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LA FACE CACHÉE DE LA PROSTITUTION

4 RÉSULTATS DU VOLET INTERVENANTES

4.4 Les zones d’imprécisions quant aux interventions concrètes à mettre œuvre

Un consensus se dégageait du discours des intervenantes quant à l'importance d’intervenir de façon individualisée selon les besoins et le rythme de chaque femme, comme le résume l’extrait ci-dessous.

Il faut prendre la femme où elle est, parce que une femme peut être plus en mesure de se protéger quand elle se connaît mieux, elle va mieux se connaître si ça fait trois séjours en maison d'hébergement, même trois séjours de deux semaines qu'elle fait en maison d'hébergement, elle va beaucoup mieux se connaître, pis peut-être avoir des outils plus pour se protéger qu'une femme qui vient d'arriver et qui est vraiment en amour avec son proxénète, pis qui ne voit pas qu'elle est en danger. Elle aurait avantage à mieux se connaître, ça l'aiderait, mais en plus elle sait même pas... elle voit peut-être même pas le danger. Donc c'est vraiment la femme là où elle est rendue.

Plusieurs intervenantes insistaient aussi sur l’importance de miser sur les forces et les sur capacités des femmes pour mieux répondre à leurs besoins (Valérie, Isabelle, Laurence, Sabrina, Mylène, Éveline, Caroline, Amélie). À cet égard, les intervenantes affirmaient surtout que les interventions dispensées doivent soutenir les femmes afin qu’elles se réapproprient leur identité, qu’elles reprennent un pouvoir sur le cours de leur vie et qu’elles puissent s’accomplir ou s’épanouir en tant que personnes. Ces pistes d’intervention concordaient avec les souhaits que formulaient plusieurs intervenantes à l’égard du processus d’actualisation de soi des femmes. Toutefois, et bien que ces pistes d’intervention aient été qualifiées comme étant importantes, les propos des intervenantes demeuraient relativement vagues quant aux d’interventions concrètes à mettre en place pour soutenir les femmes en ce sens.

[Il faut miser] sur la femme elle-même! C'est la seule chose qu'on peut miser. Sur la femme, pis sur ses capacités pis la pousser au mieux qu'on peut. C'est la seule qui peut...

Ben, sur les forces de la personne. Sur ce qu'elle veut, sur le rythme de la personne... faut vraiment respecter le rythme des gens... selon où ils sont, selon ce qu’ils ont vécu, vers où ils veulent s'en aller. Mettre tout à leur disposition les outils nécessaires pour réussir à faire autre chose et à se sentir solide là-dedans.

Les intervenantes avaient tendance à rapporter qu’elles consultaient les femmes pour que ces dernières les orientent dans les interventions dont elles souhaiteraient bénéficier. Or, la majorité des intervenantes semblaient plutôt dépourvues d’outils spécifiques pour aider les femmes à bien identifier leurs besoins et pour planifier des actions concrètes avec elles afin de favoriser le changement souhaité.

[Il faut se baser] sur les besoins qu’elles expriment ou sur lesquels elles veulent travailler.

Ben, écoute, ça va paraître bizarre, mais je répondrais en disant « Les consulter, ce qu'elles ont de besoin, ce qu'elles veulent, pis voir à mettre en place des services qui répondent à leurs besoins. Donc... qu'il y ait une écoute un petit peu... de mettre en place des groupes qui vont les écouter... et qui vont s'attarder à ce qu'elles demandent à... leurs besoins, pis que les services qui soient déployés par la suite répondent à leurs besoins.

Lorsque des relances étaient faites aux intervenantes afin qu’elles précisent des moyens spécifiques que les femmes pourraient mettre en œuvre pour combler leurs besoins, leurs réponses demeuraient très évasives, en réitérant l’importance que les femmes aillent chercher l’aide et le soutien nécessaire dans les « ressources » et

« services ». D’autres intervenantes avouaient humblement avoir peu de moyens concrets à proposer aux femmes afin de les soutenir dans leur processus d’actualisation de soi.

À la base, faudrait qu'elles veuillent [changer] ... si elles souhaitent ça, ben, évidemment elles peuvent aller chercher le soutien nécessaire si elles n'ont pas développé ces acquis-là ou ces compétences-là en cours de vie, là.

(Silence) Ça serait la réponse facile de dire qu’elles doivent travailler sur elles-mêmes, puis d’essayer par elles-mêmes de trouver les solutions à leur quotidien. Mais, je vois mal qu’est-ce qu’elles peuvent mettre en place elles-mêmes. Tu sais, être affirmative, le plus possible, dans tous les contextes, mais… je vois mal comment elles peuvent acquérir ces éléments-là.

Par ailleurs, d’autres intervenantes affirmaient qu’il appartient aux femmes de trouver leurs propres solutions pour faire autre chose que de la prostitution (Véronique, Cindy, Mylène). Les intervenantes ont également été nombreuses à affirmer qu’il est possible d’aider ces femmes, mais dans la mesure où elles sont prêtes « à faire le pas de plus pour changer » ou dans la mesure où elles démontrent une réelle volonté de changer et une capacité de résilience (Éveline, Audrey, Mylène).

En se faisant des plans, en ayant un plan de carrière autre que celui-là [la prostitution] ... en se préparant là psychologiquement à sortir du métier pis à faire autre chose. Intervieweuse : et comment elles pourraient se préparer psychologiquement à faire autre chose? Ben, en se posant les bonnes questions. Elle-même. Ce que j'ai envie de faire, qu'est-ce qui m'allume comme autre métier? Qu'est-ce que j'ai envie de faire d'autre dans la vie? Faque... ça part d'elle-même. Si elle a décidé de commencer le métier du sexe ça partait d'elle, ben pour en sortir, pour éviter les pièges, ben ça part d'elle aussi là.

Mais… c’est sûr qu’il faut qu’il y ait déjà un petit cheminement d’amorcé ou un désir de … parce que sinon, je pense pas que ça peut se faire …

Ben, tout dépendant de ses volontés à elle, de sa motivation à vouloir faire autre chose... ça dépend vraiment d'elle.

Enfin, quelques intervenantes semblaient avoir des attentes d’un autre ordre en faisant valoir l’importance que les femmes se mobilisent pour dénoncer l’exploitation sexuelle dont elles sont victimes, et éventuellement, pour faire changer les pratiques et les politiques.

Encore là, faut qu'elles connaissent leurs droits, pis qu'elles sachent comment débattre leur point et tout. Parce que quelqu'un peut aller chercher de l'aide, mais si elle est démunie... mentalement, psychologiquement elle est démontée, elle sera pas capable de débattre son point contre un organisme qui ne reconnaît pas toutes les victimes

… tant que les victimes ne parleront pas assez fort là.

Je pense qu'elles doivent continuer à se mobiliser pour dénoncer ce qu'elles vivent d'inacceptable. Donc, ça part d'elles, mais de sensibiliser d'autres personnes à leur réalité, donc de parler de ce qu'elles vivent à des gens de confiance pour que eux amènent... à faire changer certaines politiques, à faire changer la vision des gens face à leur situation.

Je pense que avec des efforts, c'est réalisable, c'est tout à fait réalisable, sinon... quel sera le but de notre travail si on n'a pas l'espoir?

On a beaucoup d'espoir et on essaie d'encourager les femmes de faire cette lutte, que ce soit une lutte intérieure, que ça soit une lutte au niveau de la société, de l'immigration, dans toutes les démarches.

Les résultats de cette dernière section soulèvent des enjeux importants sur le plan des pratiques. Alors que les résultats indiquent que les intervenantes reconnaissent la nécessité de miser sur les forces et sur les capacités des femmes pour mieux répondre à leurs besoins, les résultats suggèrent aussi que les intervenantes disposent de peu de moyens concrets pour soutenir les femmes en ce sens. De plus, les propos de certaines intervenantes laissent entendre qu’il incombe aux femmes d’entreprendre elles-mêmes les réflexions et les actions nécessaires à leur désistement de la prostitution ou à l’amélioration de leurs situations. De tels résultats détonnent grandement des autres résultats qui se dégagent de l’ensemble de la présente étude, lesquels mettaient clairement en lumière les besoins criants d’aide, de soutien et d’accompagnement des femmes en situation de prostitution.

En somme, ce qui ressort des discours des intervenantes, c’est que le levier de l’intervention repose grandement sur la capacité des femmes à se mobiliser vers le changement, et non sur des stratégies d’intervention susceptibles d’actionner ce levier et de soutenir ensuite les femmes dans leurs démarches de changement. Ce constat témoigne de la nécessité de concevoir des programmes et des services spécifiques pour cette population. Ce constat témoigne aussi de l’importance de mettre en place un système de soutien, de formation et de développement professionnel s’adressant aux intervenants du réseau de la santé et des services sociaux afin de bonifier l’aide et l’accompagnement qu’ils pourront offrir aux femmes dans leur processus de désistement, de rétablissement et de réinsertion sociale.

Synthèse

Lorsque questionnées sur l’adéquation des services et des pratiques auprès des femmes qui s’impliquent dans les activités de prostitution, les intervenantes exprimaient un grand sentiment d’impuissance. Les intervenantes veulent croire que les femmes ont les capacités de se reconstruire et d’évoluer vers une vie plus saine. Toutefois, leur confiance en ce changement était considérablement ébranlée par le manque de ressources disponibles, par le manque d’adéquation entre les services et les besoins des femmes, par les confrontations entre les postures idéologiques des organismes et par les barrières systémiques qui obstruent le parcours de vie des femmes en situation de prostitution. Il se dégageait clairement des propos des intervenantes « qu’elles faisaient ce qu’elles pouvaient avec le peu de ressources qu’elles avaient ». Dans ce contexte, les intervenantes tendaient à se trouver dépourvues de moyens concrets pour répondre aux besoins des femmes et

pour les soutenir dans leur processus de désistement, de rétablissement et de réinsertion sociale. Il s’en trouve que les interventions s’appuyaient d’abord et avant tout sur la volonté de changement des femmes et sur leurs propres capacités d’amorcer et de maintenir des changements à l’égard de leur implication dans la prostitution. Il devient alors impératif de considérer les pistes de solution proposées par les intervenantes, dont la création de centres d’hébergement et de centres multiservices dédiés aux femmes en situation de prostitution. De telles ressources permettraient le développement d’interventions sensibles aux besoins de ces femmes et favoriseraient une continuité des services, dans un contexte de soutien, de considération et de respect qui offrirait aux femmes un « espace-temps » sécuritaire et apaisant.