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CHAPITRE 6 : Accoucher avec une sage-femme pour réparer déceptions, blessures ou traumatismes

6.1.3 Lorsque la douleur est vécue négativement

Alors que pour Maryse et Dominique, la douleur des contractions aurait pu porter un autre nom qui aurait plutôt fait écho à l’intensité, Annick a vu sa douleur prendre la forme de la souffrance. Comme le relate cette sage-femme participante, l’interprétation des sensations vécues lors de l’accouchement demeure propre à chaque femme :

La douleur, c’est comme si elle était partout. Souvent, elle est physique, mais en même temps, elle est tellement dans le cœur et dans la tête aussi. C’est dur de savoir, c’est où qu’elle prend le plus de place, d’où elle part. Ça change tellement d’une femme à l’autre. […] [I]l y a des femmes qui nous disent : « je n’utiliserais pas le mot douleur pour mes contractions, pour mon accouchement. C’est des sensations intenses, mais ce n’est pas de la douleur. » Et au contraire, des femmes qui vont aller jusqu’à nous parler de la souffrance, qui vont aller au-delà de la douleur, dans la souffrance. Pour moi, ça fait encore partie du mystère. […] Je vois beaucoup mon rôle dans le « être là, être témoin, tenir la main ». Être là pour dire que oui la vie c’est intense, c’est dur et c’est « trash »18

et des fois c’est doux, et que la vie, c’est tout ça à la fois et que c’est correct. » (Éloïse)

Annick a été fortement marquée par l’intensité de la douleur lors de son premier accouchement et il s’agit de la raison pour laquelle, celui-ci apparaît comme traumatisant pour elle. Certes, elle a été chercher l’accompagnement d’une sage-femme pour mieux vivre son second accouchement, lors duquel elle voulait être écoutée, accompagnée dans son vécu intense des contractions, mais pour Annick, il m’apparaît évident qu’accoucher est un mauvais moment à passer, ses motivations à ne pas vouloir de médication ne sont pas aussi claires que pour les autres femmes.

Annick n’avait pas cette confiance naturelle en ses capacités de femme à accoucher, bien qu’elle souhaitait le faire naturellement dès son premier enfant, pour des raisons qui demeurent

18 Éloïse utilise le terme « trash » pour exprimer combien la vie parfois peut être effrayante, pénible et

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toutefois peu définies. Son témoignage m’a fait ressentir qu’elle n’a pas eu le support dont elle aurait pu bénéficier lors de son premier accouchement, se qualifiant elle-même d’« hystérique » lorsqu’elle relate la manière dont elle a vécu cet accouchement sans médication, mais dans lequel elle sentait très peu de prise de pouvoir sur son expérience. Elle n’a rien à redire sur l’équipe médicale qui l’entourait, toutefois. Annick dit qu’elle ne garde pas un bon souvenir de cette naissance, l’entraînant même dans une crainte sincère de devoir accoucher un jour à nouveau. Elle a mis du temps avant d’avoir un second enfant par peur de devoir passer par cette « épreuve » à nouveau :

Douze heures de douleur! Atroces! Mais avec le recul, j’ai eu mon premier fils, j’avais 19 ans et je pense que je n’étais pas ni physiquement ni mentalement prête pour ça. […] C’est ça, ç'a été 12 heures et demie de douleur, de cris. Je hurlais! J’étais complètement hystérique. […] Ce n’est pas pour rien qu’il y a huit ans entre mes deux enfants. Il y a eu au moins 5 ans où c’était hors de question que j’accouche de nouveau. Longtemps j’ai dit : « tant que les césariennes ne seront pas volontaires, oubliez-moi, je ne r’accoucherai pas! » (Annick)

Pour Annick, l’accouchement physiologique n’était pas primordial, mais semble davantage être un élément indissociable du suivi sage-femme dont elle souhaitait bénéficier. Cette tendance semble prendre de plus en plus d’ampleur dans la clientèle des maisons de naissance comme le soulignent Éloïse, Simone et Pascale, sages-femmes. Annick spécifie d’ailleurs, contrairement aux quatre autres femmes, qu’elle ne voit aucun problème à la médicalisation croissante des accouchements, créant ainsi une nette démarcation avec les autres répondantes dans son discours face aux pratiques en périnatalité. Annick a une vision différente de son vécu, mais qui rallie aussi les propos des autres mères. Pour elle, si son aïeule a réussi à accoucher sans médication à de nombreuses reprises, elle le peut elle aussi : « Ma grand-mère a eu treize [enfants] sans avoir d’épidurale, je dois bien être capable d’en avoir un. Et après, ben j’en ai eu un sans épidurale, je dois bien être capable d’en avoir deux. Et là je me suis encore dit : “faut être un peu ‘colonne’19 pour avoir

envie de souffrir”. Tu pourrais te gâter rendu au troisième et y aller avec l’épidurale, mais là ça voulait dire pas de maison de naissance. Mais après deux, on est capable pour trois, allons-y! » (Annick) Annick trouve tellement difficiles les douleurs de la naissance, que si elle le pouvait, elle éviterait l’étape de l’accouchement, mais elle sait cela irréaliste et se motive en pensant aux autres femmes qui l’ont vécu avant elle. Elle ne comprend pas tout à fait ce qui la pousse à vouloir vivre à nouveau un accouchement sans médication, une péridurale pour la naissance de son futur bébé serait en quelque sorte un cadeau qu’elle s’offrirait. Elle résume d’ailleurs le moment de l’accouchement par les deux mots suivants : « Douleur et déchéance », évoquant sans détour le fait qu’il s’agit bel et bien d’une épreuve pour elle, mais que c’est en s’outillant de la présence et du réconfort des sages-femmes

73 qu’elle se sait le plus apte à y arriver. Elle nous livre une portion de son discours intérieur au moment de l’accouchement en ces termes : « J’aimerais tellement ça me dire : “Ah c’est le plus bel évènement de ma vie, donner la vie!” Mais là, non. Pas de papillons ni de licornes dans mon cas, même si le deuxième a mieux été. Il restait que j’étais assise sur la toilette et que je faisais : “O.K.! O.K! Ça va finir par passer, ça va finir par passer! Ça ne va pas durer toute la vie, ça ne va pas durer toute la vie!” C’était plus ça… » (Annick)

Hélène aussi doit travailler fort sur elle-même pour accepter la douleur. Elle dit avoir réellement envie de mourir pendant les contractions : « Moi, rendue à 8 [centimètres de dilatation], je veux l’euthanasie, je veux une carabine! Aidez-moi quelqu’un! Mais là, […] de 3 cm jusqu’à tant qu’elle naisse, là, dans ma tête [je ressentais la douleur comme quand] j’étais à 8 et je voulais quelque chose, de la morphine… Je […] veux mourir à chaque fois. » (Hélène) Même les encouragements des gens qui l’accompagnent ne suffisent pas à lui faire croire, sur le moment, qu’elle y arrivera. Elle en vient à remettre en question son choix d’être dans une maison de naissance sans possibilité de péridurale même si elle est réellement convaincue des bénéfices de la naissance physiologique. Le fait de se parler et de réciter des paroles rassurantes lui fait du bien, la présence de gens attentionnés aussi, car sinon l’accouchement aurait pu prendre une tournure plus négative.