• Aucun résultat trouvé

4. Discussion 146 

4.2 Vulnérabilité, burnout ou traumatisme psychique ? 147

4.2.1 Signes cliniques et psychopathologies en formation

Nous avons commencé notre recherche par la synthèse de différents rapports montrant que de nombreux élèves infirmiers français étaient en mauvaise santé durant leurs études et que certains présentaient un syndrome d’épuisement professionnel (Lamberton, Pelège, 2008 ; Estryn-Behar et al., 2010 ; Lamaurt, et al., 2011). Grâce à notre enquête, nous avons établi une liste de signes cliniques qui peuvent témoigner d’un simple mal-être ou de psychopathologies plus sévères telles que le burnout ou le syndrome de stress post-traumatique. Les symptômes que nous avons répertoriés sont : le sentiment de mal-être, les pleurs, le sentiment de culpabilité, le stress, l’angoisse, la perte de confiance en soi et en l’autre, la colère ou au contraire la froideur émotionnelle, la

pensée ou la parole bloquée. Certains auraient décompensé des maladies psychiques durant la formation telle qu’une addiction à l’alcool, une schizophrénie ou encore des troubles alimentaires. Des signes de syndrome de stress post-traumatique sont venus parfois compléter les tableaux cliniques avec par exemple la surprise de l’événement et sa brutalité, les cauchemars et autres reviviscences, ou encore le sentiment d’effroi. Enfin, certains étudiants ou professionnels ont évoqué ou illustré un syndrome d’épuisement professionnel.

4.2.2 Un problème international

Peu de personnes ont attribué la responsabilité du mal-être des étudiants au programme de formation ou au contexte économique du milieu hospitalier français. Également, personne n’a avancé que la particularité française, qui fait que l’apprentissage infirmier est dispensé en IFSI, est managé et enseigné par des cadres de santé, puisse être à l’origine de fragilisation importante de l’étudiant. Nous avons donc recherché dans la littérature scientifique internationale si ce problème de vulnérabilisation des étudiants infirmiers pouvait être s’étendre à d’autres pays.

En effet, en janvier 2017, 9 enquêtes référencées dans PubMed convergent à déduire que l’apprentissage du métier d’infirmier peut fragiliser les élèves au point de les conduire à l’épuisement professionnel, indépendamment du contexte national de formation théorique ou de stage. Ces rapports proviennent de pays divers : Telles Filho, Pires, Araújo (1999) au Brésil, Tully (2004) en Irlande, Burnard, Haji Abd Rahim, Hayes, Edwards (2007) au Brunei, Zupiria Gorostidi, Huitzi Egilegor, Jose Alberdi Erice, Jose Uranga Iturriotz, Eizmendi Garate, Barandiaran Lasa, Sanz Cascante (2007) en Espagne, Warbah, Sathiyaseelan, Vijayakumar, Vasantharaj, Russell, Jacob (2007) en Inde, Chan, So, Fong (2009) à Hong-kong, Por (2005) et Edwards, Burnard, Bennett, Hebden (2009) au Royaume-Uni, Wolf, Stidham, Ross (2015) à Taïwan et en Thaïlande. Qu’ils soient en Asie ou en Europe, les ESI semblent tous soumis au stress durant leurs études et certains vont jusqu’au burnout.

Parmi les causes répertoriées, on trouve : une relation d’aide difficile à vivre, indépendamment du lieu où elle s’exerce ; une faible estime de soi ; la préexistence de dispositions personnelles fragiles ou d’antécédents de dépression ; de mauvaises relations avec les professionnels encadrants ; un manque de compétences pour prendre en charge les patients ; l’impact émotionnel des soins et un apprentissage douloureux de la relation d’aide ; les soins à des personnes violentes ou mourantes ; un sentiment d’impuissance ;

une surcharge de travail stressante ; un contexte d’études stressant, illustré par la peur de l’échec et l’enjeu des examens ; un manque de temps pour soi et pour se divertir ; un manque de soutien dans son entourage personnel ou professionnel (Telles Filho et al., 1999 ; Tully, 2004 ; Por, 2005 ; Burnard, 2007 ; Zupiria Gorostidi et al., 2007 ; Warbah et al., 2007 ; Chan et al., 2009 ; Edwards et al., 2010 ; Wolf et al., 2015).

Les conséquences de cette vulnérabilisation mises en évidence par ces études peuvent être : de la nervosité chronique ; un sentiment de fatigue chronique ; des ruminations anxieuses ; un vécu de stress intense ; de l’angoisse avec symptômes physiques associés tels que maux de tête, des nausées, de la tachycardie, une respiration sifflante, des troubles gastro-intestinaux ; des dépressions ; une démotivation ; un tabagisme excessif ; une consommation de drogue et d’alcool importante ; des troubles alimentaires ; des cauchemars. Six de ces études reprennent la recherche de Beck et al. (1997) qui utilise l’échelle d’évaluation de l’épuisement professionnel « Maslach

Burnout Inventory ». Cette étude a démontré que les étudiants en soins infirmiers

connaissent l’épuisement professionnel, et que leur niveau d’épuisement est comparable à celui des infirmiers en poste.

Nous pouvons donc mettre en lien les symptômes décrits ci-dessus avec ceux témoignés par les personnes interviewées dans cette étude et constater que même s’il existe des particularités à la formation française, celle-ci serait aussi malmenante dans d’autres pays. Également, nous pouvons noter que le stress, l’angoisse et anxiété apparaissent à la fois dans les causes et dans les conséquences d’un mal être vécu en formation. Aussi, nous pouvons repérer qu’indépendamment des causes, l’étudiant en soins infirmiers peut se retrouver suffisamment affaibli pour se sentir épuisé. Enfin, aucune de ces recherches n’envisage la présence ou la réactivation d’un traumatisme, mais les symptômes de stress post-traumatique apparaissent en filigrane entre l’angoisse, les décompensations psychopathologiques ou encore par l’expression de cauchemars. À travers cet entrecroisement de signes cliniques, à la fois au sein des causes et des conséquences, qui rapproche le sentiment d’épuisement professionnel et le vécu de syndrome post-traumatique, nous avons approfondi nos recherches pour vérifier les liens entre vulnérabilité, burnout et stress post-traumatique.

4.2.3 Les liens entre la vulnérabilité, le burnout et le stress post-traumatique

Dans notre étude, nous avons mis en évidence que la vulnérabilité liée à des facteurs personnels ou environnementaux pouvait affaiblir suffisamment l’individu pour

qu’il témoigne de sa vulnérabilisation par l’expression de psychopathologies. Le sujet soumis à un contexte délétère peut également voir son système de défense amoindri et se retrouver menacé par l’effraction traumatique. La personne fragilisée par ce contexte manifesterait alors des symptômes de stress post-traumatique. Par ailleurs, au regard des diverses recherches internationales sur le sujet du burnout des étudiants, nous avons vu que les causes et les conséquences sont parfois les mêmes comme si la personne vulnérabilisée était prise dans une spirale l’amenant à être de plus en plus mal moralement et physiquement.

Boudoukha (2016) explique les liens entre vulnérabilité, burnout et stress post- traumatique de la manière suivante. Selon ses recherches, le burnout peut être considéré comme la conséquence d’une vulnérabilisation du sujet. Mais il peut aussi être envisagé comme un facteur de vulnérabilité pour le déclenchement d’un événement traumatogène. L’épuisement professionnel vécu par la personne « augmente la probabilité d’être agressée et que le retentissement de cette agression ait lieu chez une personne fragilisée par le burnout. En retour, le traumatisme psychologique pourrait agir dans le maintien du

burnout pathologique […] Les sujets présentent alors un trouble conjoint de burnout et

ce stress post-traumatique » (Boudoukha, 2016, p 145).

4.3 Les caractéristiques des tuteurs de résilience

4.3.1 Le triangle fondateur de la résilience

Lors de l’étude des données recueillies sur le terrain, nous avons appuyé notre analyse sur les caractéristiques des tuteurs de résilience telles que Lecomte (2005) les a formulées. Nous pouvons également discuter de ces résultats en référence de ce que cet auteur a appelé le « triangle fondateur de la résilience ». Nous n’avions pas tenu compte de ce paradigme dans la revue de littérature, car il s’agissait d’enfants pour l’auteur et que notre étude concerne des adultes. Néanmoins, cette analyse se transpose bien aux données recueillies lors de notre recherche. En effet, dans le cadre de la rencontre entre un tuteur potentiel et le sujet vulnérabilisé, ce triangle est composé du « lien » et de « la loi » qui est établie par le tuteur (un adulte chez Lecomte) et du « sens » qui est créé par la personne en souffrance (un enfant pour cet auteur). Tous les étudiants ou les professionnels qui ont parlé d’élèves affaiblis s’accordent à dire que la relation à l’autre les a aidés à se reconstruire ou à se protéger de la réalité lorsqu’elle les a agressés. Par exemple, Sophie, ESI, a expliqué que la relation de soin l’a aidé à surmonter un encadrement maltraitant.