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Le rôle de l'État québécois face à la concentration de la presse : analyse des positions présentées lors des commissions parlementaires de 1969 et 2001

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LE ROLE DE L’ÉTAT QUEBECOIS FACE A LA CONCENTRATION DE LA PRESSE Analyse des positions présentées lors des commissions parlementaires de 1969et 2001

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en communication publique

pour l’obtention du grade de Maître ès arts (M.A.)

DÉPARTEMENT D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2013

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Résumé

L’industrie des médias a fait l’objet, au Québec, de multiples consultations sous des formes diverses depuis les années 1960. Cette recherche examine plus particulièrement une forme de consultation qui a prévalu à deux reprises, en 1969 et en 2001 - la commission parlementaire - et compare les mémoires soumis par des agents sociaux en les étudiant comme des discours politiques et en analysant leurs catégories d’arguments. Les thèmes récurrents permettent de classer en trois types les arguments utilisés : démocratiques, économiques et professionnels. La question du rôle de l’État se trouve au cœur des préoccupations de tous les auteurs des mémoires, journalistes, grands groupes de presse et entreprises de presse indépendantes ou communautaires. Ainsi, les opinions s’alignent-elles soit sur une version républicaine soit sur une version libérale du rôle de l’État et du fonctionnement des médias. Au final, on constatera que l’État se garde bien de trancher et d’agir et on se demandera si la commission parlementaire peut être un lieu propice aux échanges sur ces questions de société essentielles.

Abstract

The media industry was scrutinized in Quebec by multiple consultations under diverse forms since the 1960s. This research examines particularly a type of consultation, which prevailed twice, in 1969 and in 2001 - the parliamentary commission - and compares reports submitted by social agents by studying them as political speeches and by analyzing their categories of arguments. The recurring themes are classified in three types of arguments: democratic, economic and professional. At the core of concerns for all, journalists, big publishing conglomerates and independent or community press companies is the role of the State. Thus, opinions fall into line either with a republican version or with a liberal version of the role of the State and the economy of the media. In the end, we shall notice that the state is unwilling to take action and we speculate if the parliamentary commission is an adequate forum for democratic discussions on these issues.

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Avant-propos

Pour réaliser ce projet de mémoire de maîtrise, j’ai pu compter sur les compétences, la confiance et l’appui fidèle de femmes que je tiens à remercier chaleureusement. Un immense merci à Colette Brin, ma directrice, qui a fait preuve d’une grande générosité dans son accompagnement sans faille, ses justes commentaires et ses conseils avisés. Un merci tout particulier à Dominique Payette qui m’a convaincue d’entreprendre cette aventure et m’a permis de travailler avec elle au Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec. Cette expérience unique a considérablement enrichi mes réflexions et ma connaissance du milieu de la presse québécoise.

Je souhaite aussi remercier celles et ceux qui m’ont ouvert les portes de l’enseignement en m’accordant des charges de cours et celles de la recherche en m’accueillant dans leur équipe, plus particulièrement les professeures Isabelle Gusse, Nicole Gallant et Isabelle Clerc. J’y ai découvert de nouvelles possibilités emballantes au plan professionnel et académique. Je remercie aussi le Centre d’études sur les médias et le Consortium canadien de recherche sur les médias pour l’attribution d’une bourse de recherche. Enfin, je suis très reconnaissante à ma famille, mes amis et mes copines qui m’ont encouragée tout au long de ces années.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... ii

Abstract ... ii

Avant-propos ... iii

Introduction ... 1

CHAPITRE 1 : Deux commissions parlementaires sur la presse québécoise ... 4

1.1 De 1969 à 1973 : une première au Québec ... 4

1.2 Mai 2001 : une nouvelle consultation sur la concentration ... 9

1.3 Questions générales de recherche ... 13

CHAPITRE 2 : L’apport critique de l’économie politique des médias ... 14

2.1 Perspectives politiques : les médias et la démocratie ... 17

2.1.1 Garantir la liberté de la presse : deux conceptions de la légitimité de l’État ... 17

2.1.2 Deux façons de définir le pluralisme de la presse ... 20

2.1.3 La doctrine de la responsabilité sociale des médias ... 23

2.2 Perspectives économiques ... 27

2.2.1 Le marché comme mode de régulation ... 29

2.2.2 La financiarisation de la presse : un nouveau modèle d’affaires ... 30

2.2.2.1 Le temps des financiers ... 31

2.2.3 Un modèle théorique : l’hyperconcurrence ... 33

2.3 Perspectives professionnelles ... 35

2.3.1 L’objectivité de la presse et l’identité professionnelle du journaliste ... 35

2.3.2 Libéralisme économique et objectivité de la presse ... 36

2.3.3 L’objectivité de la presse : une stratégie organisationnelle ... 37

CHAPITRE 3 : Méthodologie ... 39

3.1 Les mémoires étudiés comme des discours politiques ... 42

3.2 Corpus d’analyse ... 42

3.3 Une grille d’analyse thématique ... 43

3.3.1 Description des catégories d’intervenants ... 44

3.3.1.1 Commentaires sur les intervenants aux deux consultations ... 45

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3.3.1.3 Les entreprises de presse ... 47

3.3.1.4 Les organisations citoyennes et culturelles, les syndicats non journalistiques et les citoyens ... 48

3.3.1.5 Une exception : le Conseil de presse du Québec ... 48

3.3.2 Description des trois catégories d’arguments ... 48

3.3.2.1 Les arguments démocratiques ... 49

3.3.2.2 Les arguments économiques ... 49

3.3.2.3 Les arguments professionnels ... 50

Chapitre 4 : Résultats de l’analyse ... 51

4.1 Quelques thèmes récurrents ... 51

4.1.1 L’État est justifié de réfléchir aux enjeux de la concentration de la presse ... 51

4.1.2 Un climat général de doute pour les tenants de l’intervention publique ... 52

4.1.3 Une situation à documenter ... 54

4.2 Les arguments démocratiques ... 55

4.2.1 L’information comme un service public ... 57

4.2.2 Un rempart contre les influences économiques et politiques ... 58

4.2.3 D’autres pays l’ont fait : pourquoi pas nous? ... 59

4.2.4 Des moyens pour contrer d’éventuels effets négatifs de la concentration ... 60

4.2.5 Un objectif plus vaste : protéger la diversité culturelle ... 62

4.3 Les arguments économiques ... 63

4.3.1 L’inévitabilité de la concentration de la propriété de la presse ... 65

4.3.2 Le problème de la concentration de la propriété des médias ... 66

4.3.3 « Aider sans asservir » ... 69

4.3.4 Au nom du nationalisme économique ... 70

4.4 Les arguments professionnels ... 73

4.4.1 La syndicalisation des journalistes ... 74

4.4.2 Le contrôle de l’information ... 76

4.4.3 Méfiance des journalistes par rapport à leurs patrons ... 78

4.4.4 Craintes pour la profession de journaliste ... 79

4.5 Interprétation de l’analyse ... 81

(6)

4.5.2 Les entreprises de presse sont divisées ... 85

4.5.2.1 Les groupes de presse « justifient et rassurent » ... 85

4.5.2.2 Les entreprises indépendantes et communautaires demandent de l’aide ... 88

4.5.3 Les organisations non journalistiques s’alarment et revendiquent ... 91

4.5.4 Le Conseil de presse demande des engagements ... 95

4.6 L’influence d’éléments conjoncturels ... 97

4.7 Discussion ... 98

4.7.1 Les limites des commissions parlementaires? ... 98

Conclusion ... 103

BIBLIOGRAPHIE ... 106

(7)

INTRODUCTION

Au moment d’entreprendre ce projet de mémoire, nos premières interrogations étaient plutôt d’ordre social que théorique : comment comprendre l’absence de mesures spécifiques pour protéger la presse des effets potentiellement négatifs de la forte concentration de la propriété des médias au Québec ? Une question bien intéressante, mais à laquelle il est pratiquement impossible de répondre de manière satisfaisante tant les circonstances sont changeantes et les explications potentielles nombreuses. Nous avons alors opté pour une autre façon d’aborder ce sujet, une question qui porte plus précisément sur la teneur des débats : qu’ont dit les principaux intervenants quand l’État québécois a sollicité leur avis sur la concentration de la propriété de la presse ?

La question de la concentration de la propriété de la presse comporte différents volets. Elle représente un enjeu de communication publique certes social, mais également théorique. Le lien entre ces deux dimensions est au cœur de la problématique qui nous occupe dans le cadre de ce projet de mémoire. Au plan social et politique, les enjeux liés à la concentration des entreprises de presse et à la diversité des voix médiatiques ont fait l’objet de nombreuses recherches, d’études, de commissions et de rapports au Québec et au Canada dès les années 1920 avec le rapport Baird (1928) qui conseille au gouvernement fédéral la mise sur pied d’un réseau public et national de radiodiffusion. Au fil des ans, les différents responsables de ces travaux sur la presse ont promu l’idée d’une intervention des pouvoirs publics dans le milieu de la presse au pays notamment par la création d’un radiodiffuseur public, Radio-Canada en 1936, et par la mise sur pied du Conseil de radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en 1968. Ils ont aussi très souvent plaidé pour une régulation publique de la presse pour limiter la concentration de la propriété des médias et pour la mise sur pied de mesures de soutien à la presse afin de garantir le pluralisme des voix médiatiques au Québec et au Canada. Nous nous permettons d’utiliser quelques exemples pour démontrer la constance de cette position au fil des ans. En 1970, le Rapport du Comité sénatorial spécial sur les moyens de communication de masse, communément appelé le Rapport Davey, recommandait « la mise sur pied d’une Caisse

de prêts pour le développement des publications afin d’aider les nouveaux éditeurs sur le marché à parvenir à la rentabilité », afin « que la voix la plus forte d’une collectivité n’en devienne pas

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inévitablement la seule » (1970 : 290). La Commission Kent (1981) — la Commission royale

d'enquête sur les quotidiens — qualifiait le phénomène de la concentration de la propriété des médias de « monstrueux » : « la situation actuelle est tout à fait inacceptable dans une société

démocratique. Le pouvoir, et un pouvoir qui n'a aucun compte à rendre, est concentré dans trop peu de mains », concluait le rapport de la Commission Kent (1981 : 242). Le Comité-conseil sur

la qualité et la diversité de l’information au Québec préconisait pour sa part la mise sur pied d’un fonds d’aide à la presse indépendante dont « un des mandats serait de contribuer au démarrage

et au développement de médias écrits et électroniques en dehors des grands conglomérats financiers ». (2003 : 29) Or, ces recommandations qui appelaient à une intervention publique

pour réguler le milieu de la presse et protéger les plus petits médias contre le pouvoir des conglomérats, répétées à travers les années, sont restées sans suites.

Or, si les recommandations se ressemblent, les positions des acteurs ont-elles changé au fil des années ? Pour répondre à cette question, nous avons choisi d’étudier deux commissions parlementaires tenues au Québec en 1969 et en 2001. Nous avons analysé, dans le cadre de ce mémoire, la teneur des débats sur la concentration de la propriété et la responsabilité de l’État en cette matière à l’aide d’une proposition de typologie des arguments exprimés sur ces questions. Le contexte et l’histoire de ces deux commissions seront présentés dans le premier chapitre du mémoire. Nous avons choisi ces deux commissions parce qu’elles se sont toutes deux déroulées au Québec à 32 ans d’intervalle : l’une représente la toute première commission parlementaire sur le sujet au Québec et l’autre est la dernière à ce jour. Nos questions générales de recherche concluent ce premier chapitre.

Le chapitre 2 traite de l’apport de l’économie politique des médias pour appréhender, étudier et analyser le sujet de ce mémoire. Pour l’explorer, nous avons utilisé trois grandes perspectives, qui ont inspiré notre grille thématique : les perspectives démocratique, économique et professionnelle. Nous examinons les conceptions libérale et républicaine du rôle de l’État, de la liberté de la presse, du pluralisme et des différentes facettes de l’enjeu théorique de la concentration de la propriété des entreprises de presse dans les sociétés démocratiques. Le modèle théorique de l’hyperconcurrence dans le milieu de la presse (Charron et de Bonville, 2004) et l’influence de la doctrine de la responsabilité sociale des médias qui privilégie les

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mesures d’autorégulation de la presse (Bernier, 2004; Gingras, 2006; Saint-Jean, 2002) seront mises à contribution dans notre analyse.

Nous présentons, au chapitre 3, la méthodologie utilisée pour mener à bien notre projet de recherche. Nous y expliquons notre décision d’adopter une méthode qualitative d’analyse de discours — cohérente avec la perspective critique du mémoire — qui permet de mieux situer les différents acteurs dans leur contexte historique, social, politique et économique. Nous y décrivons aussi le corpus d’analyse et les différents éléments de notre grille d’analyse thématique composée de deux catégories principales : des catégories d’intervenants et des catégories d’arguments. Nous présentons les résultats et l’interprétation de notre analyse dans le chapitre 4. Notre proposition de typologie des arguments utilisés reprend les trois principales catégories identifiées : arguments démocratiques, économiques et professionnels. Notre interprétation de l’analyse porte pour sa part sur des distinctions entre les arguments des quatre groupes identifiés dans nos catégories d’intervenants : les journalistes, les entreprises de presse, les organisations non journalistiques et les citoyens et le Conseil de presse. Nous terminons ce quatrième chapitre par deux questionnements issus de nos résultats : la pertinence d’une structure comme une commission parlementaire pour permettre une discussion collective sur la concentration de la propriété de la presse et le silence relatif des citoyens dans ces débats.

Enfin, nous concluons ce mémoire de maîtrise en soumettant quelques pistes pour des recherches futures auxquelles ce travail de recherche ouvre modestement la voie.

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CHAPITRE 1 : DEUX COMMISSIONS PARLEMENTAIRES

SUR LA PRESSE QUÉBÉCOISE

En 2000, Claude Ryan, ancien directeur du quotidien Le Devoir et ancien ministre libéral, lance un pressant appel pour qu’une commission parlementaire analyse les effets de la vente des journaux d’Unimédia au groupe Power Corporation. Il écrit : « On a souvent dit ces jours

derniers que les circonstances ont beaucoup changé depuis 1974, alors qu'un premier ministre du Québec qui se préoccupait à l'époque de la liberté de la presse avait opposé une fin de non-recevoir au projet qu'avait conçu Paul Desmarais de se porter acquéreur du Soleil. » 1

Notre projet ne porte pas spécifiquement sur cette décision politique, ni sur ce qui y a mené. Toutefois, il nous semble que l’affirmation de M. Ryan illustre bien le questionnement à l’origine de ce mémoire : quels sont ces changements? Traduisent-ils une transformation de la conception du rôle de l’État en matière de liberté de presse au Québec?

L’analyse de deux moments importants où la concentration des entreprises de presse a fait l’objet d’une discussion publique au Québec permettra de mieux comprendre les transformations des arguments en faveur ou en défaveur d’une intervention de l’État québécois pour limiter la concentration de la propriété des entreprises de presse, pour protéger la diversité des médias ou pour assurer le droit du public à une information diversifiée et de qualité. Ces arguments s’appuient notamment sur différentes conceptions concernant le meilleur moyen d’assurer la production et la diffusion d’une information fiable et diversifiée — une composante essentielle et reconnue du bon fonctionnement démocratique — ainsi que sur la légitimité de l’État d’intervenir en ces matières.

1.1 De 1969 à 1973 : une première au Québec

Présentons le premier événement étudié par son dénouement : en 1974, le gouvernement libéral de Robert Bourassa empêche l’achat du journal Le Soleil de Québec par le groupe de Paul

1 Claude Ryan, « À qui doivent appartenir les journaux quotidiens?: Une commission parlementaire doit analyser la

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Desmarais, Power Corporation, déjà propriétaire de cinq quotidiens québécois. « Le premier

ministre Robert Bourassa s’y est opposé en disant que les deux plus grands quotidiens du Québec, La Presse et Le Soleil, ne pouvaient pas appartenir à la même personne, sauf en cas d’urgence » (Godin, 1981 : 158).

L’origine de cette position contre cette opération de concentration de la propriété des journaux remonte à sept ans plus tôt. Selon la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ, 1976), un malaise public se manifeste en 1967, au moment où les Journaux Trans-Canada — une corporation née en 1965 de l’association entre Paul Desmarais et Jacques Francoeur — achètent trois quotidiens importants : Le Nouvelliste de Trois-Rivières, La Tribune de Sherbrooke et La Presse (et ses filiales, l’hebdomadaire La Patrie et le poste de radio CKAC). « Contrairement aux autres transactions, qui n’avaient suscité que peu de réactions dans le

public et dans le monde de la presse, l’annonce de la vente de La Presse aux intérêts Desmarais suscite immédiatement un vif malaise », écrit la FPJQ dans son Historique de la concentration des entreprises de presse au Québec paru en 1976. Une situation inquiétante pour certains, dont

le directeur du quotidien indépendant Le Devoir Claude Ryan, qui craignent une revente de La

Presse à des intérêts étrangers. Cette crainte forcera une deuxième intervention du gouvernement

québécois sur la question de la propriété de La Presse. Le gouvernement de Daniel Johnson oblige le nouvel acquéreur à ne pas revendre le contrôle du quotidien sans l’autorisation de l’Assemblée nationale.2

Les débats reprennent à l’automne 1968, quand les Journaux Trans-Canada se portent acquéreurs de nombreux quotidiens et hebdomadaires : La Voix de l’Est, le Petit Journal, Photo Journal,

Dernière-Heure.

Dans un éditorial qu’il signe le 28 novembre 1968, Claude Ryan réitère son inquiétude : « Nul ne

souhaite une mainmise de l’État sur les entreprises de presse. Il appartient cependant à l’État de définir le cadre juridique dans lequel peuvent fleurir, à l’intérieur de ce secteur vital, une véritable liberté et un pluralisme efficace. Québec acceptera-t-il d’agir? » (FPJQ, 1976 : 7)

2 Rappelons qu’en 1961, l’Assemblée nationale du Québec avait adopté une loi spéciale qui interdisait la

vente du quotidien jusqu’en 1975. Cette loi spéciale s’inscrivait dans le cadre d’une querelle interne à la famille Berthiaume, alors propriétaire de La Presse.

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Le 5 décembre 1968, le député libéral de Gouin, Yves Michaud, qui avait exercé la profession de journaliste avant de devenir député, dépose un dossier substantiel sur la question et lance à son tour le débat lors d’une allocution sur le sujet de la concentration de la presse à l’Assemblée nationale :

N’est-il pas impensable qu’un peuple tout entier abandonne ses moyens d’information dans les mains d’une oligarchie despotique, d’une puissance plus grande que celle de l’État, d’une force éventuellement capable de contrecarrer les volontés des élus du peuple et de l’exécutif? (cité dans Godin, 1973 : 310)

Treize jours plus tard, « le gouvernement confie à une commission parlementaire le mandat de

dresser un portrait de santé de la liberté de la presse au Québec » (Godin, 1973 : 310). Il s’agit

de la première commission parlementaire québécoise consacrée à cet enjeu précis au Québec. Le 30 avril 1969, l’Assemblée nationale du Québec adopte la motion qui permet la création de la Commission parlementaire spéciale sur les problèmes de la liberté de la presse. Elle sera présidée par le député de l’Union nationale, Jean-Paul Cloutier :

Qu’un comité spécial de neuf membres soit institué avec le pouvoir d’entendre des témoins et de siéger après la prorogation pour faire un examen du problème de la liberté de la presse, des faits qui peuvent la mettre en danger, et d’examiner si les lois de la province en assurent la protection.

Que ledit comité fasse rapport à la Chambre au cours de la présente session.

Que MM. Bertrand, Bourassa, Cardinal, Cloutier, Laporte, Lesage, Maltais (Limoilou), Michaud et Sauvageau forment ledit comité. 3

(Rapport préliminaire, 1972 : 3)

La commission compte neuf membres, dont cinq députés de l’Union nationale et quatre du Parti libéral du Québec. On peut noter que deux d’entre eux ont pratiqué le journalisme avant de se lancer en politique : Yves Michaud et Pierre Laporte. Elle tiendra six séances publiques entre le 7

3 La liste exhaustive des membres de la commission est la suivante : Jean-Jacques Bertrand (Missisquoi,

Union nationale) ; Robert Bourassa (Mercier, Parti libéral) ; Jean-Guy Cardinal (Bagot, Union nationale) ; Jean-Paul Cloutier (Montmagny, Union nationale) ; Pierre Laporte (Chambly, Parti libéral) ; Jean Lesage (Louis-Hébert, Parti libéral) ; Armand Maltais (Limoilou, Union nationale) ; Yves Michaud (Gouin, Parti libéral) et Paul-Émile Sauvageau (Bourget, Union nationale).

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mai et le 10 septembre 19694. Elle recevra un total de 17 mémoires. Nous reviendrons sur le contenu de ces mémoires dans le chapitre 3. La commission a par ailleurs commandé plusieurs recherches et études : un rapport sur le monopole des moyens d’information, une analyse des deux commissions royales d’enquêtes sur la presse en Grande-Bretagne et un exposé sur le Conseil de presse britannique. D’autres documents plus courts sur les lois sur la presse à travers le monde ont aussi été fournis aux membres de la commission parlementaire.

Cette commission parlementaire n’aura que peu d’impacts réels en matière de législation précise ou de l’adoption de politiques publiques sur la question de la liberté de presse. Le Centre d’études sur les médias le souligne :

Peu d’écrits mentionnent les travaux de cette commission qui a siégé " de façon sporadique au cours des quatre années qui suivent ", selon la chronologie des événements liés à la concentration de la presse réalisée par la FPJQ. Diverses études sont commandées par cette commission, mais aucun rapport final ne sera produit. (Centre d’études sur les médias,

2001)

Dans le Rapport préliminaire sur les travaux de la Commission de 1969, on résume ainsi la contribution de cette commission à l’étude du phénomène de la liberté de presse au Québec :

On peut considérer le travail de la première commission d’abord comme un déblayage préliminaire de problèmes multiples et très complexes. C’était la première fois que l’on abordait l’étude de la liberté de presse au sein d’un comité parlementaire. (Rapport préliminaire, 1972 : 70)

Les auteurs de ce rapport préliminaire ajoutent que la Commission a permis d’identifier des éléments de solution aux problèmes de la concentration et les besoins de recherches subséquentes. En 1970, lors de son congrès annuel, la FPJQ déplore vivement que la commission présidée par Jean-Paul Cloutier n’ait pas terminé ses travaux. La dissolution de l’Assemblée nationale a en effet marqué la fin des travaux de la Commission parlementaire spéciale sur les problèmes de la liberté de presse sans qu’elle ait produit un rapport final ou même la moindre recommandation.

Les journalistes ne sont pas les seuls déçus par cette absence de résultat. Dans la lettre de novembre 1971 qui accompagne le mémoire des Hebdos du Canada, son président Fernand

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Berthiaume rappelle une correspondance datée du 5 juillet 1970 et destinée au premier ministre Robert Bourassa.

Il y a environ deux ans, l’Assemblée nationale avait formé une Commission parlementaire chargée de poursuivre une étude sur la Liberté de la Presse. Après avoir siégé à plusieurs reprises, cette commission semble avoir interrompu ses travaux. Comme nous considérons que le travail de cette commission est de première importance, notre association a adopté une résolution par laquelle elle vous prie de prendre les dispositions nécessaires pour que la commission poursuive ses travaux et les mène à terme. (Hebdos du Canada, 1971 : 1)

Ces appels sont entendus. En novembre 1970, le premier ministre Robert Bourassa annonce la reconstitution de la commission qui se nomme désormais la Commission parlementaire spéciale sur la liberté de presse. Son mandat est à la fois plus vaste et plus précis que celui de la première commission qui avait consacré l’essentiel de ses travaux à la question de la concentration de la propriété des entreprises de presse. Il porte sur l’étude de la liberté de presse en général, le droit du public à l’information et les exigences qui en découlent. Les auteurs du Rapport préliminaire

des travaux de la commission de 1969 expliquent ainsi la différence entre les deux mandats : Dans les faits, sinon dans les intentions, le mandat de la Commission en 1969 différait sensiblement de celui qui lui est présentement confié : son objet principal lui était dicté par les inquiétudes que suscitait le mouvement accéléré de concentration des entreprises dans le domaine de l’information. C’est ce qui explique qu’on se soit préoccupé au premier chef de ce problème et que les questions annexes relatives à la liberté de la presse aient été étudiées dans ce contexte. (Rapport préliminaire,

1972 : 4)

Cette deuxième phase de l’examen politique et public des enjeux de la liberté de presse, présidée cette fois par le député libéral Jacques Veilleux, soulèvera peu d’intérêt, comme le rappelle Claude Harmegnies dans son article sur les commissions parlementaires au Québec. Il indique que dès sa première séance de 22 juin 1972, les membres s’interrogent sur la faiblesse de la participation à ses travaux. Il ajoute que l’essentiel de son budget de 70 000 $ de 1972-1973 a été consacré à la recherche. « Treize personnes exposeront néanmoins leurs points de vue sur

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Nouvelle déception pour les personnes et les organisations qui ont participé à ces consultations. Le peu de résultats concrets fera dire à la FPJQ en 1976, au moment où elle dénonce plus ouvertement le niveau de concentration des entreprises et l’inaction du gouvernement :

Face à une situation aussi grave, et d’ailleurs prévue, le gouvernement du Québec se retrouve démuni, sans politique, ayant perdu par lâcheté ou par insouciance l’occasion qui s’offrait à lui depuis 1968 d’étudier le problème à fond et de mettre en place des mécanismes préservant la diversité nécessaire des organes d’information. (FPJQ, 1976 : 2)

1.2 Mai 2001 : une nouvelle consultation sur la concentration

Le début des années 2000 est marqué par de nouveaux mouvements de fusion et de concentration des entreprises de presse. Cette vague n’est pas propre au Québec, des événements semblables se succèdent au Canada et dans la plupart des pays occidentaux.

Mais au cours des derniers mois, et plus particulièrement depuis la transaction-modèle impliquant l’achat de Time Warner par America Online aux États-Unis, les fusions et acquisitions se sont multipliées au Canada. Le géant des télécommunications BCE a mis la main sur CTV, le premier réseau de télévision au pays, et s’est allié au groupe Thomson, qui détient le quotidien Globe and Mail, pour une mise en commun des ressources dans un conglomérat baptisé Bell Globemedia. Un autre grand groupe canadien, CanWest Global Communications, qui détient le réseau de télévision Global, a voulu s’assurer qu’il augmentait son contenu pour des fins de développement Internet en faisant l’acquisition des principaux journaux anglophones de Hollinger et en prenant une participation de 50 % dans le quotidien National Post. (Rapport de la

commission 2001 : 5)

Soulignons ici les deux principaux événements survenus au Québec à cette époque. Le Groupe Vidéotron est à vendre. Des appels au nationalisme économique québécois se multiplient au moment de l’annonce d’un possible achat par le câblodistributeur torontois Rogers Communication.

« L'annonce de la vente au groupe Rogers avait créé une onde de choc jusqu'à Québec. « J'aurais trouvé catastrophique que TVA soit contrôlée par Toronto et Rogers, dit Bernard Landry, qui était alors ministre des Finances. Ma réaction n'avait rien d'anormal. Le Québec est une nation,

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et aucune nation au monde n'aurait accepté que sa télé soit contrôlée par une autre nation. » 5

En septembre 2000, Quebecor6 — qui possède déjà deux importants quotidiens (Journal de

Montréal et Journal de Québec), près de la moitié des hebdomadaires publiés au Québec, des

imprimeries, des magazines et des maisons d’édition, des librairies et des magasins de disques — réussit à se porter acquéreur du Groupe Vidéotron et de TVA, le plus important réseau de télévision privée francophone au pays. Quebecor l’emporte grâce à un investissement de plus de 3 milliards de dollars de la Caisse de dépôt et placement du Québec, le plus grand investissement de son histoire. Le conglomérat québécois acquiert ainsi un réseau de câblodistribution, de télécommunication et des services Internet et bien sûr TVA, le plus important réseau privé québécois de télévision.

Deux mois plus tard, en novembre 2000, Gesca, la filiale de Power Corporation, annonce qu’elle achète les journaux d’Unimédia, propriétés du Groupe Hollinger. Gesca possédait déjà quatre quotidiens : La Presse, La Tribune, La Voix de l’Est et Le Nouvelliste. La transaction lui permet d’ajouter Le Soleil (Québec), Le Droit (Ottawa-Hull) et Le Quotidien (Chicoutimi). Grâce à cet achat, la part du tirage de la presse quotidienne francophone de Gesca passe à plus de 50 %. Au final, Gesca et Quebecor totalisent 97 % du tirage de la presse quotidienne au Québec (Rapport de la commission de 2001 : 6) Unimédia comptait aussi 15 hebdomadaires locaux et régionaux, revendus en janvier 2001 au Groupe Transcontinental qui partage alors le marché de la presse hebdomadaire avec Quebecor.

Les inquiétudes sur la concentration émergent de nouveau sur la place publique. Lors du congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec en 2000, Claude Ryan réclame un temps de réflexion collectif sur les nouveaux mouvements de concentration dans le milieu des médias québécois. Il s’inquiète particulièrement de la nouvelle concentration dans la presse écrite. Sa longue carrière dans la presse quotidienne le justifiant sans doute, il accorde un

5 Trudel, Jonathan. « Le coup de poker de Vidéotron». L’Actualité [En ligne]. 28 octobre 2010.

http://www.lactualite.com/economie/le-coup-de-poker-videotron. (Page consultée le 30 juillet 2011)

6 En mai 2012, le groupe Quebecor a décidé de changer la graphie de son appellation pour Québecor.

Toutefois comme les événements et les documents étudiés dans le cadre de ce mémoire précèdent cette décision, nous avons maintenu l’ancienne graphie utilisée jusqu’en 2012.

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statut tout particulier aux journaux quotidiens. Il leur attribue une vocation unique, caractérisée par quatre éléments principaux :

« - Ils sont quantitativement et qualitativement les plus importants producteurs d’information. Ils jouent un rôle indispensable dans la formation et la diffusion des opinions. Ils exercent un rôle important de leadership dans la vie quotidienne des communautés qu’ils desservent. En raison de leur propre mode d’expression, qui est l’imprimé, ils - détiennent des avantages qui, même à notre époque de rapides changements technologiques, semblent devoir leur conserver un rôle de premier plan dans la diffusion de l’information et la formation de l’opinion publique. » (Ryan in Le Devoir, 2001 : p. A7)

Pourtant, depuis déjà quelques décennies, la population québécoise se tourne majoritairement vers les médias électroniques pour s’informer. Déjà en 1972, la FPJQ écrivait : « Pourtant,

certaines statistiques révèlent que trois citoyens sur cinq s’informent principalement à la télévision. » (FPJQ, 1972 : 14). Les études ultérieures ont confirmé au fil des ans la

prédominance de la télévision comme première source d’information.7

Dans son allocution publiée dans le Devoir du 20 novembre 2000, Claude Ryan exprime le souhait que « la Commission parlementaire de la Culture et des Communications soit appelée à

se pencher sur le dossier des trois journaux d'Unimédia avant toute transaction devant entraîner un changement de propriétaire. » Cette position est appuyée par des organisations syndicales et

professionnelles, dont la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Rapidement, le gouvernement péquiste — qui avait signifié son appui à l’investissement de la Caisse de dépôt et placement dans Quebecor afin que l’entreprise puisse se porter acquéreur de Vidéotron et de TVA — mandate la Commission de la Culture pour qu’elle étudie l’état et les effets de la concentration de la presse au Québec. Trente-quatre personnes et organismes présentent un mémoire à la Commission en février et mars 2001. Le contenu de ces mémoires sera présenté dans notre chapitre 3. Cette consultation de la commission de la Culture, dont le mandat d’initiative s’intitule Les impacts des mouvements de propriété dans l’industrie des médias et des

télécommunications, sera présidée par Mathias Rioux, député péquiste de Matane. 8

7 Statistique Canada. 2008. http://www.statcan.gc.ca/pub/11-008-x/2006008/9610-fra.htm#2. (Page

consultée le 7 mai 2012)

(18)

En mai 2001, les membres de la Commission de la Culture se réunissent sous la présidence du député péquiste de Montmorency, Jean-François Simard, pour faire le bilan de la consultation de février et mars de cette même année. Leurs travaux se concluront par le dépôt d’un rapport adopté à l’unanimité en novembre 2001.

Ainsi, à la différence de la première commission étudiée, celle de 2001 a conclu ses travaux et produit un rapport final qui compte 14 recommandations. On peut lire en conclusion : « Ces

recommandations reconnaissent le principe de la liberté d’entreprise ainsi que le caractère d’utilité publique de l’information qui fait du journalisme une fonction démocratique fondamentale ne pouvant être laissée uniquement aux aléas de la logique marchande. »

(Commission de la culture 2001 : 45) Pourtant, il faut bien reconnaître que rien n’a été tenté par la suite par le gouvernement québécois pour contrer les effets de « la logique marchande » en matière de concentration des entreprises de presse dans la province.

Deux ans plus tard, la ministre de la Culture et des Communications, Diane Lemieux, confie à l’ancienne journaliste et professeure Armande Saint-Jean le mandat de mener les travaux d’un comité-conseil sur la qualité et la diversité de l’information. Elle remet son rapport de deux tomes en janvier 2003. Le comité propose une série de recommandations qui supposent des gestes politiques musclés, dont l’adoption d’une Loi sur l’information, la création d’un Conseil de l’information et l’adhésion obligatoire au Conseil de presse du Québec pour toutes les entreprises de presse (Comité-conseil sur la qualité et la diversité de l’information, 2003). Ces recommandations resteront elles aussi lettre morte.

L’accueil réservé au Rapport Saint-Jean rappelle celui qu’avait reçu en 1978 un projet de loi préparé sous la responsabilité du ministre des Communications du temps, Louis O’Neill. Le texte, mal accueilli par les journalistes, comme le rapport Saint-Jean aujourd’hui, suggérait d’imposer aux entreprises de presse, sacrées entreprises « d’intérêt public », «de diffuser une information honnête et complète de manière à respecter le droit du public à l’information [Sauvageau, 1980]. (Annuaire

du Québec, 2004 : 563)

Cusano (Viau) ; Line Beauchamp (Sauvé) ; François Beaulne (Marguerite-D’Youville) ; Jean-Paul Bergeron (Iberville) ; Marc Boulianne (Frontenac) ; Léandre Dion (Saint-Hyacinthe) ; Françoise Gauthier (Jonquière) (à compter du 18 octobre 2001) ; Jean-Sébastien Lamoureux (Anjou) (jusqu’au 25 septembre 2001) ; Pierre-Étienne Laporte (Outremont) et Lyse Leduc (Mille-Îles).

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Parmi les causes identifiées de cette absence de résultats, on note un rejet public et très rapide d’organisations influentes sur les questions de la presse comme la FPJQ et le changement de gouvernement à la suite de la victoire du Parti libéral, mené par Jean Charest, aux élections du 14 avril 2003.

1.3 Questions générales de recherche

Quels sont les arguments des principaux groupes d’intervenants sur la concentration de la propriété de la presse au Québec et le rôle de l’État en cette matière en 1969 et 2001? Existe-t-il des différences entre les deux époques étudiées? Lesquelles? Notre projet de recherche vise donc à examiner l’argumentation des différentes parties prenantes à ces consultations par l’analyse du contenu des mémoires et à comparer les positions des groupes d’acteurs concernés lors de la commission parlementaire de 1969 et celle de 2001.

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CHAPITRE 2 : L’APPORT CRITIQUE DE L’ÉCONOMIE

POLITIQUE DES MÉDIAS

Plusieurs théories et différentes approches permettent d’examiner la question du rôle des médias en démocratie, selon qu’il s’agisse d’observer les effets des médias sur la constitution de l’opinion publique et les comportements des individus ou encore l’analyse des pratiques professionnelles des journalistes. Parmi elles, l’économie politique des médias constitue une approche privilégiée pour analyser des phénomènes comme la concentration des entreprises de presse et le rôle des États dans l’organisation ou la régulation du système médiatique. Cette approche prend en compte la spécificité économique des médias (dont l’organisation du marché, la structure des coûts et leurs sources de financement), mais elle s’intéresse également aux fondements normatifs et aux enjeux politiques et sociaux généralement associés à la fonction particulière des médias en démocratie. Car s’ils répondent aux caractéristiques d’une industrie qui compose avec les lois économiques du marché, les médias ne sont pas pour autant des entreprises « comme les autres », ce que reconnaît l’économie politique des médias. La dualité (économie et politique) de l’approche permet donc de tenir compte des réalités économiques et des finalités sociales de la presse en général et du journalisme en particulier.

Pour mener à bien notre analyse, nous avons opté pour l’approche critique de l’économie politique de l’examen des médias et de leurs effets. À la différence des approches libérales des théories de la communication, qui sont concentrées sur l’influence et les effets des médias sur la formation des opinions et des comportements des individus, l’approche critique s’intéresse aux rapports de force idéologiques, politiques et économiques qui prévalent dans l’organisation des médias et de la société dans une perspective d’action positive sur la société.

À l’origine tout aussi préoccupée par les “effets des médias” que les libéraux, la démarche des critiques s’écarte de l’individualisme méthodologique, c’est-à-dire qu’au lieu de faire de l’agrégation des comportements et des attitudes individuels la base explicative des phénomènes collectifs, elle conçoit les dynamiques sociétales comme le résultat de rapports de force de nature idéologique et économique.

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Plus utile encore au questionnement sur le rôle de l’État par rapport à un enjeu comme la concentration de la propriété de la presse, l’approche critique de l’économie politique des médias conçoit ce système comme le résultat de décisions essentiellement politiques, élaborées dans des contextes sociaux et économiques en constante transformation.

Au contraire de la recherche libérale, qui postule implicitement la pérennité et la légitimité du modèle de démocratie libérale, la recherche critique considère que les sociétés sont traversées de conflits; on se donne pour mission d’en comprendre les causes, d’en expliquer les dynamiques et d’analyser la résistance ou l’absence de résistance.

(Gingras, 2006 :36)

Bref, les économistes politiques critiques des médias considèrent que le système tel que conçu dans le régime actuellement dominant de l’économie libérale n’a rien d’immuable ou d’inévitable. « Political economists of media do not believe the existing media system is natural

or inevitable or impervious to change. » (McChesney, 2008 : 12)

L’économie politique critique revalorise, en quelque sorte, la discussion publique et collective sur le rôle et la place des médias en démocratie, tout comme ceux de l’État et des collectivités. « The

political economy of media then links the media and communications systems to how both economic and political systems work, and social power is exercised, in society. » (McChesney,

2008 : 12) Cette approche considère que des liens existent entre la propriété et le contrôle des médias et le contenu de ces mêmes médias, d’où l’intérêt d’étudier la concentration des entreprises de presse au regard de la démocratie. Les enjeux systémiques et l’impact des pressions économiques sur les médias intéressent au premier plan l’économie politique des médias, mais ses travaux éclairent aussi les conditions mêmes de pratique quotidienne du journalisme et l’accomplissement concret de sa mission sociale, tout autant que les valeurs liées à l’importance de l’information et de la presse en société (McChesney, 2008). Des travaux récents en économie politique des médias proposent en somme de dépasser la seule analyse de la propriété des médias pour étudier globalement la façon dont les médias s’acquittent de leur mission sociale.

A model for media economic analysis that not only examines questions of who owns the media (economic structure) and how the corporations operate in the real world (media conduct), but also a methodology that

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looks directly in the end at how well the mass media perform in modern society. (Compaine et Gomery, 2000 : 507-508)

Pour examiner la teneur des débats sur la concentration de la presse et sur le rôle de l’État en 1969 et en 2001, nous avons décidé d’en observer les enjeux sous l’angle de trois perspectives complémentaires : les perspectives politiques, économiques et professionnelles.

Dans la première partie sur les perspectives politiques, nous traitons du lien entre les médias et la démocratie, plus précisément sous l’angle de la légitimité de l’État pour intervenir dans le milieu de la presse par une brève présentation des conceptions républicaine et libérale. Nous abordons ensuite les notions de la liberté de la presse et du pluralisme et terminons cette partie en examinant la doctrine de la responsabilité sociale des médias, déjà influente au moment de la première commission parlementaire étudiée dans ce mémoire, tout en demeurant une référence forte au début des années 2000 jusqu’à aujourd’hui.

La deuxième partie porte sur les conditions économiques de la presse. Nous observons le statut particulier de l’entreprise de presse et ses spécificités, tout comme celles de son « produit », l’information. Nous abordons ensuite les transformations induites par la financiarisation du capital de la presse et ses effets sur la propriété des médias et la concentration de la propriété des entreprises de presse. Les enjeux de la régulation ont été modifiés par la forte concentration de la propriété, la multiplication de médias et l’omniprésence d’Internet dans la collecte, la production et la diffusion de l’information. Ces réalités, évidemment absentes en 1969, colorent déjà les débats au début des années 2000. Nous examinerons un modèle de transformation du système des médias, plus précisément, nous présentons le modèle théorique de « l’hyperconcurrence » (Charron et de Bonville, 2004).

Enfin, nous proposons d’examiner les perspectives professionnelles du journalisme pour aborder l’enjeu de la concentration de la propriété. En premier lieu, nous rappelons l’origine et les fondements de la notion de l’objectivité de la presse et de ses suites. Habituellement étudiées et commentées sous l’angle de l’éthique et les des pratiques journalistiques, nous proposerons plutôt d’examiner les pratiques professionnelles en l’orientant sous des angles économique, institutionnel et corporatif.

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2.1 Perspectives politiques : les médias et la démocratie

L’État a-t-il une responsabilité en matière de protection de la diversité et de la qualité de l’information offerte aux citoyens et citoyennes? Ce questionnement s’appuie sur une conception répandue selon laquelle les médias d’information assument un rôle unique en démocratie. « La

question des médias a été depuis ses débuts complètement enchevêtrée à celle de la démocratie. »

(Breton et Proulx, 2002 : 192) En effet, ce rôle est largement reconnu et documenté dans la littérature sur l’information et la presse.

L’information et la communication constituent des composantes essentielles de la vie démocratique, laquelle serait impensable sans liberté d’expression, sans libre circulation d’une information indépendante et pluraliste. La qualité de la vie démocratique d’une société a partie liée avec la vitalité et la santé de son système d’information et de communication. (Tremblay, 2007 : 209)

Les liens entre la presse et la démocratie sont abondamment présentés dans les études sur les médias et la communication. Qu’il s’agisse d’éclairer le citoyen afin qu’il puisse participer aux débats publics ou encore de jouer les chiens de garde du pouvoir et de protecteur contre les injustices, cette fonction de la presse ouvre de larges horizons de discussions et d’analyses. Ces liens sont observables sous l’angle de l’influence des médias dans l’espace politique et la constitution de l’opinion publique. Si les médias ne constituent pas la seule sphère d’influence de l’espace politique, ils en représentent toutefois un pôle fondamental.

Pour exercer une influence dans l’espace public, il convient donc, pour commencer, d’avoir accès aux médias qui y organisent la communication, et dont la diffusion y forme l’espace de la sociabilité. C’est dire l’importance des médias dans la constitution des pôles d’influence et le rôle des médiateurs (journalistes, commentateurs, etc.) dans la constitution de l’opinion publique. Les journalistes et les médias sont des acteurs d’influence. (Truxillo, 1991 : 298).

2.1.1 Garantir la liberté de la presse : deux conceptions de la légitimité de l’État

Au moment de réfléchir sur la légitimité d’une intervention de l’État dans le milieu de la presse, la distinction entre les conceptions républicaine et libérale en cette matière est nécessaire. Basées sur une même reconnaissance du rôle de la presse en démocratie, ces deux conceptions s’opposent sur les meilleurs moyens de garantir la liberté de la presse. Il importe de rappeler aussi

(24)

que, malgré leurs différences, les conceptions libérale et républicaine sont établies sur le même principe de la liberté d’expression et du droit à l’information de chaque citoyen.

Dans les pays qui ont principalement opté pour la conception libérale, la libre entreprise et la primauté du marché comme mécanisme de régulation des médias l’emportent. Pour leur part, ceux qui privilégient la conception républicaine légitiment l’intervention étatique par une responsabilité collective d’assurer le bien commun. Évidemment, ces deux conceptions s’inscrivent dans un système économique capitaliste et des nuances s’imposent. Cependant, cette explication, bien que sommaire, résume les principales caractéristiques des deux approches en matière d’intervention de l’État dans le milieu de la presse.

La conception libérale est établie sur la méfiance et le refus quasi absolu de toute intervention étatique. Au nom de la liberté, la tradition libérale promeut l’idée de laisser prévaloir les règles de l’offre et de la demande (le laisser-faire), des règles du marché ainsi soustraites à toute interférence étatique.

Selon plusieurs auteurs, la Grande-Bretagne est l’initiatrice de la liberté de presse notamment par « l’abrogation du Licencing Act en 1695, qui correspond à la suppression de l’autorisation

préalable nécessaire à la création d’un journal. » (Le Floch et Sonnac, 2005 : 8) Selon les deux

auteurs, L’État perd alors sa légitimité pour intervenir dans le fonctionnement des journaux.

La presse anglophone se pose rapidement comme un pouvoir quasi institutionnel de l’opinion publique : en découlent les fondements de la liberté de la presse et la garantie de son indépendance à l’égard de l’État. Celle-ci n’est pas octroyée par l’État : elle lui préexiste. Cette conception se révèle un puissant instrument de liberté. L’État n’est pas considéré comme un garant de la liberté de la presse, mais, au contraire, comme une menace potentielle contre cette liberté. Ainsi, la garantie de l’indépendance n’est pas accordée, mais conquise par la liberté d’entreprendre, garantissant elle-même la liberté d’expression. (Le Floch

et Sonnac, 2005 : 8)

La situation diffère en France, où la conception républicaine prévaut. Le Floch et Sonnac rappellent qu’avec l’adoption de la loi française sur la presse de 1881, « la liberté de la presse est

acquise du seul fait que l’État s’interdit toute intervention dans ce domaine, considérant l’indépendance comme la meilleure des garanties d’une presse libre. » (2005 : 8) La différence

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d’une forte légitimité : il est le garant de la vie en société et donc le garant de la liberté de la presse. » (Le Floch et Sonnac, 2005 : 8) Selon cette conception, les pouvoirs politiques accordent

ainsi à la presse une mission d’intérêt général, tout en justifiant une intervention étatique pour s’assurer que les médias assument cette mission.

[...] l’idée selon laquelle l’information peut être une sorte de service d’intérêt général, voire une organisation parapublique soustraite aux lois du marché, n’a jamais paru véritablement choquante en France, alors qu’elle l’est en Grande-Bretagne et aux États-Unis. L’influence des intérêts économiques et financiers sur la presse a longtemps semblé plus dangereuse que l’influence de l’État. (Le Floch et Sonnac, 2005 : 8)

La conception républicaine a mené à l’élaboration de programmes d’aides publiques à la presse au nom, cette fois, d’impératifs démocratiques et de protection du pluralisme.

Certains États, ralliés à la « mission », défendue par la presse, puis par les grands médias, à savoir former des citoyens éclairés dans les régimes démocratiques, ont accordé des avantages spécifiques aux entreprises médiatiques. Ils ont ainsi tenu à marquer que l’information ne peut être une activité placée sur le seul registre de l’économie marchande.

(Mathien, 2003 : 8)

Nous avons écrit plus tôt que des nuances s’imposent quand on tente de résumer deux conceptions complexes. L’exemple britannique de la BBC illustre bien les limites du lien généralement opéré entre la conception libérale et les pays de tradition anglo-saxonne. En fait, en Angleterre comme au Canada, la radiodiffusion se distingue de la presse écrite par la gestion publique des ondes et un important financement d’un diffuseur national public comme la BBC ou CBC/Radio-Canada. Cette intervention étatique est toutefois spécifique à la radiodiffusion et la presse écrite est généralement exclue. Mais ici encore, il faut ajouter que le nationalisme économique ou la protection du marché national sont à l’origine de programmes d’aides publiques à la presse écrite, comme dans le cas des subventions aux magazines canadiens ou encore le programme d’aide pour les envois postaux. Au Canada et au Québec, différentes formes d’intervention étatique existent pour soutenir la presse : subventions aux médias communautaires et autochtones, réglementation, redevances, avantages fiscaux et mesures de protection sur des aspects du travail journalistique (comme la protection des sources) appuyées par des décisions émises par les tribunaux. Ainsi, même dans les pays qui ont opté pour la conception libérale du rôle de l’État, certaines interventions sont élaborées essentiellement pour soutenir l’industrie

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médiatique en tentant de faire coïncider ainsi les arguments économiques et les arguments démocratiques.

2.1.2 Deux façons de définir le pluralisme de la presse

En démocratie libérale, le pluralisme de la presse constitue à la fois une condition et le résultat de la liberté d’expression, de la liberté de presse et du droit à l’information. Pour répondre à cet impératif démocratique, les États dispensent, à des niveaux plus ou moins élevés selon le cas, des aides publiques qui consistent à apporter un soutien financier aux médias qui seraient fragilisés dans le seul contexte du marché. Il s’agit ainsi de pallier les imperfections du marché. Ces interventions s’inscrivent souvent dans un souci démocratique de protection du pluralisme des sources d’information. Elles prennent plus souvent la forme d’aides indirectes (qui diminuent les dépenses) que d’aides directes comme des subventions. Évidemment, le financement des diffuseurs publics nationaux est un cas spécifique et un mode d’intervention étatique unique. Nous en profitons ici pour spécifier que l’obligation d’attribuer les fréquences de diffusion a créé l’obligation d’intervenir dans le milieu des médias audiovisuels, ce qui n’est pas le cas de la presse écrite.

La protection du pluralisme représente aussi le principal motif selon lequel la concentration et la structure de propriété des médias doivent être surveillées par les autorités publiques.

Dans les sociétés démocratiques, le souci du maintien du pluralisme des organes d’information et d’expression des opinions a conduit les pouvoirs publics, en plus des lois visant à limiter les concentrations excessives, à prendre des mesures d’aide directe à la presse. (Lamizet et

Silem, 1997 : 19)

À ce titre, elle est l’un des arguments invoqués à l’origine des différentes politiques publiques de soutien à la presse publique et privée de plusieurs pays comme la Belgique, la France, le Danemark ou la Suède, où la presse bénéficie d’aides publiques directes. Nadine Toussaint-Desmoulins souligne que sur le plan de la protection de la diversité des sources et du pluralisme le rôle des États est très complexe. D’une part, la déréglementation incarne la volonté de permettre la concurrence entre des acteurs médiatiques. D’autre part, les gouvernements peuvent aussi être tentés de participer au renforcement de conglomérats nationaux afin de diminuer les risques de concurrence de groupes étrangers. Elle ajoute toutefois que la seule logique

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économique peut représenter une menace à la diversité et au pluralisme des sources d’information.

Mais il convient dans le même temps de freiner la concentration qui porte atteinte au pluralisme et à la diversité culturelle, d’imposer des quotas pour limiter la concurrence étrangère et de développer des aides pour favoriser la production et la diffusion de contenus écrits et audiovisuels nationales, notamment de faibles audiences, faute de quoi la logique économique risque de prendre le pas sur la spécificité culturelle des médias. (Toussaint-Desmoulins, 2006 : 122)

Des auteurs et des organisations professionnelles estiment que la concentration provoque inévitablement une réduction de la diversité des sources.

Si, pour les propriétaires, la concentration assure la “viabilité” des médias, elle comporte toutefois de grands dangers sur le plan de l’uniformisation des contenus. La pluralité des points de vue, le droit à une information diversifiée, l’autonomie des journalistes sont des notions qui risquent un jour de disparaître si elles ne sont pas protégées par aucun plan au profit du droit de propriété que s’arrogent les capitaines de l’industrie. (Raboy, 2000 : 79)

D’autres considèrent que la concentration est un facteur qui peut nuire à la diversité de l’information, mais sans en être ni la seule ni même la principale cause. En 2001, le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval soulignait que « divers points de vue s'affrontent

chez les chercheurs concernant l'existence d'un lien entre la diversité de la propriété et celle des contenus. » (CEM, 2001 : 35) Dans son rapport final, les membres de la commission de 2001

rappellent que certains mettent en doute ce lien opéré entre la propriété des médias et le pluralisme des sources d’information.

La concentration de la propriété a eu peu d'effet sur la diversité des contenus. […] Contrairement aux petits médias, les grands groupes de presse sont gérés à la façon de grandes bureaucraties où existe une séparation radicale des intérêts du groupe des managers et éditeurs avec ceux des propriétaires. (Commission sur la culture, 2001 : 9)

Le pluralisme peut être observé dans la structure de la propriété des médias ou dans le contenu des médias eux-mêmes.

Le pluralisme de l’information est qualifié d’externe lorsqu’est considérée l’existence d’une diversité d’entreprises de presse ou de communication, indépendantes les unes des autres. Il est dit interne

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lorsque, au sein d’une même entreprise, on se soucie de l’expression d’opinions et de points de vue différents. (Balle, 2006 : 306)

Dans l’optique du contenu des médias, ces critères peuvent porter notamment sur « la variété des

points de vue dans les comptes-rendus et dans les textes d’opinion, dans l’éventail des enjeux sociaux à présenter, dans l’utilisation des textes originaux et de ceux des agences de presse et dans l’importance accordée à différents genres journalistiques. » (Comité-conseil sur la qualité

et la diversité de l’information, 2003 : 22)

Ces deux conceptions du pluralisme s’opposent dans les mémoires déposés devant les commissions parlementaires que nous étudions. En effet, déterminer que la diversité des sources d’information se trouve dans le contenu des médias ou dans la propriété des entreprises oriente la nature des politiques publiques adoptées. Elles opteront pour des réglementations et des processus d’autoréglementation internes ou pour des lois sur la propriété des entreprises et la mise en place de mesures pour l’émergence et le développement de médias indépendants.

Soulignons que le débat sur le lien entre la propriété et le contenu des médias d’information n’est pas récent; on peut lire à son sujet dès les premières études sur la concentration de la presse au Québec comme au Canada. Éric George (2007 : 38) résume ainsi les deux hypothèses principales « qui continuent de s’opposer au sujet des conséquences de la concentration sur la qualité de

l’information. » Selon la première hypothèse, la concentration permet aux entreprises de disposer

des ressources humaines et financières pour améliorer la qualité générale des contenus. Nous verrons que c’est le point de vue principalement développé par les entreprises de presse en 1969 et en 2001. Une deuxième hypothèse pose les enjeux différemment et suggère plutôt que la concentration provoque des réductions dans les effectifs et alourdit le travail des journalistes. Rappelant les conclusions publiées dans le rapport Davey en 1970, Éric George écrit :

Ils [les membres du comité Davey] ajoutent toutefois que la principale motivation des hommes d’affaires consistant systématiquement à augmenter les profits, les bénéfices engrangés suite aux acquisitions ne sont pas réinvestis proportionnellement dans les journaux, contrairement à ce que l’on pourrait attendre. On retrouve ici la deuxième hypothèse selon laquelle la concentration horizontale de la presse contribuerait surtout à améliorer la situation financière des entreprises grâce aux économies d’échelle et aux revenus supplémentaires dégagés. (George,

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Nous nous attendons à retrouver ces deux principales conceptions dans les mémoires déposés devant les commissions parlementaires que nous étudions. Ce qui nous permettra de dégager des arguments liés à chacune d’entre elles. Nous retenons toutefois aussi la proposition d’Éric George (2007) selon laquelle n’y a pas de « modèle unique » en matière de groupe médias et qu’il faut plutôt examiner les effets de la concentration au cas par cas.

Afin de ne pas pratiquer de surdétermination entre concentration et pluralisme, nous proposons de replacer la concentration parmi d’autres facteurs qui peuvent avoir une influence sur l’évolution de l’organisation de la production informationnelle et culturelle au sein des entreprises qui ont pratiqué les opérations de fusion. (George, 2007 : 41)

2.1.3 La doctrine de la responsabilité sociale des médias

L’avènement de la presse de masse aux États-Unis et le pouvoir grandissant de quelques propriétaires de journaux très fortunés provoquent un malaise chez les élus comme dans la population sur le rôle et la responsabilité des médias dès la fin du XIXe siècle (Cornu, 2009). « Les connexions de la presse avec le monde des affaires, son conformisme, les atteintes à la

moralité publique et à la vie privée, la soumission aux pressions des annonceurs sont mis en causes » (Cornu, 2009 : 202). Déjà se posent les enjeux d’une presse investie d’une mission

d’intérêt public tout en devant répondre à d’importants impératifs commerciaux. Est-il possible de concilier ces deux objectifs fondamentaux et avec quelles conséquences sur la liberté de la presse? Pour tenter de répondre à ces questions, la commission Hutchins est créée aux États-Unis en 1942. Elle publie cinq ans plus tard son rapport intitulé A Free and Responsible Press.

Il aura fallu attendre le rapport de la commission Hutchins, en 1947, pour se faire dire que la liberté de presse était en danger pour trois raisons majeures : premièrement, parce que malgré la croissance et la multiplication des médias, l’accès y est de plus en plus difficile pour les citoyens désireux d’exprimer leurs idées et opinions; deuxièmement, parce que ceux qui y ont accès sont de moins en moins représentatifs de la population en général et répondent moins bien à ses besoins; troisièmement, parce que les médias ont parfois recours à des pratiques que la société condamne et que si cette situation perdure il y aura inévitablement des pressions pour que la liberté de la presse soit régie et contrôlée (Fink, 1988,10). » (Bernier, 2004 : 88)

Ses travaux sur la liberté de la presse et le journalisme sont à l’origine de ce que des théoriciens de la communication nommeront plus tard la « doctrine de la responsabilité sociale des médias »

Figure

Tableau 1 : Grille d’analyse  Journalistes Entreprises de  presse Organisations non journalistiques et  citoyens Conseil de presse du Québec 1969 2001 1969 2001 1969 2001 1969 2001 Arguments  DÉMOCRATIQUES Arguments  ÉCONOMIQUES Arguments  PROFESSIONNELS
Tableau 2 : Les catégories d’intervenants

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