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LA FACE CACHÉE DE LA PROSTITUTION

4 RÉSULTATS DU VOLET INTERVENANTES

4.1 Conceptions de la prostitution selon les intervenantes

Les intervenantes ont été questionnées sur la façon dont elles concevaient la prostitution. De leurs propos, quelques conceptions de la prostitution se dégageaient clairement, mais celles-ci n'étaient pas mutuellement exclusives.

Certaines intervenantes ont ainsi expliqué que leur conception de la prostitution avait changé au fil du temps, et plus souvent, qu'il y avait plusieurs visages à la prostitution, donc plusieurs façons de concevoir la prostitution des femmes.

Également, les conceptualisations rapportées par les intervenantes reflétaient généralement la posture des organismes au sein desquels elles œuvraient quant à la façon de comprendre et de réagir à la problématique de la prostitution.

D'une part, environ la moitié des intervenantes ont abordé la prostitution sous l'angle de l'exploitation sexuelle de la femme.

La prostitution c'est une forme d'exploitation sexuelle. [...] Le fait d'être une femme fait qu'on peut vivre de la discrimination, de différentes formes. L'agression sexuelle, c'est une façon de maintenir les femmes dans la peur, de maintenir, dans le fond, l'emprise sur les femmes. C'est une façon d'acheter les femmes, d'acheter la sexualité des femmes.

Quelques intervenantes ont toutefois précisé que, pour elles, la prostitution ne représentait pas systématiquement une forme d'exploitation sexuelle, mais que de s'impliquer dans des activités de prostitution pouvait très bien y mener (Sabrina, Caroline). La différence tiendrait alors dans le consentement ou non de la femme qui s'implique dans la prostitution. La prostitution était alors considérée comme de l'exploitation sexuelle dans la mesure où il y avait absence de consentement.

Intervieweuse : Est-ce qu'il y a des comportements que tu inclurais ou que tu exclurais de la prostitution?

Intervenante : Ben… que le moindrement que la femme soit consentante. Sinon, ça devient vraiment de l'exploitation.

D'autre part, plusieurs intervenantes ont discuté de la notion du "choix" de s'impliquer dans la prostitution. Une minorité d’intervenantes a mentionné que la prostitution pouvait être un choix personnel, bien que leur discours laissait entendre que la prostitution pouvait, dans certains cas, ne pas constituer un "vrai choix" ou pouvait représenter un choix "mal éclairé" pour les femmes (Maude, Caroline).

Je pense que c'est un choix personnel qui leur appartiennent pis je pense pas... je les vois pas nécessairement toutes comme des victimes d'exploitation. Pas toutes. Certaines oui, mais pas toutes.

Prostitution… ouais, ça serait un choix qu'une femme prend pour des raisons économiques, des fois pour arrondir les fins de mois … Mais la ligne est fine, c'est ça, la ligne est fine. Il y a des fois où t'as l'impression de faire ce choix-là parce que mettons, tu tombes en amour avec un garçon, puis il est dans la merde, puis là la ligne fine, c'est comme « Ah, pour te dépanner, tu sais, pour payer ta conso, je t'aime beaucoup pis tu m'apportes quelque chose de bien, tu me fais sentir femme… ».

Or, les propos relatifs à la notion de "choix" renvoyaient surtout au fait que le choix de s'impliquer dans la prostitution n'en était pas vraiment un. Cette position a été exprimée par la moitié des intervenantes.

La prostitution vient souvent comme une conséquence, comme une suite à d'autres formes de violences. L'inceste en est une d'elles, la violence physique pendant l'enfance ou pendant l'adolescence, la violence conjugale aussi... Vouloir trouver une autre liberté, d'une situation qui est difficile et qui est très violente, ne représente pas un vrai choix. Quand tu essaies de choisir une situation meilleure pour sortir d'une situation déjà difficile, mais le choix est aussi une autre forme de violence, alors on ne peut pas parler d'un vrai choix.

Soutenant cette posture du "non-choix", des intervenantes faisaient alors une lecture plutôt sociale de la prostitution. Si certaines ont parlé d'un « problème de société » (Cindy, Laurence), d'autres ont expliqué l'importance des conditions structurelles dans lesquelles se retrouvent les femmes impliquées dans la prostitution, conditions qui les entraînent et les maintiennent dans la prostitution.

Pour ces intervenantes (Élise, Jessica, Joanie, Geneviève), la prostitution est l' «une des violences faites aux femmes qui est la plus banalisée et la plus taboue»

(Jessica). Plusieurs intervenantes ont par ailleurs décrié le fait que la société entretienne l'idée selon laquelle la prostitution constitue un libre choix pour les femmes qui s'y impliquent (Amélie, Émilie, Sabrina, Mélissa).

Il y a beaucoup de préjugés par rapport aux gens qui font le métier de prostitution, même des préjugés favorables parce que c'est plus facile en tant que citoyen faisant partie de la société de dire, ou de même de penser, que ces femmes-là choisissent le métier de façon volontaire, parce qu'elles s'accomplissent et s'épanouissent. Je pense que quand on

a une vision comme ça, on ne se pose plus de questions après pfff, c'est un choix volontaire individuel. [...] On va dire « Oui, mais ça répond à un besoin, parce que les hommes ont besoin de... » non. Je ne suis pas d'accord...

Je pense pas que c’est une priorité dans les services non plus [...] On s’arrête pas à ça [la prostitution], puis on reconnaît pas non plus le problème de l’exploitation sexuelle. Ou, à la limite, on différencie les deux : de la traite, c’est de l’exploitation pis c’est pas bien, mais de la prostitution, c’est bien, parce que c’est un choix, ce qui est faux.

Malgré les différentes postures des intervenantes en regard des notions

"d'exploitation sexuelle" et de "choix", la majorité s'entendait et mentionnait que la prostitution représente un moyen utilisé par les femmes pour répondre à leurs besoins et ces besoins pouvaient être autant affectifs, matériels que financiers.

Un service quelconque, pour remplir un besoin quelconque, d'offrir son corps en échange d'une rémunération ou d'affection ou peu importe là, pour combler un besoin. Alors souvent c'est plus en lien avec des moyens financiers, mais c'est utiliser son corps pour... vendre son corps pour... en échange d'un service, d'un besoin à combler. Qu'il soit financier [...] logement, affection, amour, ça peut être un peu de tout, c'est pas nécessairement pour de l'argent uniquement.

Pour moi, la prostitution c'est tout ce qui implique un marchandage de corps, c'est-à-dire un échange de services, soit en monétaire soit en biens. Ça pourrait être exemple : un loyer gratuit, mais quand l'utilisateur ou le client va demander un... il va exploiter finalement le corps de la femme, soit par toucher, soit par toute sorte de formes sexuelles, sous toutes sortes de pratiques sexuelles diverses là finalement dans un but de marchander. Donc ce qui inclut aussi par exemple la danse dans les bars, mais donc de la danse à de la prostitution de rue... à l'escorte...

Cinq intervenantes ont ajouté que la prostitution pouvait également représenter un moyen de survie pour certaines femmes afin de combler leurs besoins de base (Isabelle, Laurence, Cindy, Maude, Geneviève).

C'est un moyen de survie pour subvenir à leurs besoins, pour avoir un toit sur la tête, pour consommer, pour combler des besoins de base que l'État ne comble pas.

Enfin, d'autres intervenantes ont défini la prostitution en regard de ses conséquences destructrices pour les femmes.

C'est une voie destructive, qui apporte rien de bien à la personne, même si elle pense, par rapport à l'autre personne qui l'a recrutée et va lui faire miroiter des rêves, même si elle pense qu'elle va avoir quelque chose au bout du compte qui va être bon, c'est quelque chose de pas bien.

Pour moi c'est très très large, je vois la prostitution un peu comme une forme d'exploitation vraiment très, très destructrice et je trouve que c'est très banalisé aussi quand même. C'est ça, tout ce qui est la douleur que les femmes vivent, pis tout ça, moi c'est beaucoup ça que je retiens là-dedans.

C’est tout le temps : si c’est pas verbal, c’est physique, si c’est pas physique, c’est sexuel. Il y a toujours de la violence. C’est un acte de violence [la prostitution] en partant, c’est clair. Puis même si le client est pas violent et semble respectueux… acheter quelqu’un, c’est violent à la base. C’est dégueulasse à la base. C'est ça.

Synthèse

Les conceptions des intervenantes s'étendaient sur un large continuum, allant de l'exploitation sexuelle, à un choix plus ou moins volontaire ou plus ou moins éclairé.

Malgré ces différences, la majorité des intervenantes définissaient la prostitution comme une forme de marchandage du corps de la femme afin que celle-ci comble des besoins affectifs, matériels ou financiers.

4.2 Les souhaits des intervenantes pour le devenir des femmes