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CHAPITRE 6 : Accoucher avec une sage-femme pour réparer déceptions, blessures ou traumatismes

7.1 Le rapport au corps : bâtir sa confiance autour du choix éclairé

7.1.2 Autonomisation et prise de pouvoir

Comme le souligne Cheyney, la prise de pouvoir des femmes sur leur corps et leur expérience est le but ultime de chaque naissance pour les sages-femmes : « Empowerment is the expressed goal for each delivery, and midwives regard it as integral, and not secondary, to a “healthy mother and baby” » (Cheyney 2001a : 65). Les sages-femmes, en valorisant le choix éclairé, tendent à remettre le pouvoir entre les mains des femmes, à leur démontrer qu’elles sont maîtres sur leur corps, car c’est à elles de prendre les décisions les concernant. Florence explique d’ailleurs que comme sage-femme, l’autonomisation est au cœur de ses priorités : « Moi, ma conviction profonde, c’est que les femmes, les familles, ont intrinsèquement en eux tous les moyens, tous les outils pour prendre ces décisions-là. On veut les laisser aller. » (Florence)

D’ailleurs, pour Rosemarie, la pratique des sages-femmes, c’est beaucoup plus que l’accouchement physiologique, c’est aussi le fait qu’elles redonnent aux femmes et aux familles le pouvoir d’agir, de déterminer les options qui leur correspondent. C’est donc aussi cet aspect qu’elle souhaiterait voir se propager dans les familles au moment du suivi périnatal. Ces propos de Cheyney sur l’importance de la prise de décision consensuelle, qui s’appliqueraient aussi aux femmes qui

95 accouchent en maison de naissance, sont vrais pour les participantes rencontrées, dont Rosemarie : « Homebirthers deeply value shared decision-making with their midwives and partners and, as a result, often feel empowered to make knowledgeable choices about whether to use specific technologies and interventions. […] Alternative birthing knowledge that honors embodied and experiential ways of knowing and the co-construction of authoritative knowledge through informed consent allow woman to create new realities and value systems around childbirth. » (Cheyney 2011a : 62). Le fait de découvrir qu’il est possible d’avoir du pouvoir sur sa propre vie, de se sortir des décisions préétablies par le système de santé ou la majorité de la population permet de se repositionner face à ses propres valeurs et, de fil en aiguille, de prendre confiance en ce que certaines options que l’on croyait acquises peuvent en réalité être remises en question, que des alternatives existent.

En ce sens, lors de son dernier accouchement, Lucie s’est autorisée à écouter son corps, à faire ce qu’elle ressentait comme la meilleure chose à ce moment précis en termes de mouvements ou de sons, par exemple. Elle s’est placée dans les positions qui lui semblaient les plus adéquates, selon les sensations vécues dans son corps, sans que personne l’y oblige. C’est de cette façon que la poussée s’est finalement déroulée en position quatre pattes. Elle était libre de son corps plutôt qu’astreinte à des techniques standardisées comme la poussée en position gynécologique, les pieds dans les étriers, encore largement répandue en milieu hospitalier. Elle a vraiment eu l’impression d’être autonome dans son expérience d’accouchement, d’accoucher par elle-même plutôt que de se faire accoucher :

C’est clair que […] ça [accoucher physiologiquement] m’a donné confiance. J’ai découvert une force intérieure que je ne pensais pas avoir. Et à quel point le corps il fait tout, tout seul… [À] l’hôpital, comment ça se déroule, […] avec les gynécologues, c’est plus comme [se faire] accoucher25 je dirais. On a plus l’impression qu’on a besoin de

quelqu’un qui va vérifier, qui te dit quoi faire, à quel moment et tout ça. […] [Ç]a m’a comme fait réaliser à quel point on a besoin absolument de rien de ça, je veux dire… notre corps il sait tout ce qu’il a à faire! J’aurais pu être toute seule dans le bois, et ça aurait marché! [Rires.] […] Notre corps, il a toutes les hormones, la force qu’il faut pour le faire de lui-même, sans qu’on ait besoin de penser à rien. (Lucie)

Lucie démontre donc que les propos de Davis-Floyd et al. sont tout à fait pertinents ; son souhait était davantage qu’on prenne soin d’elle et qu’on la laisse déterminer sa propre expérience d’accouchement : « Granting that pregnancy and birth are physiological phenomena, […] midwives agree that midwifery does not consist of providing medical treatment but of providing care to a healthy

25 Il est d’intérêt de noter la similitude de la formule utilisée par la répondante, « se faire accoucher » et le

colloque qui a eu lieu à Montréal en 1981, parrainé par l’Association pour la santé publique du Québec, « Accoucher ou se faire accoucher : humanisation des soins en périnatalité ». Cet espace de parole a permis un plaidoyer en faveur des sages-femmes et la possibilité d’émettre des critiques à l’endroit du contrôle exercé par le corps médical sur la grossesse et l'accouchement (Cherniak 1981).

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woman. What is care to a healthy woman? One independent midwife says it is an attitude of accompanying a healthy birthing woman and not of instructing or educating her, nor of trying to manage her birth » (Davis-Floyd et al., 2009 : 226). Pour Lucie, il s’agit d’un savoir inné que celui d’accoucher, toutes les femmes le faisaient avant nous, donc il suffit d’avoir de prime abord une grande confiance en ses capacités. Elle souligne toutefois, qu’en son sens : « De nos jours, ça prend on dirait quelque chose de plus pour le faire [accoucher de façon physiologique]. Parce que… ce n’est pas la norme. » (Lucie) Elle est donc consciente de l’aspect marginal de son expérience. Ainsi, cette réussite, ce moment de grande puissance en tant que femme, lui a fait découvrir « sa force intérieure » et lui apparaît comme un élément de référence, lui offrant la possibilité d’y revenir en souvenir pour puiser le courage d’accomplir d’autres types de défis. Elle perçoit donc son expérience comme une réussite personnelle.

Cassandre aussi portait ce désir de sentir qu’on encourageait sa prise de pouvoir sur son corps, son expérience, lors de son accouchement. Elle souhaitait offrir un bon départ à ses bébés et c’est par l’accouchement avec une sage-femme qu’elle avait l’impression de répondre à ce désir. Pour elle, c’était naturel, confortable, d’être en maison de naissance ou à domicile et de s’éloigner des possibilités de médication contre la douleur, qu’elle avait l’impression qu’elle aurait demandée rapidement autrement. Elle avait envie d’être encouragée à prendre des initiatives face à l’accouchement, tel qu’énoncer son désir d’attraper son bébé dès sa sortie pour le porter sur elle ou encore être encouragée à envisager la douleur avec plus de calme : « Aaah! J’aurais donc voulu ça [attraper mon bébé à la sortie]! Et même à Timothée, au deuxième, j’aurais voulu! Ça faisait partie de mes souhaits, d’être aussi plus zen, plus en contrôle, pas affalée sur le lit et voir un peu plus ce qui se passe, aller vers le bébé » (Cassandre). Bien que les choses ne se soient pas déroulées exactement comme elle le souhaitait, elle a senti le soutien souhaité et le respect à l’égard de la façon dont les choses se déroulaient finalement.

Il est évident, pour Corinne aussi, à la lumière de son témoignage, que l’autonomisation des femmes et des familles la touche au plus haut point, ayant elle-même sentie qu’on outrepassait sa compétence de femme qui accouche, de mère, lors de son premier accouchement. Cela semble pour elle, toutefois, davantage une bataille individuelle que collective. Corinne explique, de façon similaire à Lucie, que considérant que ses attentes n’avaient pas été comblées lors de sa première grossesse, elle devait trouver les moyens pour vivre un accouchement satisfaisant pour cette seconde expérience :

Dans le fond, je me suis dit : « ça ne s’est pas passé comme je voulais la première fois, comment je pourrais faire pour que ça se passe [mieux]? » Ah oui, les sages-femmes respectent tout? Même que dans le fond elles vont au-delà de moi, comment je voyais [mes demandes pour l’accouchement]. Je me disais : « Ah ben, eux autres vont me

97 laisser faire! » C’était plus [parce que] je voulais sortir du médical, et je voulais… même que j’avais peur, j’avais des préjugés négatifs envers les sages-femmes parce que je me disais que je ne voulais pas non plus que ça soit trop grano… (Corinne)

C’est donc en s’informant sur ce service qu’elle en est venue à la conclusion que les sages- femmes étaient les femmes de la situation pour lui permettre de vivre un accouchement au cours duquel elle serait encouragée dans son autonomisation. La visite est venue corroborer l’idée, entraînant par le fait même son conjoint dans le projet. Une sage-femme, Simone, soutient que le choix doit d’abord venir des femmes, des familles :

Je suis là pour que les femmes aient le choix. Pour ne pas qu’il n’y ait qu’une seule façon de faire […] J’aime mieux que les femmes viennent aux soirées d’informations, posent toutes leurs questions et repartent en se disant « je trouve ça super un suivi avec une sage-femme, mais ce n’est pas pour moi » plutôt que de se dire que finalement ça va répondre à ses besoins pareils… Mais si je n’arrive pas à répondre à leurs besoins, leur expérience ne sera pas positive et moi c’est ça qui est important là-dedans. (Simone)

C’est d’ailleurs en rencontrant les sages-femmes que le conjoint de Corinne a été gagné par le projet de sa compagne. Ainsi, il lui a même proposé, avant qu’elle n’y pense, d’accoucher à domicile, projet qu’ils ont finalement accompli ensemble! Corinne souhaitait être très autonome lors de la naissance de son deuxième bébé : « J’avais ma position, je voulais accoucher dans le lit pour accueillir moi-même mon bébé avec mes mains et tout ça. » (Corinne). Entre autres, elle ne voulait pas être examinée par toucher vaginal, ce qui a été tout à fait respecté par ses sages-femmes. Elle souhaitait même que si un examen vaginal devait être fait en cours d’accouchement, le résultat du dit examen ne lui soit pas communiqué : « J’ai demandé [aux sages-femmes] de ne jamais m’examiner et j’ai dit que si jamais [elles se sentaient] obligées de m’examiner, je ne voulais pas le savoir. Même là, si vous me dites mettons : “Corinne, je vais te le dire, ça va t’encourager : tu es à 8 [centimètres de dilatation].” Non, ça ne m’encouragera pas, parce que la dernière fois ça m’a pris 6 heures […] Il n’y a aucun chiffre qui va me rassurer à moins d’être à 10 et un 10 certain, un vrai! » (Corinne) Pour elle, il s’agissait d’une demande d’importance, ayant été induite en erreur lors de son premier accouchement, entraînant une cascade d’interventions inutiles. Elle voulait donc que les gens autour d’elle croient en elle et l’encouragent en ce sens.

Être suivie par une sage-femme a permis à Marie-Soleil de prendre le contrôle sur son expérience d’accouchement et sur son propre corps, ce qu’elle a particulièrement apprécié. Jusqu’à la mi-vingtaine, Marie-Soleil ne voulait pas d’enfants : « Un corps étranger dans le mien, ça m’“écœurait” […] Tu fais grossir quelque chose dans toi […]! C’est “dégueulasse”! »26 (Marie-Soleil) Elle trouvait

l’idée même de la grossesse répugnante, comme si elle devait faire croître un « parasite » dans son

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propre corps, qui ainsi ne lui appartenait plus tout à fait, car elle devait le partager. L’accouchement, avec ce que ça implique comme impact sur le corps de la mère et la douleur engendrée par les contractions pour faire sortir « un corps étranger » lui semblait donc un réel film d’horreur. Dans la réalité, elle n’a pas particulièrement aimé être enceinte, se trouvant lourde et maladroite, insomniaque et endolorie. Elle n’avait qu’une hâte : que la grossesse tire à sa fin pour retrouver son corps et rencontrer son enfant. En ce sens, elle me livre qu’elle a spécialement aimé la sensation de liberté une fois le bébé sorti de son ventre, le sentiment d’accomplissement qui en découle : « L’accouchement, j’ai vraiment adoré ça! Autant que c’est douloureux… tu donnes la vie, là! Et quand il sort, quand tout sort, la délivrance… wouah! C’est le vide total, tu as la petite bête sur toi… c’est… je ne sais pas… c’est vraiment génial! Mon deuil que j’ai à faire, c’est vraiment de ça. De ne pas pouvoir redonner la vie. Naturellement comme ça, que c’est moi qui est en contrôle. Ben moi et lui… le bébé, on vit ça ensemble là! » (Marie-Soleil). Les émotions positives vécues à son dernier accouchement et émergeant de la possibilité offerte par les sages-femmes de réaliser son projet de naissance tel qu’elle l’avait imaginé lui ont permis d’apprécier la naissance de son bébé. Elle s’est même découvert l’envie de réitérer l’expérience, ce qui constitue une évolution marquée chez une femme qui percevait initialement la future mère comme un contenant pour un « corps étranger » : le bébé.