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Chapitre 4 : Résultats de l’analyse

4.5 Interprétation de l’analyse

4.5.3 Les organisations non journalistiques s’alarment et revendiquent

En 1969, seules trois organisations non exclusivement journalistiques ou de presse participent à la consultation : Le Syndicat des écrivains, la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et la Centrale des enseignants du Québec (CEQ) qui ont produit un mémoire commun. Elles sont plus nombreuses en 2001 et, surtout, elles œuvrent dans des domaines très divers : édition, librairies, éducation aux médias, mais aussi promotion de la famille et de la démocratie dans les villes. On y retrouve même l’Assemblée des évêques du Québec. Par la diversité de leurs secteurs d’activités,

il est permis de penser que les préoccupations exprimées par ces organisations seront tout aussi diversifiées. Cette supposition s’avère d’ailleurs dans l’analyse des différents mémoires déposés. Toutefois, nous avons identifié deux orientations dans les positions des organisations non journalistiques :

 Une première orientation selon laquelle les organisations parlent au nom des citoyens et de l’importance de l’information en démocratie;

 Une deuxième orientation qui fait état de dimensions et de revendications particulières et propres à leur secteur d’activités.

La première orientation (FTQ et CEQ, 1969 ; Syndicat des écrivains du Québec, 1969 ; CSQ, 2001; FTQ, 2001; Mouvement pour la démocratie dans les villes, 2001 ; Centre de ressources en éducation aux médias, 2001) fait une large place à la qualité de l’information offerte aux citoyens et les organisations dans ce cas disent parler au nom de ces citoyens. «C’est surtout à titre de représentants syndicaux de 260 000 consommateurs québécois de l’information que nous vous soumettons aujourd’hui les quelques réflexions et recommandations qui suivent. (FTQ et CEQ, 1969 : 2) Cette idée de «consommateurs de l’information» est reprise par ailleurs par le Syndicat des écrivains du Québec : « Depuis quelques années, les consommateurs de l’information assistent à une série de transactions aussi mystifiantes que certains tours de magiciens. » (1969 : 4)

Le Centre de ressources en éducation aux médias demande de disposer de plus de moyens pour assurer ses activités, de façon à répondre au défi posé aux «publics-citoyens» des médias. (CREM, 2001 : 7)

Nous pensons que la réalité de la concentration médiatique pose à la société le devoir d’offrir à tous les citoyens les moyens d’acquérir des habiletés de «lecture» et d’usage critiques des produits médiatiques de tout ordre qui s’offrent quotidiennement dans les champs de la vie démocratique, de l’éducation, de la culture et de la consommation.

(CREM, 2001 : 7)

Les organisations syndicales nationales estiment que l’importance de l’information dans une société démocratique justifie leur participation aux deux commissions parlementaires étudiées.

La CSN ne peut concevoir que les citoyennes et les citoyens d’un pays pourraient exercer toutes leurs responsabilités civiques sans qu’une

presse vigoureuse, libre, frondeuse même, ne soit en mesure et n’ait les moyens de provoquer et de soutenir les nécessaires débats qui aboutissent généralement sur des avancées démocratiques. (CSN, 2001 : 5)

Le Syndicat des écrivains du Québec exprime notamment ses grandes préoccupations par le recensement des journaux disparus au Québec depuis le début du XXe siècle. Il admet que selon ce décompte, les journaux indépendants sont particulièrement fragiles. Mais plutôt que d’y voir un argument économique en faveur de la concentration de la propriété de la presse, le Syndicat considère qu’il s’agit d’une démonstration que «le système capitaliste d’information n’est guère valable.» (Syndicat des écrivains, 1969 : 13)

Disons que ce tour de cimetière nous a permis, en déterrant dans six régions importantes du Québec, plus de 400 journaux québécois au cours des soixante-neuf premières années du siècle présent, d’indiquer combien nous avions de talents à la création de nouveaux journaux et… de difficultés à les maintenir. […] Nous en concluons que : l’information appartient au consommateur qui a droit d’entendre les principaux points de vue sur les questions d’une certaine importance une fois les faits révélés; l’information ne doit pas être soumise à la domination de personnes ou de groupes influents à cause de leur fortune ou de leur situation ; le libre échange d’opinions sauvegardera les institutions libres. (Syndicat des Écrivains du Québec, 1969 : 13)

En se positionnant au nom des citoyens, les organisations qui privilégient cette première orientation vont sans surprise utiliser principalement des arguments démocratiques pour élaborer leur opinion et leurs recommandations : pluralisme et diversité des voix médiatiques, soutien à la presse indépendante et présence des idées progressistes dans les médias. La CSN — dont le membership compte une bonne partie des journalistes québécois par la Fédération nationale des communications (FNC) — utilise aussi quelques arguments professionnels, notamment en recommandant à la commission de 2001 la mise en œuvre de mesures et l’engagement des entreprises à « assurer l’autonomie des salles de rédaction en matière de contenu. » (CSN, 2001 : 17)

Selon la deuxième orientation utilisée par les organisations non journalistiques, nous avons constaté que certains intervenants utilisent la commission parlementaire pour faire valoir des revendications qui portent plus spécifiquement sur leur secteur d’activités ou sur un enjeu précis. L’Assemblée des évêques, dans une lettre de deux pages, témoigne de son soutien aux télévisions communautaires.

Au cours de 1999-2000, nous avons assisté à la fermeture de plusieurs stations de télévision communautaire autonomes au Québec. C’est une situation inquiétante qui laisse entrevoir la mainmise des grandes entreprises de câblodistribution sur le contenu et la production des groupes opérants les télévisions communautaires. Elles sont pourtant un apport unique dans le paysage médiatique puisqu’elles soulignent et encouragent à maints égards la diversité culturelle des régions du Québec. La participation de centaines de bénévoles et l’implication de nombreux créateurs de ces milieux se trouvent ainsi brimées par une centralisation de la conception et de la production (Assemblée des

évêques, 2001 : 1)

Dans un mémoire très étoffé qui compte 37 recommandations et sous-recommandations, l’Organisation Mondiale pour les Familles, Familis, qui comprend une Commission Familles et médias, propose d’envisager le problème de la concentration sous des angles sociaux et culturels de manière à

Réorienter profondément les rapports que les familles, les citoyens et l’ensemble des organismes québécois peuvent avoir avec l’ensemble des entreprises dites «de médias» et réorienter tout autant les attitudes, les politiques, les règles et les projets pouvant concerner les familles et les citoyens ainsi que leurs rapports avec ces mêmes entreprises. (Familis,

2001 : 30)

L’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) et l’Association des libraires du Québec (ALQ) lient les enjeux de la diversité culturelle et l’intérêt public, un intérêt public menacé par une trop grande concentration de la propriété dans le domaine de la culture en général, et dans celui du livre en particulier. L’ANEL écrit avoir manifesté son intérêt dès l’annonce d’une commission sur les impacts des mouvements de propriété dans l’industrie des médias en demandant à la ministre que le mandat « soit explicitement élargi à l’industrie du livre ». Elle ajoute « qu’en l’absence d’une réponse, l’ANEL prend l’initiative de faire parvenir à la

Commission un mémoire sur les impacts de la concentration dans l’industrie du livre. » (ANEL,

2001 : 1) En fait, l’ANEL s’inquiète du phénomène général de la concentration de la propriété dans le domaine de la culture. L’ALQ — tout en dressant un sombre portrait de la situation et en dénonçant l’absence de gestes concrets du gouvernement — déplore les effets de ce qu’elle qualifie de « mode de l’intégration verticale ».

Dans la logique de la nouvelle économie, Quebecor s’est positionné de façon concurrentielle puisque ses composantes s’approprient à la fois

l’élaboration des contenus (grâce aux maisons d’édition), leur diffusion par de multiples réseaux (télé, journaux, magazines, Internet) et la vente au détail par le biais des librairies tant réelles que virtuelles. Nous ferions preuve de candeur en affirmant que les livres du groupe ne bénéficieront pas d’une énorme visibilité, et ce, au détriment de la production des autres éditeurs. De même, qui peut assurer que les journalistes littéraires peuvent critiquer en toute liberté les livres du groupe? (ALQ, 2001 : 10)

Notre analyse nous a donc permis de constater que des organisations non journalistiques se montrent très inquiètes des effets de la concentration de la propriété de la presse et renvendiquent des interventions vigoureuses de l’État pour réguler le milieu de la presse québécois et pour encadrer les pratiques commerciales et organisationnelles des médias eux-mêmes, au nom de l’intérêt public et du droit à l’information des citoyens. Certaines d’entre elles défendent aussi des intérêts particuliers et revendiquent des aides précises ou des décisions politiques qui dépassent les seuls enjeux de la concentration de la propriété des médias.