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2.  CADRAGE THEORIQUE

2.3.   L ES CONCEPTIONS DE LA NEUTRALITE AU  XX EME SIECLE

2.3.3.  Max Weber (1864‐1920)

2.3.3. Max Weber (1864‐1920) 

Nous aborderons, par le récent travail de traduction et d’analyse de la sociologue et  germaniste Isabelle Kalinowski (2005), la pensée d’un auteur, Weber, dont la réflexion  sur  la  neutralité  se  situe  au  niveau  universitaire,  entraînant  ainsi  des  différences  intéressantes par rapport au public de l’école primaire qui nous occupe.   

Selon Kalinowski (2005), la neutralité est considérée par Weber (1919/2005) comme 

« suspecte » (p. 197), utilisée « dans un sens négatif, pour dévoiler un mensonge » (p. 

197). Il ne s’agit ainsi que d’une « prétendue neutralité » (p. 197) et d’une « neutralité  qui n’est que de papier » (p. 197). Kalinowski nous propose une expression qui, selon  elle, est plus à même de représenter les idées de Weber : « la non‐imposition des  valeurs » (p. 199). Cette introduction des pensées de Weber par Kalinowski s’oppose à  celle proposée par Julien Freund (1965). La  neutralité avait, en  effet, été qualifiée  d’ « axiologique »33 (Freund, 1965, cité par Kalinowski, 2005, p. 193), signifiant par‐là le  refus de la part du savant de prononcer tout jugement de valeurs. Pour Kalinowski, la  neutralité axiologique visait ainsi, à un niveau plus politique, un « non‐engagement du  savant » (p. 191), un silence obligatoire qui ne correspond pas aux idées de Weber34.  Cette  auteure  contredit  donc  Freund,  la  dichotomie  qu’il  propose  étant  pour  elle        

33 L’axiologie se définit comme « la théorie des valeurs morales » (Dictionnaire Hachette, 2006) 

34 Pour cette auteure, les propos de Weber ont été utilisés à des fins politiques, pour contrer une vision des intellectuels comme 

personnalités engagées.   

erronée  :  «  Julien  Freund  construit  son  interprétation  sur  le  couple  neutralité/ 

engagement ; j’affirme pour ma part que l’opposition pertinente est  ici celle de la  Wertfreiheit et de la propagande » (p. 198).  

Selon  cette  sociologue,  la  Wertfreiheit,  est  pour  Weber  le  synonyme  d’une  non‐

imposition des valeurs (p. 199) du savant et du professeur, dans leur cadre professionnel. 

Afin  de  mieux  appréhender  l’univers  de  pensée  que  ces  éléments  développent,  Kalinowski (2005) explique que :  

  La problématique de la Wertfreiheit n’est pas celle de l’existence de valeurs en    soi, ou de l’adhésion en soi à des valeurs, mais celle de l’usage malhonnête qui    peut être fait des valeurs lorsqu’elles sont présentes sans être données comme    telles, lorsqu’elles sont « masquées », « cachées » […] connotées au lieu d’être    explicitées et assumées au grand  jour. (p. 199)  

Cet élément se retrouve dans la traduction de Colliot‐Thélène (2003), qui explique aussi  que  la  nuance  n’était  pas  l’opinion  elle‐même,  mais  ses  conditions  d’expression,  nécessitant « un lieu d’échanges et de confrontations, où l’engagement était légitime  parce qu’il était exposé à la discussion et à la critique » (p. 31). Dans ces conditions,  l’université, tout comme la classe, ne faisaient pas partie des lieux où le professeur  dispensait ses valeurs. Cela revient à dire, pour nous, que les enseignants ont le droit de  développer intérieurement n’importe quelles opinions personnelles, à la condition de ne  pas vouloir les imposer ou en faire de prosélytisme. S’il est concevable de pouvoir  consciemment consigner des convictions au plus profond de l’être et les tenir à distance  de la classe, la situation devient difficile à envisager lorsque ces mêmes opinions se  transmettent de manière inconsciente, laissant les enseignants sans prise aucune sur ce  phénomène : « L’éducateur dit toujours plus que ce qu’il dit, puisque c’est une voix, un  visage et un corps qui le disent […], une présence donc, qui est toujours présence de  quelqu’un à quelqu’un, irrémédiablement intentionnelle » (Meirieu, 1994, p. 39).  

La  Wertfreiheit,  présentée  par  Kalinowski  (2005),  signifie  qu’il  faut  « s’abstenir  volontairement  d’imposer,  dans  le  cadre  de  l’amphithéâtre,  les  valeurs  dont  le  professeur peut parfaitement se faire le propagandiste dès qu’il a quitté la salle de  cours» (p. 200). Celui‐ci dispose, en effet, des mêmes recours à la formulation de ses  convictions que pour le reste des citoyens : articles de presse, discours, réunions,… 

L’objectif qui est visé ici semble double : l’enseignant, pour ne pas s’imposer (par ses  valeurs personnelles) expose clairement les points de vue à partir desquels il parle et se  situe, afin que les étudiants perçoivent, dans un second temps, les différentes facettes  de l’enseignement. Ils peuvent ainsi distinguer ce qui est du domaine de la transmission  de connaissances ou de la propagande. Nous demeurons cependant sceptiques, en ce  qui concerne l’adéquation de cette volonté affichée à la réalité de l’école primaire, car  l’âge des élèves, s’il n’est pas dit qu’il représente un handicap à cette indépendance, ne  prouve pas non plus qu’il en assure la réalisation. Il serait toutefois intéressant de 

confronter cette vision à la pratique, en interrogeant les enseignants sur leurs façons de  faire en classe.  

Selon Kalinowski (2005), Weber insiste sur l’importance de « défendre ceux qui, de fait,  sont les dominés du rapport pédagogique » (p. 199). Cet élément « est d’autant plus  crucial » (p. 199) pour Weber selon cette auteure, que l’élève peut ainsi être confronté à  la toute puissance de l’enseignant, en ce qui concerne par exemple la suite de son  parcours scolaire, ou du moins se retrouver très souvent, face à « la privation de la  parole et du droit de contradiction » (pp. 199‐200). Il faut donc, d’une part, protéger les  utilisateurs du système éducatif et de l’autre, gérer de manière consciente l’autorité que  possède inévitablement chaque enseignant dans sa classe. Les propos de Fourez (2006)  semblent ici concrétiser parfaitement la pensée de Weber développée par Kalinowski : 

« Il faille que l’autonomie de la personne influencées soit respectée en ce sens qu’elle ait  la possibilité concrète et psychologique de dire “non” » (p. 27). Cette conception se  trouve  bien  éloignée  de  celle  de  Buisson  (1882‐1887),  pour  qui  le  pouvoir  de  l’enseignant sur les élèves est utile et valorisé35.  

L’influence, dans la pensée de Weber, rejoint pour Kalinowski (2005), « le concept de  charisme [qui] résume justement tout ce qui sort du cadre, d’une telle action délibérée  et exerce par là des effets d’autant plus puissants » (p. 201). L’enseignant doit donc s’en  méfier, car celui‐ci se développe à son insu, sans une prise de conscience automatique. 

Kalinowski reprend également la notion de « suggestion » (p. 199), développée par  Weber,  qui  peut  tenter  les  enseignants  afin  de  persuader  les  élèves.  Celle‐ci  est  redoutable,  car  elle  « tend  à  instaurer  les  conditions  d’un  mode  de  propagande  particulièrement pernicieux parce que non perçu comme tel » (p. 199). La vision de  Weber, qui a inspiré des auteurs comme Le Clézio (2006), semble toujours d’actualité,  comme  nous  le  montre  Fourez  (2006),  pour  qui  les  branches  dites  scientifiques « véhiculent presque insidieusement des manières de voir le monde et les  choses qui ne seront jamais remises en question. […] Il ne vient que très rarement à  l’esprit des élèves qu’ils pourraient y être endoctrinés » (p. 49). A contrario : « Dans un  cours de morale ou de religion, les élèves se défendent généralement fort bien de toute  tendance à les endoctriner ou à les embrigader » (p. 49). Il paraît donc important de  déterminer,  au niveau des enseignants, les correspondances qui se créent entre la  neutralité et l’influence.  

Selon Kalinowski (2005), Weber est conscient de la difficulté de rectifier « les formes de  domination à l’œuvre dans la relation pédagogique » (p. 201), qui s’opèrent malgré  l’utilisation de la « bonne volonté du professeur » ou de la « soumission volontariste à  un impératif “moral”» (p. 201). Ce que cette auteure ajoute d’important, c’est que  néanmoins, pour contrer ces obstacles, Weber « adopte fréquemment le langage de la  conviction morale ou politique » (p. 201) et ce dans le but de « dénoncer la contradiction        

35 Voir point 2.1.2.  

entre le projet scientifique de transmission d’un contenu rationnel et la réalité sociale de  l’imposition de ce dernier par les voies irrationnelles de la propagande » (p. 201). Cette  tendance, présentée par Kalinowski comme wébérienne, signifie que la solution, l’outil  dont les enseignants disposent pour ne pas imposer leurs valeurs c’est leur propre  personnalité. Nous avons ici de la peine à adhérer à cette unique voie, au vu de la  diversité des individus présents dans la profession. Or, une telle proposition permettrait  cependant de centrer la réflexion sur l’enseignant, en montrant son importance et en le  considérant comme un sujet agissant. Il deviendrait, en effet, son propre régulateur,  face à l’influence qu’il exerce à travers ses jugements, ses prises de position et ses  silences. L’enseignant aurait donc la capacité et la responsabilité de déjouer ses abus. 

Sur  ce  point,  une  citation  de  Pachod  (2007)  quant  à  l’éthique  nous  semble  particulièrement adéquate ici, car elle illustre bien l’ensemble de cette situation : « A la  conquête du mieux, elle [l’éthique] invite au choix, à la critique, à la réflexion sur les  valeurs, en situation d’exercice professionnel notamment. Elle situe le sujet en action  dans une dimension de responsabilité, d’autonomie, de dialogue » (p. 21).  

Le  dernier  élément  que  nous  souhaitons  aborder  succinctement,  ici,  concerne  l’impartialité.  Cette  dernière,  déjà  mentionnée  préalablement  dans  ce  travail36  est  rejetée selon Kalinowski (2005) par Weber. Pour cet auteure : « Il n’entrait aucunement  dans le projet de Weber, on l’aura compris, de prôner la forme “d’impartialité” qui sert  souvent d’idéologie professionnelle aux journalistes » (p. 197). Il est intéressant de faire  référence à ce terme, car il prend, tout comme la neutralité, des significations forts  diverses selon la manière dont les auteurs s’y rapportent. Pour Buisson (1882‐1887),  l’impartialité est incompatible avec le travail de l’enseignant, alors qu’au tournant du  XXème siècle, celle‐ci est plébiscitée par exemple par Jaurès (1908/2005). Pour Le Clézio  (2006), l’impartialité est étroitement liée à la neutralité, alors que Weber (1919/2005)  réfuterait ce terme.  

           

 

      

36 Voir 2.1.2 et 2.1.4.  

2.4. Conclusion 

 

Suite  à  l’analyse effectuée  dans  la  première  partie  du  cadre  théorique  autour  de  l’utilisation de la neutralité, nous avons pu compléter et approfondir ici la réflexion par  l’apport d’autres conceptions, issues d’un contexte contemporain et associées à des  domaines comme le droit, qui de prime abord paraît tout à fait distinct du système  scolaire.  

La seconde partie  du  cadre  théorique a cependant mis  en exergue  des  difficultés  similaires à celles rencontrées en amont dans ce travail. Elles concernent le vocabulaire  choisi  par  les  auteurs,  les  explications  fournies,  le  cours  de  leurs  pensées  et  la  simplification  des  situations  proposées.  Ces  éléments,  qui  dans  un  premier  temps  peuvent sembler circonscris, semblent ainsi se généraliser et toucher l’ensemble des  auteurs consultés. Une définition précise et définitive de la neutralité ne peut donc être  envisagée, tant ce concept peut être décliné de manières contradictoires, tout en étant  ajusté à des nuances individuelles qui ne proposent pas une base commune suffisante. 

Kondylis (1994) illustre parfaitement cette situation : « Jamais elle [la neutralité] n’a  constitué un principe spontanément proclamé, accepté, ni même surtout appliqué sans  hésitations » (p. 489).  

La poursuite des interrogations et des réflexions liées à la neutralité reste néanmoins  centrale.  Peut‐être  sommes‐nous  en  présence  d’un  terme  qui  existe  lexicalement,  certes, mais dont le contenu se désagrège dès qu’on le détaille, ou au contraire prolifère  au point d’en perdre sa substance et de ne pouvoir s’appliquer au niveau du système  scolaire. Du point de vue de l’institution, celle‐ci ne peut assurer que ce qui est transmis  par les professionnels qu’elle emploie soit acceptable par tous et en tout temps, et ce  malgré certains idéaux compréhensibles : « Le projet d’enseignement implique toujours  de transmettre ce qu’on croit être le meilleur pour l’autre et pour tous » (Le Clézio,  2006, p. 76). Il existe, en effet, un glissement subtil qui peut se créer, entre ce qui est  considéré comme légitime, voire universel et l’imposition même de ce choix, à travers  un dispositif d’apprentissage tel que l’école publique obligatoire.   

Selon les propos  des  auteurs  présentés,  la neutralité a une place dans  le  système  scolaire et pour nous, elle demeure une des constituantes des métiers de l’humain, au  travers de  la  relation  enseignant/apprenant.  Cet élément alimente  notre  intérêt  à  étendre l’investigation, en interrogeant les acteurs principaux que sont les enseignants. 

Il existe probablement des conceptions de la neutralité que nous n’avons pas pu relever  jusqu’ici.  

 

3. Problématique et méthodes de la recherche 

 

De la  séparation du religieux et du  séculier, la neutralité distingue pareillement la  croyance de la raison. Employée pour déterminer les programmes scolaires, elle assure  également les attitudes convenables des enseignants. Utilisée pour distinguer ce qui est  acceptable ou prohibé, elle évite l’arbitraire. Pierre angulaire d’une école publique de  dialogue, elle sert aussi de filtre à travers lequel les enseignants passent au crible fin  leurs situations professionnelles. Face à toutes ces conceptions de la neutralité, des  oppositions sont apparues autant en ce qui concerne les définitions même du terme,  que les arguments validant sa pertinence. Ces antagonismes, tout comme les analogies  observées, ont permis néanmoins de mieux comprendre les enjeux que la neutralité  représente, par rapport à une période historique donnée et dans un cadre spécifique  déterminé. Ce que nous avons remarqué au fil des lectures, c’est qu’il existe des limites à  la construction d’un savoir basé uniquement sur des analyses théoriques, du moins par  rapport au sujet qui nous intéresse. En effet, des interrogations subsistent concernant  l’adéquation  de  plusieurs  réflexions  en  lien  avec  le  cadre  conceptuel  décrit,  la  congruence de certaines propositions par rapport à la réalité scolaire et l’ambivalence  des auteurs.  

Le  concept  de  neutralité  nécessitant  ainsi  une  configuration  supplémentaire,  une  recherche sur le terrain, par l’intermédiaire de professionnels exerçant au niveau de  l’école primaire, représente l’étape suivante de notre travail. Chaque penseur a, en  effet, pu expliciter certains éléments relevant de la neutralité, sans qu’aucun ne puisse  d’une  part  élaborer  des  connaissances  originaires  de  la  pratique  et  de  l’autre  se  substituer aux enseignants. Notre objectif est donc d’approfondir la compréhension de  la neutralité par l’articulation de savoirs provenant de sources différentes. La visée n’est  nullement de chercher à conforter telle affirmation au détriment de telle autre, ou de  vérifier qui a raison et qui a tort. Nous souhaitons expliquer le sens que prend le terme  de  neutralité  lorsqu’il  entre  en  contact  avec  l’enseignement  primaire  public  et  corrélativement avec l’individualité des enseignants.  

   

     

 

3.1. Questions de recherche et hypothèses   

 

Suite aux réflexions développées à partir du cadre théorique, plusieurs questions sont  apparues : 

• Sous quelles formes la neutralité existe‐t‐elle dans l’enseignement primaire   public ? 

• De quelles manières s’exerce‐t‐elle ?   

• Comment les enseignants traduisent‐ils et transforment‐ils le concept de  neutralité dans leur pratique professionnelle et dans leurs réflexions ? 

• La neutralité est‐elle un concept pertinent et réaliste dans l’enseignement  public ? 

• L’enseignement public peut‐il se passer du concept de neutralité ? 

• La neutralité peut‐elle être une compétence professionnelle ? 

 

A partir de ces interrogations, certaines hypothèses ont peu à peu pris forme : 

 

1. La neutralité existe dans l’enseignement primaire, même si, en ce qui concerne les  règlements, sa définition est le plus souvent imprécise. Elle n’est ainsi pas évidente à  définir,  à  gérer  et  elle  peut  même  devenir  problématique  si  l’institution  voulait  l’appliquer de manière claire et rigoureuse. 

2.  La  neutralité  est  essentiellement  associée  et  nommée  lorsqu’il  est  question  de  religion, surtout en ce qui concerne l’adéquation des croyances au système scolaire en  place.   

3. L’aspect incertain et confus de la neutralité qui se développe entre la direction de  l’enseignement primaire (qui représente le côté conceptuel) et les enseignants (qui  représentent la réalité du terrain et la pratique) permet d’une part au système scolaire  de se maintenir en place et de l’autre aux enseignants de disposer d’une marge de  manœuvre chère à leur profession.  

4. Les références historiques, politiques et sociétales ne suffisent ni à déterminer le  concept  de  neutralité  ni  à  le  concrétiser  au  niveau  de  la  réalité  complexe  des  enseignants. C’est donc  par  un  processus  de  réappropriation,  visant  à combler  ce  manque, que le professionnel définit et concrétise une neutralité dépendante ainsi de sa  personnalité et de son sens commun, plus que des règlements officiels. 

5. La neutralité peut devenir un choix institutionnel relayé par les enseignants, si une  remise en question des idéaux, des objectifs et des finalités à la base du système  éducatif  est  réalisée.  Une  clarification  du  concept  prenant  en  compte  le  contexte  scolaire  est  d’autre  part  nécessaire,  afin  de  déterminer et  de  choisir,  de  manière  explicitée, les visions réalisables dans l’école publique actuelle.   

   

3.2. Dispositifs de recueil des données    

Afin d’appréhender les représentations et les conceptions des enseignants quant à la  neutralité,  nous  avons  décidé de  procéder en deux  phases, en utilisant des  outils  spécifiques à chacune d’elles. Pour faire émerger les visions de la neutralité, nous avons  tout d’abord proposé aux participants une série de douze interrogations, sous la forme  d’un questionnaire. Il n’était pas pertinent, pour nous, de débuter immédiatement par  une discussion, la neutralité pouvant être perçue comme un thème délicat à traiter. Ce  premier  dispositif  donne  ainsi  l’occasion  aux  personnes  d’émettre  leurs  premières  impressions, opinions, voire définitions de la neutralité. Dans un deuxième temps, nous  avons  choisi  de  poursuivre  notre  recherche  à  l’aide  d’un  entretien  semi‐directif,  valorisant  davantage  l’oralité,  afin  de  continuer  la  réflexion  engagée  dans  le  questionnaire. Les entrevues, qui ont duré entre une heure et une heure trente, ont été  effectuées au domicile des personnes, ou dans leur classe. Nous avons ainsi interrogé  quatre enseignants travaillant dans les degrés primaires de l’école publique genevoise. 

Cette condition, associée à un intérêt pour le thème traité, une diversité entre hommes  et femmes et une carrière plus ou moins longue nous paraissaient être des critères  suffisants  pour  ce travail.  En  effet,  l’objectif  n’est pas  ici  de valider,  renforcer ou  démentir  une  théorie,  mais  bien  de  recueillir  des  données  décrivant  le  processus  aboutissant ou non à l’appropriation du concept de neutralité par les enseignants.  

 

3.2.1. Le questionnaire37 

En tenant compte de ce qui se joue entre le chercheur et le participant, sous la forme  d’un  contrat  implicite  et  d’attentes  particulières  (Blanchet,  Ghiglion,  Massonnat  & 

Trogno,  1987),  notre  volonté  première  était  d’occulter  le  mot  neutralité  dans  le  questionnaire, afin d’éviter que les personnes se sentent obligées de s’y référer. Aborder  ce concept sans le nommer du tout est cependant rapidement devenu impossible, le  dispositif perdant sa pertinence et sa fonction. De surcroît, le fait que les interrogés ne        

37 Voir annexe 9.3. 

mentionnent pas spontanément la neutralité n’était pas non plus un signe tangible que  celle‐ci ne soit pas envisagée. Nous avons ainsi opté pour un questionnaire comprenant  plusieurs  parties.  Dans  la  première,  les  items  ne  sont  qu’indirectement  liés  à  la  neutralité.  Ce  procédé  permet  d’une  part  de  briser  la  glace  et  surtout  de  mieux  connaitre l’univers de pensée des participants. La deuxième partie propose une situation  concrète, afin de connaître les positions de chacun face à un exemple réel auquel  s’identifier, provoquant éventuellement des modifications ou des ajustements dans les  propos énoncés. Dans la dernière partie, le participant est directement interrogé sur la  neutralité,  ici  clairement  nommée.  Afin  de  clore  cette  première  rencontre,  nous  demandons aux participants s’il y a un élément particulier ou un thème spécifique qu’ils  désirent aborder lors de l’entretien.  

Pour la construction du questionnaire, de nombreuses questions ont été créées, dans le  but d’être ensuite triées et sélectionnées, en fonction de leur convenance, des difficultés  qu’elles pouvaient susciter et de leur adaptabilité à l’outil méthodologique sélectionné. 

Le choix final a été fait en fonction des différents tests effectués à l’aide d’une personne  ne prenant pas part ensuite à la recherche. Au niveau du dispositif, la décision d’être  présent lors du questionnaire a permis de préciser certaines hésitations et d’assurer une  bonne compréhension des items. Nous avons enregistré cette première séance, afin de  conserver les paroles des participants pour l’analyse.  

 

3.2.2. L’entretien 

Parler directement de la neutralité avec les enseignants ne nous paraissait pas non plus 

Parler directement de la neutralité avec les enseignants ne nous paraissait pas non plus