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LA FACE CACHÉE DE LA PROSTITUTION

4 RÉSULTATS DU VOLET INTERVENANTES

4.3 Le point de vue des intervenantes sur les services offerts au Québec aux femmes en situation de prostitution

4.3.1 Les constats généraux sur l'inadéquation des services actuels

Les intervenantes sont nombreuses à avoir décrié le manque de ressources et de services destinés aux femmes en situation de prostitution. Ce point a été clairement identifié par des intervenantes qui œuvrent à l'extérieur des grands centres urbains, mais aussi par d'autres qui se trouvent dans de grands centres. Les propos suivants reflètent l'exaspération qui était ressentie par ces intervenantes qui œuvrent au sein de différentes régions du Québec :

Ici [en région], c'est des trous. C'est des trous, c'est plein de trous, des trous de service. Même pour aller passer des examens pour les maladies transmises sexuellement ... des bouts il y en a, des bouts il y en a pas, des bouts on les envoie à [une plus grande ville] ... (soupir). C'est ridicule, tout est compliqué pour avoir la moindre petite chose là... faut qu'elles marchent jusqu'à l'autre bout si elles n'ont pas de billet d'autobus ... tout est compliqué ici [...] Il y a jamais rien qui... ça fait

des années qu'on parle pis qu'on parle, pis qu'on parle, pis qu'il n'y a rien qui avance. On a pensé à une roulotte pour le monde de la rue, tu sais. On va avoir le temps de crever avant que ça arrive ici. C'est pas que je suis négative, mais je suis réaliste. C'est ça la réalité (soupir).

J'essaie juste d'être là dans le moment présent, pour ces femmes-là, dans ce qu'elles ont besoin, pis c'est tout.

Ne pas rester seule. Ne pas rester seule, mais encore, je vous parle des ressources et il y a peu de ressources au Québec. Si je dis à une femme

« Il est important que tu ne restes pas seule », mais « Où est-ce que je vais? Qui va m'aider là? »

Mais si tu me parles de prostitution, il y a rien de mis en place pour la prostitution ... à part LA fois par semaine où les femmes se réunissent...

pis encore, j'aimerais que ça soit plus, pis plus longtemps, pis tout ça.

Mais c'est ça.

L'inadéquation des services existants a aussi été fortement décriée. Plus de la moitié des intervenantes ont déploré que la majorité des services ne sont pas adaptés pour combler adéquatement les besoins de ces femmes, comme le reflètent ces citations :

Moi je trouve que les services ne sont pas adaptés. Vraiment. Les services ne sont pas adaptés. Mais ça ne veut pas dire qu'avec de la volonté on ne peut pas changer ça, mais pour le moment, les services ne sont pas beaucoup adaptés.

C'est parce que je trouve qu’il leur manque beaucoup d’aide. On leur ferme beaucoup de portes, à plusieurs niveaux. Je vous donne un exemple. J’ai une femme en suivi qui se prostitue, elle a des problèmes de consommation, puis en plus, elle est fortement bordeline. Elle veut s’en sortir, vraiment, elle a un suivi avec moi, elle a un suivi avec une intervenante, pour la prévention de suicide, parce qu’elle a fait plusieurs tentatives de suicide, elle se ramasse souvent à l’hôpital. Elle a un suivi également dans un centre de réadaptation en consommation. Bref…

donc la femme travaille fort pour s’en sortir. Mais elle s’est inscrite à la clinique de bordeline parce qu’elle trouve que ce qui la gruge le plus, c’est son trouble bordeline. La clinique de bordeline la refuse, parce qu’elle a des problèmes de consommation et lui demande un six mois d’être à jeun. Elle n’est pas capable de faire ça, donc là, elle s’en va au centre en cure, en désintox intense. Mais, c’est toujours compliqué, elle n’a pas d’argent … Je trouve que souvent, les femmes veulent s’en sortir, mais c’est ça. On les juge beaucoup, on les infantilise beaucoup, on les intimide. Faque ça te brise une estime.

Parmi les principales lacunes identifiées figurent les délais d'attente trop longs pour que les femmes puissent recevoir des services, surtout dans le domaine de la santé mentale. Une autre limite renvoie au manque de flexibilité des services, lesquels sont décrits comme n'étant pas suffisamment adaptés au mode de vie des femmes en situation de prostitution.

Elles ont besoin que les délais soient plus courts, parce que c'est vrai que c'est long entrer en thérapie, pis que c'est long avoir un hébergement si tu es mal prise et que tu as besoin de te sauver. C'est dommage parce que [les femmes en situation de prostitution] ne sont pas prêtes nécessairement à attendre, même une semaine ou deux.

C'est déjà beaucoup, en une semaine il s'en passe des choses... faque elles ont besoin que le chemin, pour quand elles sont prêtes à s'en sortir et à se prendre en main, soit pas autant difficile et qu'elles ne soient pas sans arrêt freinées par tous les fonctionnements, les délais d'attente ...

La société, elle en demande trop quand tu embarques dans un programme, pour quelqu'un qui est ben poqué... ils en demandent trop.

Ils ont trop d'exigences [...] C'est trop rigide, c'est trop... (soupir) ça fitte pas. Pantoute! Tu sais, faut que ça marche de même pis que ça marche de même, mais ça marche pas de même dans leur tête [...] Si il y a pas de programmes adaptés, il se passera rien. C'est clair qu'il se passera rien.

Je trouve que le réseau, pis là je parle de : hôpitaux, santé, CLSC, accompagnement, tu sais tout ce qui est réseau... je ne trouve pas qu'il est adapté aux populations qu'on dessert. Du moins, les femmes que nous on dessert. Le jour, les femmes qu'on dessert elles dorment, elles récupèrent d'une nuit mouvementée [...] Pis si toi, tu n'es pas encline à te déplacer à dix heures le matin ben... tant pis pour toi.

L'inadéquation des services se traduisait aussi, selon des intervenantes, par le jugement que peuvent ressentir des femmes en situation de prostitution lorsqu'elles consultent des services et qu'elles doivent dévoiler des informations plus sensibles sur leurs parcours de vie, comme en fait foi cet extrait :

Combien de femmes ne se pointent pas à Emploi Québec, mettons. Les femmes ont peur parce que, pour avoir accès à ça, faut que tu te dévoiles, tu sais... les agents chez Emploi Québec, ils posent des questions, ils demandent « Mais... comment ça se fait que tu as cinq ans, qu'est-ce que tu as fait entre tes dix-huit ans pis tes trente-cinq ans? » Pis là, ça fait que tu n'as pas le choix, pis si tu t'ouvres pas,

ben... tu... mens, pis ça paraît, pis c'est ça, tu sais... c'est comme elles sont prises et... [...] Après ça, l'aide sociale, tu te dis que si il y a quelque chose qui doit être facile à avoir accès, c'est l'aide de dernier recours ... Ben ... elles se présentent à l'aide sociale, elles se font poser des questions, elles veulent pas trop répondre, faque comme elles veulent pas répondre, ça a l'air louche, faque elles n’ont pas accès ...

4.3.2 Les problèmes plus spécifiques identifiés pour expliquer