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Chapitre 4 : Résultats de l’analyse

4.1 Quelques thèmes récurrents

4.4.2 Le contrôle de l’information

La principale inquiétude à propos de la concentration de la propriété de la presse porte sur les risques de contrôle de l’information. Tous les intervenants, à l’exception des groupes de presse, témoignent de cette inquiétude lors des deux commissions parlementaires étudiées : les journaux indépendants, les syndicats, les organisations citoyennes ou culturelles, les journalistes. Ce contrôle s’exercerait sur le contenu même de l’information transmise à la population, et ce même si les entreprises respectent les règles de déontologie propres à la profession journalistique. La situation serait particulièrement préoccupante dans les pages éditoriales dont l’influence reste importante dans la formation de l’opinion publique, malgré un recours grandissant à des chroniqueurs aux opinions diverses. Il en va en quelque sorte de la prérogative du patron.

Dans un groupe, il n’y a qu’un seul centre de décisions, un seul patron qui définit les orientations, aussi bien sur le plan commercial qu’éditorial, le mot étant pris ici dans son sens large. […]On sait déjà que, dans le groupe Gesca, il n’y aura qu’un seul point de vue dans les pages éditoriales, dont les orientations seront définies par une seule et même personne. […] Le groupe Gesca pourra ainsi exercer à travers ses sept journaux, qui sont publiés dans les sept principales villes du Québec, une influence déterminante dans les débats entourant les grands enjeux de société, qu’il s’agisse de politique constitutionnelle ou de politique bancaire. (Le Devoir, 2001 : 7)

En premier lieu, la concentration mène selon eux à une inévitable uniformisation du contenu de l’information, ne serait-ce que pour des considérations économiques. « La simple logique administrative exige une politique de concentration des ressources, même sur le plan rédactionnel. D’où une uniformisation de l’information qui laisse peu de choix au public. » (Hebdos du Canada, 1969 : 6) En 2001, les stratégies de convergence et de synergie des conglomérats sont particulièrement décriées. « La recherche d’effets de synergie favorisera l’uniformisation des contenus de l’ensemble des journaux du groupe. » (Le Devoir, 2001 : 6) Des considérations politiques et commerciales sont aussi identifiées comme des dangers potentiels à la qualité de l’information provoqués par la concentration de la propriété de la presse.

L’attitude du gouvernement québécois nous fait craindre un recul dans la liberté d’informer avec objectivité les citoyens du Québec. Nous vous demandons : croyez-vous que des questionnements sur l’utilisation des fonds publics trouveront droit de cité dans les bulletins d’information de TVA? Croyez-vous vraiment que les journalistes de TVA auront la liberté de questionner la gestion de Quebecor? Croyez-vous vraiment que les quotidiens de Gesca feront écho des inquiétudes soulevées par l’omniprésence de Power Corporation au sein de la presse écrite?

(Syndicat des employés de TVA, 2001 : 5)

Les journalistes sont particulièrement méfiants, mais ils ne sont pas les seuls. Des médias communautaires et des organisations de citoyens le sont tout autant.

La propriété des médias n’est pas sans conséquence sur leur contenu. On ne peut demander à un propriétaire de journaux (ou de radios ou de télévisions) d’accepter d’être l’objet de critiques dans les pages de ses propres journaux (ou sur les ondes de ses stations). […] Dans un marché diversifié, lorsque le propriétaire n’a que ce journal comme propriété, cela ne porte pas tellement à conséquence. Mais, s’il s’avère que les médias sont la propriété d’un empire industriel, commercial et financier ayant des intérêts dans la plupart des domaines de la vie économique, ce n’est plus la même chose. Il ne faudrait pas s’attendre à ce que les journalistes grattent, fouillent, fouinent à la recherche de conflits d’intérêts entre le conglomérat qui les emploie et la société civile. (Recto

Verso et l’aut’journal, 2001 : 14)

Pour répondre à ces inquiétudes sur le contrôle du contenu de l’information et aux arguments en faveur d’une intervention publique pour encadrer le phénomène de la concentration de la propriété de la presse, les dirigeants des groupes de presse affirment qu’au contraire, ils ne se mêlent pas du contenu de leurs médias.

En ce qui touche particulièrement l’information, Québec Télémédia Inc. tient à préciser sa position : elle ne s’ingérera jamais dans le domaine de l’information. Ce secteur demeure la responsabilité du directeur de l’information de la station. (Québec Télémédia, 1969 : 27)

En réponse à la crainte d’uniformisation des contenus, Quebecor indique que selon les études commandées par l’entreprise, « il n’est tout simplement pas dans l’intérêt des groupes de médias d’uniformiser leurs messages. Il ressort clairement de ces études que l’un des principaux actifs d’une entreprise de médias réside dans son capital de crédibilité. » (Quebecor, 2001 : 3)

Admettant la prérogative de l’éditeur de s’exprimer dans ses pages éditoriales, La Presse réitère un engagement similaire, celui d’assurer une « étanchéité complète entre l’éditorial et l’information, de façon que la politique éditoriale n’influence en aucune manière la relation des informations. » (La Presse, 1969 : 6)

En 2001, les groupes de presse vont prendre le même genre d’engagement général à ne pas se mêler du contenu de l’information diffusée dans leurs médias. « Radio Nord Communications a à plusieurs reprises, exprimé et démontré son intention de conserver l’indépendance de ses rédactions et la liberté d’expression de ses artisans, et ce, même en situation de force sur le marché. » (Radio Nord Communications, 2001 : 20) Quebecor souligne l’expérience avec TQS [propriété de Quebecor de 1997 à 2001] dans laquelle elle a su « démontrer sa capacité de maintenir une parfaite étanchéité des salles de rédaction. » (Quebecor, 2001 : 3) Une affirmation qui sera nuancée par la professeure Judith Dubois et contredite par les journalistes syndiqués du Journal de Montréal. Les groupes de presse veulent rassurer les parlementaires de la non- ingérence du propriétaire au nom d’une « mission » d’informer : « Pour nous, l’information n’est pas un simple produit. Elle engage la responsabilité sociale de l’entreprise de presse et, par sa qualité, elle contribue directement à la santé de la démocratie. » (Transcontinental, 2001 : 1)