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LA FACE CACHÉE DE LA PROSTITUTION

4 RÉSULTATS DU VOLET INTERVENANTES

4.2 Les souhaits des intervenantes pour le devenir des femmes impliquées dans la prostitution

4.2.6 Un long soupir d’impuissance

La majorité des intervenantes ont affirmé que leurs craintes pour le futur des femmes impliquées dans la prostitution étaient fondées et qu'elles reflétaient bien la réalité des femmes auprès de qui elles œuvrent. Des intervenantes affirmaient que leurs craintes étaient fondées aussi fortement que « du ciment » (Émilie), qu'elles étaient « malheureusement réalistes » (Joanie), ou qu'elles étaient validées au

quotidien par l'ampleur des difficultés dont elles sont témoins (Sabrina, Mélissa).

Certaines allaient même jusqu'à chiffrer les risques que leurs craintes deviennent réalité :

Ben c'est sûr que par exemple la mortalité, la criminalité, ça, ça peut être plus rare, donc il y aurait peut-être moins de risques d'aller vers ça, même si ça peut arriver. Mais dans l'état actuel où sont nos lois, je suis désolée de dire que je ne suis pas très positive là, mais je pense que elles peuvent à 95%... à 100% ne pas développer d'estime, à 95% développer une problématique connexe... à... je ne sais pas... à 70% devenir de mauvais parents.

Parce que il y a rien qui se fait là, pour le moment, on met rien en place là.

Des intervenantes tenaient tout de même à conclure sur une note plus optimiste ou à ajouter une touche d’espoir à leurs réponses (Sabrina, Laurence, Élise, Valérie, Éveline, Sophie). Toutefois, l’optimisme de certaines d’entre elles impliquait une série de conditions ou d’exigences (« si … », « mais … ») qui semblaient assez utopiques, si l’on se fie autant à ce que les femmes ont elles-mêmes rapporté dans le cadre de la présente étude qu’aux propos révélés par la majorité des intervenantes.

Je pars du contexte que c'est ça qu'elles veulent, la personne se dit un matin « Moi je veux tout ça pour être heureuse, pour être bien dans ma peau, pour sentir que je contribue à la société, pour me valoriser ». Moi je crois que toutes les femmes, même si elles ont hypothéqué une bonne partie de leur vie... si leur santé mentale est solide, si elles ont une capacité de résilience, si elles sont soutenues, si elles sont bien entourées, si la consommation ne vient plus nuire à la mise en action, si... je pense que... je ne crois pas qu'il y ait des femmes qui ne pourront jamais s'en sortir. Je suis peut-être trop positive dans la vie, mais moi je pense que toutes les femmes peuvent se sortir des situations qu'elles ne veulent pas vivre.

Pour moi très atteignable, mais faut être bien outillé, pis des fois, quand on est dans ce milieu-là, on peut pas s'outiller nécessairement tout seul, ça dépend là. Il y a rien qui est noir ou blanc... Mais on a besoin, quand on va demander de l'aide, qu'on nous permette d'accéder, pis de pouvoir reprendre le pouvoir sur notre vie.

Quelques intervenantes se sont montrées plus nuancées, en exprimant avoir espoir que les femmes seraient capables, avec de l’aide et du soutien, d’éviter que leur bien-être ou que leurs conditions se détériorent. De plus, toutes ces intervenantes ont livré un même message : le rétablissement des femmes impliquées dans la prostitution est possible, mais cela représente un processus long et complexe et les succès doivent se compter un petit pas à la fois. Quelques intervenantes ont tenu bon de préciser que, bien qu’elles croyaient au potentiel de changement des femmes, elles avaient beaucoup moins d’espoir face au potentiel de changement de la société.

Ce sont des démarches qui se font sur des années, cette concrétisation-là, peut arriver, je le sais pas moi, après dix ans de démarches, c'est très très long. Du coup, on n'a pas nécessairement d'exemple si fréquent que ça de « Ah, Okay! Tu sais, voilà! Voilà une femme qui s'en est sortie, qui va bien aujourd'hui, qui a un emploi qu'elle aime, qui a des relations qui sont positives avec ses pairs ».

On n'en a pas si souvent que ça, mais on en a... fait que j'ai confiance, j'ai confiance en général, que les femmes peuvent améliorer leur bien-être. Mais c'est pas envers elles que j'ai pas confiance, c'est envers... ce qu'on... en tant que société, ce qu'on leur offre réellement, pis les voies de facilitation qu'on leur offre réellement, c'est plus ça.

Des fois c'est une question d'années, de dizaines d'années... nous on rencontre ici des femmes dans la soixantaine, soixante-dix ans, il y a une madame qui avait quatre-vingt-cinq ans qui est venue parler pour dire « Je veux pas mourir avec ça »...

C’est sûr que se libérer des conséquences, c’est un processus qui est long. C’est un processus qui est long quand il y a beaucoup d’agressions. Donc, si on part du principe que la prostitution, c’est des agressions répétées, ça peut être un processus qui peut être très long, pour certaines femmes.

Tout compte fait, les propos de la majorité des intervenantes peuvent se résumer par le long soupir que plusieurs d'entre elles ont poussé lorsqu'il leur était demandé de se positionner de façon réaliste quant aux souhaits et aux craintes qu'elles avaient formulées. Ce soupir ne semblait pas du tout traduire un sentiment d’échec, ni en regard de leur travail, ni en regard des femmes auprès de qui elles interviennent. Ce soupir semblait plutôt traduire un sentiment d’impuissance face à la précarité des services pour les femmes en situation de prostitution, face à l’ampleur des conséquences de la prostitution sur le bien-être des femmes, et face

aux obstacles qui sont susceptibles d’entraver le parcours de ces femmes vers le rétablissement.

(soupir) C'est des craintes que, j'espère, ne se concrétiseront pas.

J'aimerais ça dire que ça arrivera pas, mais je pense que d'être victime, réalistement, il y a quand même beaucoup de chances que ça arrive. […] C'est pas super réaliste [de croire que mes craintes ne se concrétiseront pas], mais je trouve ça important qu'on y croit quand même, pis j'y crois quand même, même si je suis consciente que c'est pas réaliste... parce que je pense qu'elles le peuvent, mais que c'est pas toutes les femmes qui vont avoir... parce que outre leur volonté, leur tempérament pis leur persévérance, il y a des évènements de la vie en général qui nous mettent vraiment des bâtons dans les roues. Pis ces femmes-là, des fois ça leur demande un petit effort de plus de commencer les démarches quand, en plus, il y a un bâton de la vie qui se met dans leur chemin... mais elles retombent pis là, c'est de recommencer.

(silence) (soupir) De façon réaliste? Aille! C'est pas drôle! J'aurais tendance à dire « de façon réaliste, ça peut se réaliser à 100% » là, si on ne met pas en place des facteurs de protection, pour moi ça peut se réaliser à 100%. On en perd à tous les jours des femmes qui meurent... de qualité de vie détériorée, par la violence, l'abus sexuel, par le fait qu'elles ont consommé une dose mortelle... tu sais, je veux dire... c'est réaliste à 100% si on ne met pas en place des politiques pour les soutenir [...] Qu'on coupe des groupes de femmes qui soutiennent ces femmes-là, qu'on vienne mettre un bâton dans les roues pour que une personne n'ait pas accès à un médicament pour l'aider à s'en sortir, que le service ne soit pas adapté pour répondre à son besoin au moment où est-ce qu'elle en a. Ces craintes-là, ça existe tout le temps, c'est des craintes qui sont réalistes, à mon sens. Maintenant faut trouver des façons pour bloquer, pour éviter [que les femmes] se rendent là.

Synthèse

Les intervenantes ont exprimé plusieurs souhaits pour l'avenir des femmes impliquées dans la prostitution. Ces souhaits impliquaient à la fois des changements qui relèvent de la société, afin de permettre à ces femmes de vivre dans la dignité et d'avoir accès à de meilleures conditions de vie, et des souhaits qui se rattachaient au bien-être des femmes à travers l'actualisation d'elles-mêmes et le

renforcement de leurs liens avec leurs proches. Bien que ces souhaits étaient véritablement empreints de bienveillance et d'empathie pour les femmes impliquées dans la prostitution, ils étaient toutefois assombris par de nombreuses craintes que ressentaient les intervenantes en regard du devenir de ces femmes auprès de qui elles œuvrent. Dans l'ensemble, le discours de la majorité des intervenantes est plutôt pessimiste, voire fataliste en évoquant fréquemment la mort, et tendait à dépeindre un portrait très sombre pour le futur de ces femmes. La majorité des intervenantes jugeaient que leurs inquiétudes étaient bien fondées et qu'elles risquaient fort probablement de se réaliser, si ce n'était pas déjà fait pour plusieurs femmes. Cela dit, que les discours des intervenantes soient plus ou moins porteurs de pessimisme ou d’espoir, il demeure que l’ensemble de propos rapportés attestait de l'importance d'offrir du soutien, des programmes et des services ciblés et adaptés aux femmes en situation de prostitution.

4.3 Le point de vue des intervenantes sur les services offerts au