9. ANNEXES
9.5. E XTRAITS DE L ’ ENTRETIEN DE S OLANGE
9.5. Extraits de l’entretien de Solange
1. Introduction à l’univers de Solange par la discussion sur les opinions.
Qu’ils puissent exprimer une opinion, qu’elle puisse être discutée… j’aimerais bien qu’ils sortent du jugement … par exemple on sort de la moquerie simple pure et dure pour aller vers plus d’empathie, de compréhension de l’autre et alors aider
On va dépasser le simple jugement et on va essayer de dépasser ce qui est visible pour aller plutôt du côté de l’analyse
2. Introduction de l’adjectif neutre.
Finalement le dénouement c’est eux‐mêmes qui l’ont trouvé. Les savoirs faire venaient d’eux et moi je suis restée n…, non pas neutre mais en retrait
Non je ne peux pas utiliser neutre, non, c’est en retrait. Je peux me retirer à ce moment là et
j’aime bien leur dévoluer la tâche en fait. Déjà dans les apprentissages même, mais aussi dans les discussions qu’on peut avoir… qu’ils soient le plus maître de leur propre vie en fin de compte, c’est ça, qu’ils arrivent à dire oui, non, ça me plait, ça ne me plait pas et dire pourquoi
Ce mot est très ambigu…parce que j’ai l’impression que ça n’existe pas … que suivant sous quel angle on l’analyse la neutralité n’existe pas
Donc là je repensais à cette situation en me disant qu’au moment où ils ont décidé de faire la carte je suis restée neutre, mais je ne suis pas restée neutre du tout … puisque je les ai emmenés là où je voulais qu’ils arrivent
3. Introduction du premier mot‐clé : « ne pas prendre parti »,
Dans le questionnaire que tu m’avais fait passé, pour moi la neutralité c’est… presque être en dehors d’une situation, c’est ne pas prendre parti
Là j’ai pris parti, je n’étais pas neutre, c’est simplement que je leur ai laissé la possibilité de faire ce qu’ils souhaitaient, à un moment donné
Je dirai qu’à partir du moment où on est là, il n’y a plus de neutre, il n’y a pas de neutralité…
parce que rien que la présence, notre présence ce n’est pas neutre… la présence de l’humain déjà en tant que telle, même si on ne bouge pas, qu’on ne dit rien … notre présence induit un manque, une absence de neutralité
On entend, on surveille, on peut avoir peut‐être un subreptissement, une expression qui passe sur notre visage ou un geste, quelque chose qui fait que tout à coup on perd la neutralité
Moi, si on voulait la neutralité dans son absolu, alors ça serait pratiquement synonyme du néant… du rien, voilà… mais là je te dis je suis déjà vraiment bien loin dans mon analyse, si je reprends à un degré beaucoup plus humain et quotidien … à ce moment‐là être neutre ça serait ne pas prendre parti … ça serait se sortir d’un débat, même pas forcément d’un conflit, mais d’un débat, d’une discussion, d’une activité, disant : « ben non je ne prends pas parti »
4. Introduction du 2ème mot‐clé : « dévoluer la décision et la réflexion »
Quand ils ont eu l’idée de faire la carte, je ne me suis pas retirée en leur disant : « je vous laisse vous débrouiller, faites ce que vous voulez ». J’ai cautionné, en disant : « c’est bien, c’est une excellente idée, prenez le papier dans tel endroit ». Je les ai aidés à organiser, donc là c’est plus neutre du tout puisque je valide… donc j’ai donné mon opinion, « c’est bien », donc ce n’est plus neutre du tout là. Le neutre, il aurait vraiment fallu que je me sorte de la situation en disant : « et bien voilà, faites ce que vous semblez bon » et là, à ce moment, je leur dévolue la décision, la réflexion
Là je n’interviens plus dans leur décision et dans leur débat intérieur… je suis impassible, je suis neutre, je ne m’en occupe pas, voilà. Donc pour moi la neutralité se rapproche toujours aussi d’un sujet. C'est‐à‐dire, je suis neutre par rapport à leurs apprentissages, mais je ne suis pas neutre par rapport à la situation dans laquelle je les mets
Je leur dévolue la tâche, donc à ce moment là je rentre dans la neutralité parce que je vais refuser de prendre parti dans tout ce qui va pouvoir impliquer cette tâche… par contre, là où je ne suis pas neutre, c’est à un autre niveau, c’est moi qui décide : « est‐ce que je vais les faire travailler de cette manière là ou pas, est‐ce que je vais me sortir de la situation ou pas » et là je ne suis plus neutre du tout, au contraire, là je suis totalement partie prenante, parce que je décide moi‐même que dans telle circonstance c’est mieux pour eux qu’ils soient tout seul
5. Explication des niveaux de la neutralité.
C’est simplement des regards différents, comme si on portait des lunettes différentes sur une même situation. Donc c’est pour ça que pour moi c’est extrêmement complexe la neutralité Donc chaque fois que tu te positionnes sous un angle de vue différent de la situation, tu peux l’analyser différemment, et à ce moment là la neutralité devient caduque, ou non
6. Explication du choix d’être neutre.
Disons que dans l’absolu, c’est intrinsèque à moi, donc c’est oui ou c’est non, c’est moi qui décide si je ne veux plus être neutre
La neutralité c’est toujours moi qui décide, c’est toujours en moi, ils ne vont pas pouvoir me forcer, c’est simplement que je craque avec la pression
7. Réflexions sur la neutralité.
Je prendrais mon temps pour dire les bons mots, pour être sûre que ce que je vais dire ne sera pas lourd de conséquences. Donc de la prudence. Oui un peu de peur effectivement, ou malaise, un peu mal à l’aise, de se sentir sur le fil du rasoir et ne pas être bien sûre qu’on met les pieds où il faut C’est pas pareil d’être neutre dans un discours ou dans ses actes… parce que dans l’acte, là je te disais la neutralité c’est ne pas prendre part et dans le discours ça pourrait aussi être ne pas prendre part c’est sûr, mais ça peut aussi être ce qu’on dit, le contenu de du discours qui peut être fait pour être suffisamment neutre
Effectivement, il y a des valeurs communes à l’école, telles que le respect par exemple. Je pense que ça doit être la valeur clé de l’institution scolaire. Mais quand j’aborde un sujet qui est délicat, où je ne suis pas sûre de ce que j’ai le droit de dire ou de ce que je n’ai pas le droit de dire, j’avais parlé de la Chine et du Tibet, je vais reprendre cet exemple là, à ce moment là je réfléchis très minutieusement à mes paroles ou à mon discours de manière générale, de manière à rester dans une neutralité, que les enfants ne prennent pas forcément position, mais expliciter les différents points de vue sans laisser transparaître quelle serait mon opinion personnelle là derrière, ça je prends bien soin qu’ils ne le sentent pas
8. Explication d’une technique liée à la neutralité : la balance.
En montrant des aspects positifs des deux côtés, ou des aspects négatifs des deux côtés, … ou alors trouver le pendant aussi. Mais vraiment faire une sorte de balance. Que ce soit équilibré et équitable dans ce que je dis, pour que les enfants finalement se retrouvent au milieu, avec les deux balanciers au même endroit de notre balance
On va dire que l’objet de la controverse est là au milieu… la controverse c’est le pilier et ensuite les arguments sont d’un côté, les contre‐arguments sont de l’autre, et puis ça va faire pencher
une opinion d’un côté ou de l’autre. Si je veux être neutre, je veux que ça ne penche ni d’un côté ni de l’autre, je veux que ça reste au même niveau
9. Explication de la manière de procéder de Solange.
Dans les actions … ça peut être de dire : « moi je ne veux pas traiter de cette controverse » … On me donne cette balance en me disant : « toi tu préfères quel côté et puis je te dis non », c’est aussi de la neutralité. Je trouve au niveau de mes valeurs personnelles, que c’est un petit peu fuyant tout ça, mais c’est aussi une forme de neutralité. C’est : « je ne prends pas parti » donc c’est une forme de neutralité, puisque il n’y a pas d’opinion qui est donnée
A ce moment là dans les actes, c’est soit tu fais soit tu ne fais pas. Si tu ne fais pas, on peut imaginer que ça peut être un souci de neutralité. Puis comme je disais avant, le côté acte ça s’analyse encore de deux points de vue ; l’acte en soi ou la décision de ne pas faire
Je l’équilibre [la balance] pour pas que les enfants ils aient le sentiment que j’ai fui, ou, au contraire, qu’on leur cache quelque chose. Pour moi, c’est extrêmement important que toute décision ait du sens pour l’enfant, qu’elle soit expliquée
Si je décide de prendre la balance et puis du coup d’expliciter le pourquoi du comment, à ce moment là je vais équilibrer ma balance pour qu’il y ait les différents points de vue. Il [l’élève] se fera son opinion à lui dans sa tête, en fonction des différents points de vue, mais ce n’est pas moi qui vais lui insuffler le mien
10. Explication de la notion de bien‐être des élèves.
Je pense que c’est le bien être de l’élève qui prime, de l’élève ou des élèves … donc je vais intervenir si j’estime que si je ne fais rien ça sera insensé et que ça va plus conduire à de mauvaises pensées ou à des jugements un peu hâtifs… c’est évident que je vais en parler, donc je vais intervenir
Et bien il faut que les deux parties comprennent la réaction de l’un et l’autre et à ce moment là hop, je sors la balance du point de vue de la neutralité, voilà
Je rétablis toujours, de manière à leur montrer qu’il y a plusieurs arguments possibles en fonction des points de vue … ils me donnent un point de vue, mais je leur rappelle qu’il y en a d’autres, voilà… simplement, qu’ils ne disent pas : « moi j’ai raison, toi t’as tort », mais qu’ils soient conscients qu’ils peuvent penser quelque chose mais que d’autres peuvent penser autrement et que ça serait tout à fait justifiable en plus de ça
11. Explication de l’exemple Chine‐Tibet.
Quand on a abordé ce conflit Chine‐Tibet… là mon opinion, là c’était une autre paire de manche alors, parce que j’avais envie de crier haut et fort que le Tibet c’est un peuple opprimé depuis des
années, voir des siècles… et tu ne peux pas, et là franchement là c’était violent alors, C’était extrêmement difficile à vivre. On ne pouvait pas. J’avais envie de saisir là une opportunité de pouvoir enfin ne pas être neutre, pouvoir apprendre aux élèves à s’exprimer
Quand j’enseigne j’essaie de faire en sorte que les enfants ils ne rentrent pas à la maison avec une idée reçue
J’avais presque envie de faire passer un message d’avenir et d’espoir, c’est comme transmettre des valeurs écologiques. C’est comme une éducation au futur. C’est comme former la future génération qui prendra soin de la planète
Je me disais : « et bien super, j’ai en mes mains le pouvoir de leur glisser une graine dans la tête, qui, peut‐être, pourra donner une plante plus tard » et en fait je me suis retrouvée coincée parce que j’ai voulu ne pas être neutre du tout et je me suis retrouvée avec une élève chinoise qui m’a obligé à l’être. Donc je n’ai pas pu faire ce que je voulais, parce que là je ne voulais pas être neutre. Vu que le respect de cette gamine était primordial et que j’avais aussi très, très peur que les parents viennent me taper dessus bien sûre, je n’allais pas mettre de petites graines dans la tête de mes élèves là
Après si tu lis entre les lignes, tu te rends compte qu’évidemment ce n’était pas si neutre que ça, mais au moins il y avait deux opinions, il y avait deux points de vue
12. Résumé des éléments significatifs de la pensée de Solange, issus du message qu’elle transmet à un(e) hypothétique jeune collègue.
« Ayez du bon sens » … certains actes, certaines paroles, certaines décisions prises comme ça à chaud, dans l’urgence… il faut avoir un tout petit peu de bon sens pour sortir de la situation Ne pas hésiter à prendre le temps de la réflexion, le bon sens ça serait de se dire : « trop épineux je reviens demain ». Donc on prend le temps de la réflexion, on ne se stresse pas. Faire les choses gentiment
Si je sentais qu’il valait mieux que je passe sur le sujet, et bien ça serait la décision que je prendrais. Si je me dis : « je peux l’aborder ce sujet, mais il faut que je me prépare » je le ferai plus tard … c’est ça pour moi le bon sens, c’est simplement prendre la bonne décision
En discuter avec quelqu’un, que ce soit collègue, parents, amis …avoir les conseils de quelqu’un d’expérimenté
En cas de doute, s’il y a le plus micro des doutes, c’est reporter
Si on nous conseille de ne pas revenir sur le sujet et bien on ne revient pas sur le sujet. Ca dépend du thème aussi, bien évidement
FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET A rendre avec le procès-verbal
DES SCIENCES DE L’EDUCATION et les 2 exemplaires du mémoire
SECTION DES SCIENCES DE L’EDUCATION
MEMOIRE DE LICENCE
Nom : QUENZER Prénom : MURIELLE
Mention choisie : RECHERCHE ET INTERVENTION
Commission de mémoire :
1) Janette Friedrich (directeur) 2) Caroline Dayer 3) Nadine Fink
Titre du mémoire de licence :
La neutralité : Regards croisés sur l’enseignement primaire public
RESUME
Ce mémoire analyse le concept de neutralité dans le système scolaire. Il est en effet intéressant de constater que celle-ci ne figure pas en tant que telle dans la Loi sur l'instruction publique du canton de Genève. Cette recherche tente donc de mettre en perspective, d’une part, des auteurs qui ont fait de la neutralité un objet d’étude et de l’autre, des enseignants, dont la réflexion sur la neutralité est mise en évidence par leurs pratiques professionnelles. La première partie du cadre théorique expose des penseurs tels que Jules Ferry, Ferdinand Buisson, Jean Jaurès, à la lumière d’une question : A quoi la neutralité sert-elle ? La seconde partie présente d’autres conceptions de la neutralité (Max Weber, Roland Le Clézio) qui contredisent, vérifient ou amplifient les visions de la neutralité introduites jusque-là. Il s’en suit une investigation auprès des enseignants, réalisée au travers d’un questionnaire et d’un entretien, afin d’étudier sous quelles formes la neutralité existe dans l’enseignement primaire public, de quelles manières elle s’exerce et comment les enseignants la traduisent et la transforment dans leur quotidien. L’analyse des résultats obtenus constitue la dernière phase de ce mémoire, dans laquelle le savoir détenu par les enseignants et les références théoriques se complètent, pour permettre de mieux comprendre la neutralité au sein d’une réalité scolaire contextualisée.
Genève, le 26 août 2009