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Accoucher sans médication pour vivre pleinement et sans risques la naissance

CHAPITRE 6 : Accoucher avec une sage-femme pour réparer déceptions, blessures ou traumatismes

6.1.1 Accoucher sans médication pour vivre pleinement et sans risques la naissance

Pour Maude, Maryse, Hélène, Dominique et Annick, la douleur de l’accouchement – bien que vécue plus ou moins positivement selon chacune – était normale, elles ne souhaitaient pas l’évincer de l’expérience par le biais de la médication. Maude suggère la piste suivante qui semble correspondre à la pensée générale que j’ai relevé chez les répondantes en ce qui a trait au vécu de la douleur : « Moi j’ai mal, mon bébé a mal, on va le vivre ensemble. […] [P]lus je suis calme, plus je produis d’endorphines. […] [M]on bébé […], son seul moyen d’anesthésie lui c’est les endorphines que moi je produis […] » (Maude) Les endorphines sont des alliées de taille pendant le travail d’accouchement. Il s’agit d’opiacées (comme la morphine, par exemple), qui sont produites naturellement par le corps et libérées afin d’engourdir la douleur. Cela crée une impression « de planer » pour la maman (Brabant, 2001 : 186). C’est de cette sensation relaxante vécue par les mères qui n’ont pas recours à des options médicales de gestion de la douleur dont parle Maude et qui est aussi bénéfique pour le bébé qui vit de grands bouleversements au moment de l’accouchement. Maude hésite à parler ouvertement du sens qu’elle accorde au vécu de la douleur et à sa gestion naturelle, car elle a peur de blesser les femmes ayant eu recours à la médication et qui n’ont, de ce fait, pas pu offrir à leur enfant les avantages des hormones naturelles. Pour elle, la douleur est positive et a son utilité :

Mais moi, j’étais partie de l’idée que […] ce serait probablement la pire douleur de ma vie et que j’aurais envie de mourir, mais que ça durerait au pire 24 heures de temps et après ce serait fini, j’aurais mon bébé. […] [L]à je m’avance sur un terrain glissant – c’est vraiment quelque chose que j’ai occulté de mon discours – il y avait aussi […] tout le processus physiologique des endorphines pour le bébé. […] [C]’est quelque chose que j’ai vite éliminé de mon discours, parce que c’est pas nécessairement fin pour quelqu’un qui a eu une épidurale, mais n’empêche que […] je ne voulais pas abandonner mon bébé dans ce processus-là à moins que vraiment pour sa survie à lui, on ait besoin d’aller plus loin. (Maude)

Maryse livre aussi un témoignage teinté de notions scientifiques relatives aux hormones et au vécu de la douleur. Elle est consciente non seulement du travail des endorphines pour soulager la mère et l’enfant, mais elle est aussi à l'affût des risques multiples des analgésiques en cours de travail. Pour elle, l’accouchement est un évènement normal, avec lequel le corps de la femme est capable de composer :

Hum, ben il n’y a pas de romantisme dans cette sphère-là. Il n’y a pas pour moi de signification de vivre la douleur, non. Simplement, pour moi c’était naturel, ça faisait partie de la vie. Les femmes accouchent et le corps de la femme est faite pour accoucher, alors pourquoi la médication, quand […] on connaît les effets secondaires de

69 la médication, les effets sur le bébé, les effets sur la maman, etc.? De toute façon, j’ai peur des piqûres, donc moi la piqûre, déjà en partant, ça ne m’intéressait pas. Il y a aussi, dans mes lectures, ce qui est venu confirmer mon choix, c’est le fait que si […] par exemple on prenait une péridurale, ça venait entraver le travail physiologique du corps de la maman et du bébé […] par rapport aux hormones antidouleur qui pouvaient être libérées […] Et le fait que le bébé aussi soit soulagé par les hormones de la maman, il y avait aussi une question de prendre soin de son petit bébé pendant la naissance. (Maryse)

Ainsi, pour ces femmes qui avaient vécu une expérience précédente qu’elles ont perçue comme traumatisante, l’importance de ne pas abandonner leur bébé dans la naissance m’apparaît comme cruciale. Elles soulignent qu’elles souhaitaient soulager leur bébé par leurs propres hormones en plus d’évincer les risques rattachés à la médication. Spécialement pour celles qui ont été à l’hôpital précédemment, le fait de choisir une sage-femme m’apparaît donc comme une façon d’accoucher « autrement », donc physiologiquement, sans devoir se battre pour ne pas qu’on leur propose à tout moment les diverses méthodes médicales de gestion de la douleur. Elles recherchaient plutôt le soutien de personnes aptes à leur suggérer d’autres alternatives. Maryse témoigne d’ailleurs de sa difficulté à composer avec la douleur lors de son premier accouchement à l’hôpital, un environnement peu chaleureux selon elle, au sein duquel le personnel peu habitué à voir ce type de naissance était déstabilisé de sa motivation à accoucher « naturellement » dans un système où la péridurale prime.

Il m’est apparu que pour toutes les répondantes, la naissance de leur enfant était un grand moment qu’elles voulaient vivre pleinement et donc sans être dans le brouillard de la médication : « […] pour moi, c’était la logique naturelle des choses… Pour moi […] c’était vraiment un grand moment ; je voulais le vivre! » (Maude). Maryse fait référence à une « culture de la femme » pour désigner cette impression qu’un accouchement est un évènement normal de la vie des femmes : « Il y avait une question de vivre ça pleinement et c’est ça. C’était tout simplement. Un accouchement c’est fait comme ça et toutes les femmes l’ont fait avant nous. C’est une continuité, c’est la culture de la femme quoi » (Maryse).

Bien que ces dernières croient en l’intérêt d’un accouchement sans médications, il semble que la réaction de l’entourage à cet égard ne soit pas nécessairement positive. Les propos tenus sont similaires autour de ces femmes, parfois il s’agit d’une admiration sans bornes, mais généralement cela se rapproche davantage d’une impression de folie : « Bien l’idée générale là je résumerais ça par : “Euh… Pourquoi? Pourquoi tu voudrais souffrir comme ça alors qu’il y a des moyens de ne pas le sentir?” » (Hélène) Pour lui faire comprendre combien l’idée d’accoucher naturellement ne lui passerait pas par la tête, l’amie d’Annick lui a même dit avec humour : « Je ne suis pas une chèvre! Je ne vais pas accoucher comme une chèvre! » Je constate toutefois que les cinq femmes n’ont pas semblé incommodées par les propos tenus autour d’elles à ce sujet, se sentant assez en confiance avec leur

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décision de vivre un accouchement sans médication pour justifier leur préférence ou simplement laisser aller les commentaires.

6.1.2 Et si ce n’était pas de la douleur?

Dans ce groupe de femmes ayant vécu un accouchement difficile précédemment, deux m’ont livré un témoignage qui remet en cause l’idée que l’accouchement implique de la douleur. Ainsi, sans nier que les contractions sont puissantes et font vivre d’intenses sensations, elles remettent en question l’idée même qu’il s’agisse de douleur, dans le cas d’un accouchement normal. Elles optent plutôt pour des sensations vécues par la femme qui lui indiquent qu’elle vit un travail actif sain qui permettra la mise au monde d’un enfant. Cette vision des contractions a encouragé Maryse et Dominique à ne pas lutter contre les puissantes énergies de la naissance, mais à plutôt s’y laisser couler. Ces propos sont d’autant plus surprenants que les deux femmes ont vécu des accouchements difficiles précédemment qui auraient pu leur faire craindre davantage les contractions lors de l’accouchement subséquent, mais elles arrivent à faire la nuance entre les sensations attendues lors d’un accouchement qui se déroule physiologiquement et celles qui sont provoquées par des interventions inappropriées ou une complication.

En effet, comme le laisse entendre Maryse, les sensations de l’accouchement ne sont certes pas agréables, mais elles n’iront pas au-delà de ce qui est supportable et les vivre pleinement aura pour effet de faciliter l’accouchement et l’issue de celui-ci : la rencontre avec un bébé qui sera bien éveillé, car il ne sera pas assommé par la médication. Elle hésite à utiliser le terme « douleur », car elle ne considère pas que cela reflète bien la réalité, mais plutôt un manque dans notre vocabulaire pour exprimer une telle puissance du corps. Maryse aussi utilise donc les vagues un peu à la façon des anglophones, comme la sage-femme Ina May Gaskin (2012), qui disent rushes plutôt que contractions comme analogie pour parler des contractions et de la « douleur » vécue :

De la douleur?! Ben c’est parce que c’est quelque chose qu’on vit juste à l’accouchement. C’est vraiment une douleur ou on peut nommer ça autrement? Je ne sais pas. C’est que le mot douleur, c’est ce mot qui existe dans notre vocabulaire pour exprimer ce qui se passe là. Si on peut parler en images, là je parlerais d’un […] ouragan, et tu es sur un petit bateau et des fois tu as des super grosses vagues, tu te dis : « Mon dieu!! Ça y’est, je vais chavirer!! » Bien non, tu tiens la barre et comme ça fait déjà 12 heures que tu tiens la barre, tu es fatiguée et tu te demandes si celle-là tu vas passer au travers et tu les prends l’une après l’autre. À un moment donné, ça devient super intense, tu trembles, tu es sur l’adrénaline, tu ne sais pas si oui ou non, ça pousse et finalement oups, ça y’est! Et là tu attends, et ça revient, et à moment donné, ça devient calme. Le gros soleil. Tu as ton bébé dans tes bras. C’est comme ça que je le vois. (Maryse)

71 Dominique ne s’aventure pas trop à parler de la douleur en des termes crus, elle utilise plutôt les propos d’Isabelle Brabant (1987) parus dans son article Ne touchez pas à ma douleur : « Mon corps fait vraiment son travail. Et, je me souviens, à l’accouchement de Juliette […], j’avais lu Isabelle Brabant… je me répétais tout le temps “Touchez pas à ma douleur!”, “Touchez pas à ma douleur!” […] Et je le sais que c’est une vague, que ça va, ça revient, et j’adore accoucher, j’aime ça moi accoucher. » (Dominique) Pour Dominique, tout comme l’a dit Maryse précédemment, les contractions sont des vagues qui viennent et qui repartent. L’important pour ces femmes semble être de se sortir de leur tête pour vivre les sensations dans leur corps et leur laisser faire leur travail. La comparaison du travail d’accouchement avec des vagues, des sensations liées à l’eau, mais pouvant être extrêmement intenses me semble révélatrice de la façon de concevoir les contractions comme naturelles, mais pouvant autant être productrices que destructrices, selon la façon dont la mère les perçoit.