : « For many woman, that is the ideal situation: they can have essentially the same experience being offered their husbands – a chance to watch their baby being born. » (Simonds et al. 2007 : 62) Elle conçoit plutôt cela comme un évènement qui demande de l’implication de la part de la mère – et aussi du partenaire.