• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : Résultats de l’analyse

4.1 Quelques thèmes récurrents

4.1.3 Une situation à documenter

Pour plusieurs intervenants, les moyens à trouver pour contrer les effets négatifs de la concentration demandent une connaissance plus fine des enjeux et de la réalité du monde de l’information québécois. Cette idée ne nous apparaît pas comme un argument, mais sa présence dans des mémoires nous semble significative pour témoigner d’un questionnement sur la possibilité de discussion sur la concentration. Se pose alors la question de la « compétence » pour réfléchir sur cet enjeu. Par exemple, les Éditions Maintenant sont extrêmement critiques sur l’état de la liberté de presse au Québec et croient fermement à une intervention de l’État « pour sauvegarder le bien public face aux contrôles privés. » (Éditions Maintenant, 1969 : 3) Pourtant, elles estiment qu’une commission d’enquête est nécessaire, plus précisément pour bien comprendre le pouvoir exercé par Power Corporation dans le Québec de la fin des années 1960.

C’est dans le sens d’un plus grand rôle de l’État que nous semble devoir être cherchée la solution aux menaces actuelles et futures à la liberté de la presse. Ce serait d’ailleurs une des tâches de cette commission de

déterminer selon quelles modalités cette intervention devrait s’exercer.

(Éditions Maintenant, 1969 : 3)

Des organisations demandent d’ailleurs davantage d’information parce qu’elles estiment qu’il est trop tôt (dans ce cas, en 1969) pour décider des moyens pour contrer la concentration de la presse. Au nom des citoyens-consommateurs qu’elles représentent, ces organisations disent se méfier des solutions qui feraient l’affaire des « politiques et des médias » seulement.

Faute d’informations précises et rigoureuses sur la situation de l’information au Québec, nous ne nous croyons pas en mesure, de le cas par exemple de la concentration des entreprises de presse, de décider pour notre compte s’il convient d’y voir, comme certains, une vaste conspiration pour exercer un contrôle tentaculaire sur l’information, ou, comme d’autres, la mise en œuvre de moyens financiers puissants au service d’une information plus abondante et de meilleure qualité. C’est pourquoi nous nous méfions a priori de toute solution hâtive et plus ou moins improvisée qui pourrait convenir au pouvoir politique ou à la profession, ou aux deux à la fois, mais sans tenir compte des droits et des besoins du public consommateur dont nous représentons un secteur important. Qu’il s’agisse d’une Régie d’État ou d’un Conseil de presse, il nous semble que leur mise sur pied consisterait, à l’heure actuelle, à mettre la charrue avant les bœufs. (FTQ et CEQ, 1969 : 12)

D’autres organisations estiment tout simplement ne pas avoir les moyens d’avoir une opinion éclairée sur les effets de la concentration, tout en reconnaissant que les mouvements de propriété des médias du début des années 2000 ont exacerbé les inquiétudes à cet égard. « Nous ne nous sommes pas attardés à faire un procès d’intention aux grands réseaux. Nous ne disposons pas non plus des ressources qui seraient nécessaires pour faire une analyse poussée des conséquences de la concentration de la presse. » (ARCQ, 2001 : 8)

4.2 Les arguments démocratiques

Les arguments démocratiques portent essentiellement sur le rôle unique et spécifique de l’information en démocratie, un rôle sur lequel s’entendent tous les intervenants aux deux commissions étudiées. Pluralisme et droit du public à l’information sont tout autant des notions sur lesquelles toutes les organisations s’entendent, en 1969 comme en 2001.

Bien primordial, l’information l’est à divers titres. Elle est d’abord facteur de liberté : liberté des individus et des sociétés qui pour exister

doit reposer sur la connaissance. C’est par la connaissance du monde dans son évolution qu’hommes et société peuvent porter un jugement, donc agir librement. Sans information, donc sans connaissance, la liberté devient aliénation, car elle a perdu son principe justificateur. (FTQ et

CEQ, 1969 : 2)

Même si notre projet ne vise pas à quantifier le recours aux arguments, il faut mentionner une nette prédominance des arguments démocratiques de la part de tous les intervenants. La citation suivante est assez exemplaire du recours à cette catégorie d’arguments.

La libre circulation de l’information et des opinions et l’assurance de la diffusion de celles-ci dans toute leur diversité et leur pluralisme constituent un élément essentiel de la démocratie. La présence ou l’absence de cet élément est d’ailleurs un des critères fondamentaux pour juger du caractère démocratique de toute société contemporaine. (Picard,

2001 : 4)

Malgré ce consensus sur l’enjeu démocratique, les opinions divergent sur les façons d’assurer la réalisation de la mission d’informer et la responsabilité des pouvoirs publics en cette matière que les opinions divergent.

L’État ne peut rester oisif et adopter à l’égard des médias les mêmes règles qu’envers d’autres entreprises. Dans un régime démocratique, les médias ont un rôle essentiel à remplir, qu’il faut protéger. Il est primordial de conserver une pluralité de sources d’informations.

(Syndicat des employés de TVA, 2001 : 10)

Selon les groupes de presse, cependant, l’État ne peut être seul responsable de garantir l’accès à une information de qualité.

S’il est légitime pour le gouvernement de se préoccuper de cette question, légitimité que notre présence ici reconnaît explicitement, nous croyons toutefois que ce rôle de chien de garde du droit du public à une information de qualité ne doit pas revenir unilatéralement au gouvernement. Nous vous offrons plutôt de poursuivre ensemble — public, industrie et gouvernement — une réflexion là-dessus. Dans cette réflexion commune, cependant, il ne faudra pas confondre le droit du public à une information libre et de qualité, d’une part, et, d’autre part, le droit des entreprises à des transactions libres dans une économie de marché. (Transcontinental, 2001 : 12)

Nous avons constaté qu’un même argument peut être utilisé à des fins contraires dans la démonstration des tenants ou des opposants à une intervention publique pour assurer l’accès à

une information, libre, exacte et diversifiée. Des notions démocratiques importantes comme la liberté d’expression ou la liberté de presse prendront des dimensions différentes selon qui les utilise et selon les conceptions positive ou négative, des interprétations distinctes et idéologiques de la démocratie et des droits.

La liberté de presse trouve tout son sens dans la libre circulation des idées, d’opinions et d’analyses diverses et variées. C’est ce qui permet de rendre accessibles à toute citoyenne et tout citoyen les éléments d’information à partir desquels il pourra alimenter sa réflexion, définir son opinion et contribuer ainsi au développement de la société dans laquelle il vit. (CSQ, 1002 : 4)

À vrai dire, la liberté de presse serait davantage menacée par une ingérence indue du gouvernement sur une question d’ordre purement économique, financier ou compétitif. […] La liberté de la presse implique que celle-ci n’ait pas à rendre de comptes à un ou des gouvernements, de façon directe ou indirecte. Il en va de la santé de la démocratie.

(Quebecor, 2001 : 19)

De même, alors que la liberté d’expression pour la plupart des intervenants constitue une liberté fondamentale dont doivent disposer tous les citoyens, elle trouve une dimension corporative dans l’argumentaire des groupes de presse. « La liberté d’expression exige que parallèlement aux entreprises publiques de diffusion existent des entreprises privées d’une force et d’une qualité comparables sinon supérieures. » (Québec Télémédia, 1969 : 49)