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CHAPITRE 6 : Accoucher avec une sage-femme pour réparer déceptions, blessures ou traumatismes

7.1 Le rapport au corps : bâtir sa confiance autour du choix éclairé

7.2.2 Un douleur positive, une douleur sensée

En plus d’être une douleur saine et nécessaire à l’arrivée du bébé, les sensations vécues au moment de l’accouchement sont perçues par plusieurs mères comme positives et porteuses de sens. Valentino souligne que selon la façon dont les individus perçoivent la douleur, celle-ci se module, elle est subjective et peut donc être positive : « En matière d’accouchement, les phénomènes mécaniques n’expliquent pas à eux seuls les douleurs que les femmes éprouvent. […] [T]oute douleur est subjective, c’est-à-dire éprouvée par un sujet au filtre de son histoire personnelle, familiale, sociale, de son groupe culturel et de son appartenance religieuse. […] Chaque parturiente produit une douleur qui lui appartient en propre. » (Valentino 2010 : 1019) Corinne, par exemple, souligne que le fait que la douleur de l’accouchement était porteuse de sens pour elle l’a aidé à la vivre, tout comme l’a mentionné Rosemarie. Parler à son bébé à naître lui faisait prendre conscience de la raison pour laquelle elle vivait ses puissantes sensations. De plus, le fait qu’une fin était envisageable était aussi un élément motivateur, à l’inverse d’une douleur émanant d’une blessure, par exemple :

Elle [la douleur] avait un sens et je savais qu’elle avait un début et une fin. Et je savais qu’au moment où ma douleur était à son pire, ça pouvait juste aller en descendant par après. […] [À] quelques reprises, quand j’avais des contractions, je disais : « Viens-t’en mon beau bébé. Maman est prête, maman t’attend! »Tandis que quand tu as mal et que tu ne sais pas pourquoi ou que tu as mal parce que tu t’es foulé une cheville… […] c’est juste frustrant. Tandis que là, tu n’as pas de frustration, tu as une douleur, elle est réelle la douleur, elle est intense, mais tu ne luttes pas contre. Elle a un sens et elle a une durée. (Corinne)

Marie-Soleil, de son côté, a énormément crié et fait des sons au cours de son accouchement, à un point tel qu’elle n’a plus eu de voix pour trois à quatre jours par la suite. Elle explique qu’elle n’en avait pas le choix, c’était un son guttural qui venait de très loin et l’aidait à moduler la puissance des

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sensations, à leur donner un sens. Les sons d’accouchement sont encouragés par les sages-femmes comme l’explique Cheyney : « Midwives encourage maternal vocalizations, termed “birth songs,” as a way of coping with the intense energy of contractions. Their support strategies tend to be ritualized as midwives recommend patterned, repetitive position changes, vocalizations, and movement in and out of the water » (Cheyney 2001a : 40). Par ces techniques personnelles de gestion de la douleur, Marie- Soleil arrivait à ne pas se sentir dépassée par les puissantes sensations et à conserver l’idée que celles-ci étaient nécessaires à mettre au monde son enfant. En ne se laissant pas envahir par les sensations, en gardant un certain « contrôle », elle pouvait continuer à croire que ce n’était pas qu’un déferlement de douleur trop intense à vivre, lui donnant envie de « quitter le navire », mais bien une douleur sensée et positive. Comme le relate Éloïse, une sage-femme répondante, la douleur des contractions éveille des émotions vives chez les mères : « Il y a beaucoup de femmes qui vont être amené dans des peurs qui viennent de très loin », comme cette mère dont elle se souvient qui disait haut et fort « Non! » à la douleur et qui finalement lui a révélé : « Oui, mais j’ai tellement peur d’être [mère]! » Les sages-femmes, en supportant différentes manières de composer avec la douleur et de comprendre son propre vécu de celle-ci, ont pris une place importante dans l’expérience de Marie- Soleil. D’ailleurs, lorsque son bébé est né, il criait avec autant de « rage de vivre » qu’elle-même l’avait fait en le mettant au monde. Marie-Soleil a pris chacune de ses contractions, une à la fois, jusqu’à un point où elle ne savait plus comment se positionner tellement l’intensité était élevée, mais réussissant tout de même à demeurer centrée sur sa respiration :

Moi je l’ai vraiment vécu… [minute par] minute, une à la fois. […] On vit cette contraction- là, on se repose un peu, on va vivre l’autre après. Ça ne sert à rien d’anticiper, ça ne sert à rien de penser à celle qui est passée. C’est sûr que tu as hâte que ça finisse, ce n’est pas le moment le plus plaisant de la vie, là, mais c’est sûr que j’essayais de les prendre le plus zen possible en respirant, en restant calme. […] [J]’essayais vraiment de canaliser mon énergie, […] et c’est sûr que j’avais l’expérience de plus, la zenitude de plus, aussi. J’avais fait des cours prénatals de yoga et j’ai adoré aussi l’approche qui était… la respiration, de rentrer dans le corps, de vivre notre douleur comme ça… Fait que ça, ça a aidé aussi. Et de les prendre une à la fois… parce que si tu te mets à paniquer, parce qu’elle, elle est l’enfer et que l’autre va être pire… (Marie-Soleil)

C’est en vivant l’accouchement pleinement, dans ses moments de douleur et d’extase que les mères qui choisissent d’accoucher physiologiquement y donnent du sens, même lorsque ce choix semble davantage porter sur l’appropriation individuelle de l’expérience plutôt que vers la philosophie d’humanisation de la naissance. II y a quelques générations derrière nous, l’accouchement était « un savoir expérientiel féminin, solidaire » comme le dit Rosemarie, maintenant, ce sont les médecins qui ont le pouvoir entre leurs mains, car ils ont les méthodes nécessaires pour abréger la douleur, celle-ci étant de moins en moins acceptée au sein de notre société : « On voit un peu, des fois, les médecins comme […] des dieux! On leur fait confiance et tout ça. On leur a mis ça [le domaine de

105 l’accouchement] entre les mains et aujourd’hui on n’aime plus ça, la souffrance. C’est super mal vu. Donc on veut toujours abréger les souffrances. Et peut-être qu’on croit moins en notre corps de femmes, nous les femmes. Je pense que c’est vraiment historique pourquoi on accouche de moins en moins naturel. » (Rosemarie) Laure, elle, voit la douleur de l’accouchement comme normale puisqu’elle est immémoriale. Elle est fière d’elle puisqu’elle se dit habituellement très douillette, mais ne croit pas qu’on doit valoriser à outrance ce que le corps des femmes est fait pour accomplir depuis toujours : « Oui ce n’est pas rien [accoucher « naturellement »], en même temps ce n’est pas si extraordinaire que ça, il y en a des milliers qui l’ont fait avant nous. Je ne suis quand même pas pour avoir une médaille! […] Aujourd’hui c’est comme super extraordinaire, mais reculons 60 ans… 50 ans, ils [les médecins] les endormaient, mais avant ça, [c’était une affaire de femmes]… » (Laure) Bien que normale, en plein cœur du travail d’accouchement, cette dite douleur a fait sentir Laure impuissante. Elle se sentait assaillie par une force extérieure, incontrôlable et impressionnante qui l’a obligée à puiser dans toutes les énergies qu’elle avait pour arriver à la traverser :

Ben je me suis sentie quand même faible. Je veux dire que tu es vraiment soumise à quelque chose de supérieur à toi. J’aurais bien beau dire que la douleur va faire progresser ton travail, mais tu es assaillie par ça, tu es emportée par ça. Mais en même temps, tu es comme forte à travers ça. […] Mais je pense que c’est ça, pendant l’accouchement, je me suis sentie comme impuissante, plus que faible. C’est ça, en même temps [tu te sens] impuissante, mais il faut que tu mobilises tout ce que tu as de force, donc en même temps tu es super forte à travers ça. Tu es comme impuissante par rapport à la situation, tu ne peux pas l’arrêter, la douleur… je vais recommencer dans trois heures à accoucher, je vais prendre une pause… (Laure)

Il est intéressant de noter que puisque les femmes de ce groupe sont des personnes en contrôle de leur vie, cette notion d’impuissance semble les déstabiliser, comme si ce sentiment était une expérience peu commune dans leur vie. Elles ont souhaité détailler leur plan de naissance selon leurs souhaits, mais constatent tout de même que certains éléments sont hors de leur contrôle, comme c’est le cas de la douleur des contractions.

7.2.3 L’intensité qui submerge et la peur de ne pas « réussir » l’accouchement sans