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Les problèmes plus spécifiques identifiés pour expliquer l'inadéquation des services actuels

LA FACE CACHÉE DE LA PROSTITUTION

4 RÉSULTATS DU VOLET INTERVENANTES

4.3 Le point de vue des intervenantes sur les services offerts au Québec aux femmes en situation de prostitution

4.3.2 Les problèmes plus spécifiques identifiés pour expliquer l'inadéquation des services actuels

4.3.2.1 Les coupes budgétaires et l'instabilité des ressources

L'insuffisance du budget et les coupes budgétaires figurent parmi les sujets qui ont été discutés avec le plus d'ardeur par les intervenantes lorsque celles-ci se prononçaient sur l'adéquation des services. Pour répondre convenablement aux besoins des femmes en situation de prostitution, les intervenantes revendiquent que les organismes qui offrent aide et soutien aux femmes en situation de prostitution aient plus de moyens et plus de stabilité sur le plan financier et davantage de ressources matérielles et humaines (Valérie, Laurence, Mylène, Geneviève, Émilie, Audrey). Des intervenantes ont fait valoir qu'en fin de compte, ce sont les femmes qui souffrent du manque de financement des organismes, en se voyant privées des services dont elles auraient besoin. Les doléances exprimées par les intervenantes face au manque de budget octroyé par le gouvernement étaient nombreuses et des messages tels que « on fait avec le peu qu'on a » et « on ne fournit pas » ont été rapportés par plusieurs intervenantes. L'exténuation de certaines intervenantes était palpable :

Puis trois mois pour avoir un suivi, c’est notre plus petite liste d’attente.

Elle a été de un an très longtemps … Puis ça, c’est pas parce qu’on le veut, inquiétez-vous pas, c’est vraiment pas … c’est parce qu’il y a trop de femmes et pas assez d’intervenantes. Donc on ne fournit pas. Pis en plus de ça, on nous coupe dans notre budget. On a failli perdre une intervenante … on s’est ralliées, on a été solidaires, pour ne pas perdre une intervenante. C’est vraiment pas un contexte idéal, du tout, parce que … c’est ça. Moins de ressources, manque de rapidité de ressources

… Probablement que la rapidité pourrait sauver ben des affaires, mais on ne peut pas inventer des ressources.

Je ne sais pas si on va arriver à faire ça, mais là, on est dans une situation dramatique : notre intervenante est partie en congé de

maladie, faque là, c’est moi qui assure presque toute l’intervention avec une autre intervenante, faque c’est dur, un peu, là. On n’a pas d’argent, les salaires sont bas, c’est exigeant, on travaille énormément, l’équipe est très petite, mais il faut constituer une équipe d’intervenantes où toutes les décisions se prennent entre nous, ensemble : qu’est-ce qu’on a fait, qu’est-ce que ça a donné comme résultats … j’ai fait une erreur … c’était pas le bon angle … il n’y a pas de recette magique.

Les intervenantes se soucient également beaucoup de l'instabilité des ressources humaines et financières et du manque de pérennité des initiatives qu'elles tentent de déployer pour bonifier l'offre de services. Elles expliquent que ces initiatives reposent généralement sur des subventions qui sont octroyées pour un temps précis. Or, une fois la subvention échue, ces initiatives risquent d'être délaissées faute de ressources financières ou au profit d'une autre initiative qui vient d'être subventionnée :

Mais tu sais, on est tout le temps en éternel changement. Faque la solution, ça serait vraiment… que les subventions changent pas !

4.3.2.2 Des écueils au travail de concertation et au partenariat

Des intervenantes ont souligné à quel point le travail de concertation et le partenariat entre les organismes étaient importants à leurs yeux pour intervenir de façon plus efficace et sensible auprès des femmes en situation de prostitution (Sarah, Audrey, Laurence, Sophie) :

De concertation. Vraiment là, je pense que c'est des équipes multidisciplinaires qu'il faut pour traiter des cas comme ça […] Si on fait ça, de concert avec des services autour, pis qu'on s'assure que ces gens-là ont des suivis, qu'on les met en lien avec des personnes qui peuvent les aider soit au niveau médical, soit au niveau de l'approche réduction des méfaits... Là par exemple on va peut-être avoir un impact sur ce qu'on va faire. C'est sûr ça demande du travail, ça demande de la concertation. Ça demande que nous on comprenne leur travail, que eux comprennent notre travail, pis dans quelle mesure on va le faire, mais c'est beaucoup plus durable.

Ce travail de concertation semble toutefois difficile à mettre en place, notamment en raison des différentes postures qui sont adoptées par les organismes en regard de la prostitution. Les intervenantes ont nommé différentes approches sur lesquelles elles s'appuient dans leurs pratiques (ex.: humaniste, féministe, motivationnelle, empowerment, abolitionniste, réduction des méfaits) et l’incompatibilité perçue

entre ces approches semble parfois une barrière à l'établissement de réseaux de concertation et de partenariats :

Une solidarité. [rires] J'assoirais tout le monde ensemble. J'ai essayé, ça a pas marché. Mais... je perds pas espoir là.

Je pense qu'il y a beaucoup d'organismes qui travaillent dans une approche de réduction des méfaits, mais il y en a très peu qui travaillent dans une approche abolitionniste, qui travaillent dans une approche qui vise à soutenir les femmes dans leur sortie de l'industrie du sexe. Ça, déjà, c'est un peu compliqué.

Moi je pense que si on veut veiller à ce que ça soit sain pour ces femmes-là, surtout dans l'état de vulnérabilité dans lequel elles se trouvent, moi je pense qu'il ne faudrait pas mêler les services d'aide socio... santé... ET le militantisme, je crois que ça nuit sincèrement, de ce que j'ai vu.

Des d'intervenantes (Karine, Laurence, Éveline) se désolaient aussi de constater que les services destinés aux femmes en situation de prostitution sont parfois offerts par des personnes qui n'ont pas nécessairement la formation ni l'expertise pour le faire:

Moi je trouve qu'il y a un enjeu majeur là, avec lequel on doit se battre là, c'est de trouver des ressources FIABLES qui ont toute l'expertise nécessaire pour traiter des cas aussi lourds. Beaucoup d'improvisation [...] On a vu beaucoup, beaucoup d'improvisation. On a beaucoup de gens qui viennent nous consulter pour avoir des informations sur le sujet parce qu'ils ont eu les octrois de subvention et qui s'en vont faire de la sensibilisation et on se dit « Il y en a tellement qui l'ont l'expertise pour le faire, pis ils ont pas les sous pour le faire pis c'est des professionnels » tu sais, c'est pas à [n'importe qui] à faire ça!

Enfin, des intervenantes rapportaient aussi que le travail en partenariat nécessite aussi que les différents intervenants du réseau des services sociaux et de la santé et les divers acteurs qui peuvent être appelés à prendre des décisions sur des aspects fondamentaux du parcours de vie des femmes (ex. : immigration, employabilité, aide sociale) soient davantage sensibilisés à la problématique de la prostitution (Sophie, Geneviève, Caroline, Joanie, Karine) :

Nous on fait beaucoup de références, mais les intervenantes ne sont pas formées à avoir une approche spécifique pour les femmes victimes d'exploitation sexuelle. Ça, c'est quelque chose qu'on trouve d'un peu nuisible dans le travail qu'on fait au quotidien avec elles et puis aussi au niveau, que ce soit de l'employabilité, que ce soit de l'aide sociale, c'est extrêmement dur parce que on demande toujours des justificatifs que

les femmes ne peuvent pas fournir, on veut que tout le monde rentre dans une case et pour les femmes dont on parle c'est ... un peu difficile.

Parce que les gens ont beaucoup de préjugés face à [la prostitution].

Puis c’est pas parce que tu travailles en relations humaines que nécessairement, tu n’as pas de préjugés. On en a tous puis c’est correct. Mais je pense que c’est pas tout le monde qui est conscient puis qui fait attention à ça. J’ai été témoin à quelques reprises de traitements assez dégradants.

4.3.2.3 Le morcellement des ressources

Le morcellement des services et des ressources constitue une autre limite importante relevée par les intervenantes. Puisque peu d’organismes viennent en aide spécifiquement aux femmes en situation de prostitution, celles-ci doivent consulter différents organismes pour répondre à leurs besoins, ce qui peut parfois s’avérer fastidieux (Karine, Élise, Amélie, Cindy). Les intervenantes déploraient que, dans certains cas, les femmes puissent se retrouver à devoir raconter leur parcours à maintes reprises, et ce, à divers intervenants pour recevoir de l’aide. Des intervenantes rapportaient de façon très éloquente comment ce morcellement des ressources complexifie considérablement le processus de désistement des femmes de la prostitution.

Les solutions pour aider les femmes à sortir de [la prostitution], c’est d’offrir le plus possible de services... Mais c’est difficile de trouver un organisme qui va faire de l’hébergement, aider au niveau financier, faire le soutien psychologique, travailler à rétablir les conséquences. Donc, il y a un morcellement des ressources, puis ça doit être vraiment très difficile pour les femmes de dire « Pour avoir de l’argent, faut que j’aille à l’aide sociale, donc il faut que j’aie une adresse fixe, donc, il faut que je me trouve une ressource d’hébergement… mais pour avoir une ressource d’hébergement, il faut que je règle ma toxicomanie. Fait que pour régler ma toxicomanie, ben, il faut que je travaille – si j’enlève ma toxicomanie, je retombe dans mes conséquences ... » Donc, on est splitté entre cinq ressources. Il y en a, des ressources, qui sont là pour aider les femmes, mais elles font chacun un petit bout du chemin, alors, il n’y a pas de ressource [à part une] que je connais qui est centralisée, il y a pas de ressources qui travaillent sur le "global" des femmes.

Je pense qu’il y a quelques organismes qui sont spécialisés en interventions et en sortie de la prostitution pour les femmes, mais dans la plupart des cas, les ressources existantes sont pas nécessairement adressées aux femmes dans la prostitution. Les femmes doivent faire

appel à plusieurs ressources, qui sont des fois liées ou pas liées, et ça fait en sorte que les femmes sont en contact avec plusieurs intervenantes, avec plusieurs professionnels... un peu de façon disparate.