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Chapitre 4 : Résultats de l’analyse

4.5 Interprétation de l’analyse

4.5.2 Les entreprises de presse sont divisées

4.5.2.1 Les groupes de presse « justifient et rassurent »

L’analyse du contenu des mémoires des groupes de presse nous a permis de constater qu’ils utilisent ces documents pour répondre aux inquiétudes soulevées par le phénomène de la concentration de la presse. « Et pour assumer dans sa plénitude cette responsabilité qu’elle se donne d’être son guide, elle lui offre [au public] des garanties de liberté professionnelle dont il existe peu d’exemples comparables au monde. » (La Presse, 1969 : 3)

À l’aide de moult tableaux, statistiques et études d’experts, les groupes de presse souhaitent démontrer leurs réalisations et engagements. Leurs mémoires sont par ailleurs souvent plus étoffés, du moins en nombre de pages, que ceux des autres participants aux consultations et plusieurs utilisent les services d’experts (des universitaires, à l’exception de Marcel H. Caron, comptable, qui dépose une étude sur la concentration à la demande du groupe Les Entreprises GELCO) pour appuyer leur propos en ajoutant les études de ceux-ci en annexe à leur mémoire.

On a pu lire les commentaires de plusieurs journalistes mettant en doute l’habileté de GELCO à préserver l’autonomie d’expression au sein de ses filiales. On a lu également leurs commentaires sur le fait que la concentration créerait une absence de diversité de points de vue sur le plan rédactionnel et, finalement, porterait atteinte à la liberté de la presse. On a lu également qu’un ensemble d’entreprises de presse comme les filiales de GELCO éliminerait fatalement la concurrence entre ces différents journaux. Ces commentaires ne touchent pas la réalité.

(GELCO, 2001 : 8)

14 Nous souhaitons ici souligner notre emprunt à un sous-titre utilisé par la Centrale des syndicats du

Québec (CSQ) dans son mémoire de 2001 dont la formulation nous est apparue particulièrement pertinente pour résumer la position des groupes de presse dans ce débat.

Les groupes de presse utilisent aussi leur mémoire pour faire valoir leurs bonnes pratiques à l’égard de leurs journalistes. En 2001, si Transcontinental insiste sur la formation soutenue offerte à ses journalistes, Gesca insiste sur son respect des normes professionnelles.

Dans tous les journaux de Gesca, le respect des normes professionnelles est d’abord assuré par une longue tradition de pratique professionnelle, tant par les cadres que par les journalistes syndiqués, qui assurent, dans leurs activités quotidiennes, la rigueur, l’exactitude des faits, l’élimination des conflits d’intérêts, l’indépendance des journalistes et le droit du public à l’information. (Gesca, 2001 : 16)

Transcontinental met l’accent sur sa contribution à l’information régionale et Gesca sur sa contribution à la culture et à la promotion de la langue française. Radio Nord Communications insiste pour sa part sur sa contribution au développement local et régional, en disant se distinguer ainsi des entreprises nationales ou transnationales.

Dans les grandes entreprises nationales ou transnationales, la gestion des entreprises se réalise malheureusement trop souvent au détriment des intérêts locaux. Dans le cas de propriétaires d’intérêts locaux, ils vivent dans le milieu qu’ils desservent. Ils en sont souvent des personnalités, des gens d’affaires connus et engagés, les premiers consommateurs de leur produit. […] Depuis ses débuts, Radio Nord Communications participe activement à la propagation du sentiment d’appartenance et contribue directement à la formation d’une identité régionale. Les médias à propriété régionale sont même un outil essentiel de développement social et culturel des habitants du territoire qui veulent se reconnaître et affirmer leur identité. On pourrait même affirmer qu’il en est tributaire.

(Radio Nord Communications, 2001 : 11)

Nous avons aussi observé que les groupes de presse ne font pas de recommandations formelles aux membres des deux commissions parlementaires étudiées, contrairement à tous les autres intervenants. En 1969 et en 2001, elles expliquent essentiellement leur fonctionnement et garantissent l’efficacité de leur gestion. Comme l’ont souligné les rédacteurs du rapport préliminaire de la commission de 1969.

Les représentations des Journaux Trans-Canada Ltée sont du même ordre que celles du quotidien La Presse; il ne s'agit pas à proprement parler de recommandations, mais d'un exposé de faits et de principes concernant cette entreprise, dont la position par rapport aux autres moyens d'information au Québec. (Rapport préliminaire, 1972 : 28)

Cette absence de recommandation de la part des groupes de presse est cohérente avec leur message principal aux élus membres des deux commissions parlementaires étudiées, message selon lequel une intervention publique, économique, réglementaire ou législative n’est pas nécessaire pour assurer un accès à une information de qualité aux citoyens du Québec. Leurs engagements en matière de protection de la qualité de l’information et leur solidité économique représentent de meilleurs atouts pour garantir l’indépendance et l’autonomie des journalistes employés par des entreprises financièrement solides.

La grande entreprise diversifiée de médias que nous voulons créer servira la cause d’un journalisme de haut niveau, répondant aux normes les plus strictes de la profession. Nous sommes d’avis que plus une entreprise de médias est forte et consolidée, moins elle risque de restreindre l’indépendance et l’autonomie de ses journalistes. Il n’est tout simplement pas dans l’intérêt économique des grands groupes de médias d’uniformiser leurs contenus éditoriaux et de réduire la diversité des voix. (Quebecor, 2001 : 10)

Une fois les assurances et les engagements donnés, les groupes de presse présentent aussi la situation de la concentration de la propriété de la presse comme un fait accompli, une nécessité. Ils utilisent parfois la parole même des élus pour appuyer cette position. Dans la conclusion de son mémoire de 2001, Quebecor cite plusieurs ministres du gouvernement, dont la ministre de la Culture et des Communications, Agnès Maltais : « Ce que les gens ne comprennent pas, c’est qu’il y a aussi un danger : de ne pas avoir de propriété québécoise des médias » et le vice-premier ministre et ministre des Finances Bernard Landry.

Si elle était survenue il y a 25 ans, cette transaction aurait été considérée comme extrêmement dangereuse et suspecte. Sauf que les choses ont changé. La concentration de la presse, pour des questions techniques, financières et de rentabilité, est devenue une nécessité de notre temps ».

(Quebecor, 2001 : 18)

Ainsi, les groupes de presse se sont employés à démontrer que la concentration est non seulement devenue une nécessité pour des raisons économiques, mais les avantages qu’elle permet surpassent grandement les risques qu’elle peut faire courir à une société démocratique comme le Québec. Et les groupes de presse sont les mieux placés pour protéger cette fonction unique de l’information en démocratie, une fonction reconnue par tous les intervenants.