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Les pratiques ne doivent pas se définir selon un modèle déterministe qui confinerait les femmes à leurs parcours de victimisation, allant des agressions sexuelles vécues à l'enfance aux victimisations vécues dans le contexte de la prostitution [158, 193].

Il n'en demeure pas moins que les pratiques doivent s'actualiser à travers des approches sensibles au trauma [190, 191]. Nos résultats quantitatifs et qualitatifs ont rapporté les effets très dévastateurs de la prostitution sur le bien-être psychologique des femmes. Ces dernières présentent des symptômes liés au trauma qui se caractérisent par leur variété, leur intensité et leur persistance. Les programmes et les services sensibles au trauma doivent permettre aux femmes de

comprendre comment les expériences potentiellement traumatiques qu'elles ont vécues affectent les différentes sphères et de leur vie et façonnent leurs besoins.

Ces programmes et services doivent aussi permettre aux femmes de reconstruire l'histoire de leur vie pour y donner une signification. Muraya et Fry [191] ont identifié six éléments clés sur lesquels devrait reposer une intervention sensible au trauma. Ces éléments se positionnent de façon tout à fait complémentaire avec les autres constats émis précédemment :

• Prioriser la sécurité physique et psychologique des femmes en situation de prostitution ;

• Intervenir de façon simultanément sur la cooccurrence d'autres difficultés ;

• Promouvoir le pouvoir d'agir des femmes ;

• Offrir des occasions aux femmes pour qu'elles construisent leur résilience ;

• Redonner le plus possible le sentiment de contrôle et de choix aux femmes ;

• Limiter le risque de revictimisation.

Dans ce contexte, l’établissement d’une relation sécurisante, chaleureuse et de confiance entre les prestataires de soins et les femmes en situation de prostitution est essentiel [158]. Une telle relation permet aux intervenants d’accéder aux besoins des femmes et de favoriser leur réceptivité à l’intervention. Cette relation permet aux femmes, de leur côté, d’explorer de nouveaux moyens pour développer leur estime, leur identité et leur résilience. Le but est de créer un environnement sécurisant et respectueux dans lequel les femmes pourront reprendre le contrôle de leur vie et s'apaiser. Considérant les nombreuses expériences de stigmatisation et d'oppression qu'ont rapportées les femmes ayant participé à notre étude, conjuguée aux schémas de méfiance, d'abandon et de rejet qui teintent leurs relations interpersonnelles, les schèmes relationnels des intervenants doivent incontestablement promouvoir une relation thérapeutique basée sur la justice, l'honnêteté, le respect et la considération.

6.1.1 Constat 5 : Favoriser la consolidation des liens avec des personnes significatives de l'entourage

L'accès à du soutien social informel constitue un vecteur important de changement [160]. Le réseau social des femmes est souvent à reconstruire une fois qu'elles cessent leur implication dans la prostitution. L'un des résultats très encourageants de notre étude qualitative se rapporte aux bienfaits du soutien des membres de la famille et des amis proches. Les femmes qui bénéficiaient du soutien de leur famille y trouvaient un ancrage précieux pour aller chercher de l'aide, que ce soit sur le plan financier ou émotif ou pour y puiser des sources d'inspiration positives. Plus

encore, le dévoilement de l'engagement dans la prostitution aux membres de la famille, aux parents et même aux enfants selon leur âge, constituait un point d’appui, voire le levier à activer pour favoriser leur bien-être et leur sortie du milieu prostitutionnel.

6.1.2 Constat 6 : Établir un continuum de services incluant la protection, le rétablissement et la réinsertion sociale et une continuité des services dans le temps

Nos résultats ont montré que les besoins des femmes en situation de prostitution sont multiples et complexes. Ces femmes tendent à cumuler plusieurs facteurs de vulnérabilité, que leur engagement dans la prostitution est fortement susceptible d'exacerber. Leurs besoins se déploient dans de nombreuses sphères de vie, que ce soit sur le plan des conditions de vie, de la santé mentale, des relations interpersonnelles ou de l'identité personnelle et sociale.

Considérant les multiples besoins à considérer, Muraya et Fry [191] ont élaboré un modèle de continuum de services qui représente également le processus du désistement. Les services de protection sont au premier rang, pour répondre aux besoins urgents et de base des femmes (ex. nourriture, vêtements, soins médicaux, repos, hébergement sécuritaire). Viennent ensuite les services qui se situent dans une visée de rétablissement. Ces services se caractérisent par des interventions intensives pour aider les femmes à rétablir leur santé psychologique et à développer des mécanismes de résilience. Au bout du continuum se trouvent les services qui soutiendront la réinsertion sociale des femmes. Des interventions visant l'acquisition ou la consolidation d'habiletés fonctionnelles et sociales, le renforcement du réseau de soutien, la formation socioprofessionnelle et la poursuite du développement identitaire sont alors de mises afin de soutenir les femmes dans leur progression vers un mieux-être et afin qu'elles reprennent leur place dans la société.

Par ailleurs, le parcours de prostitution des femmes n’est habituellement pas un parcours linéaire. Celui-ci peut se caractériser par de l’ambivalence, par des incertitudes et par des tentatives plus ou moins fructueuses de diminuer ou de délaisser les activités de prostitution. Les services doivent donc être conçus de façon flexible et en adéquation avec la complexité des parcours de ces femmes. Les interventions doivent prendre place en fonction du rythme propre à chaque femme, de façon individualisée plutôt au moyen d'une approche unique ("one-size-fits-all") et en concevant les allers-retours entre la sortie et le retour dans la prostitution comme une composante du processus de désistement et non comme un échec [190].

Constat 7 : Créer des centres multiservices et des ressources