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3. Étude empirique 50 

3.3 Premier thème : la vulnérabilité en formation infirmière 64

3.3.2 L’apprentissage théorique fragilisant 80

Bien qu’ils aient été très peu mentionnés par les professionnels durant leurs entretiens, certains problèmes liés au contexte des instituts de formation sont tout de même à noter. Certains thèmes d’apprentissage théorique, certains enjeux relationnels entre étudiants ou avec les pédagogues, et des enjeux liés au référentiel de formation sont pointés comme vulnérabilisants pour les étudiants infirmiers.

3.3.2.1 Des thèmes d’apprentissage théoriques difficiles

À la fois présentés comme facteurs de résilience favorisant le processus de mentalisation des étudiants, certains cours théoriques seraient plus difficiles émotionnellement pour eux que d’autres. En effet, durant les Unité d’enseignement (UE) traitant des soins relationnels ou palliatifs, d’éthique et déontologie, des cancers… les étudiants seraient amenés à projeter leurs propres histoires sur les enseignements dispensés. Françoise, formatrice, l’exprime ainsi : « à l’IFSI, il y a aussi des situations d’apprentissage comme l’unité des soins relationnels qui vont les chercher, ou des unités

comme les unités d’intégration. À partir de petites situations, on les met en confrontation sur leur vécu de soignant, nourri lui-même par leur vécu perso. Là aussi tu en vois certains se déséquilibrer, qui sont sur le fil, qui d’un seul coup nous échappent » ; « Si tu pars d’une petite situation, par exemple quelqu’un qui a eu un AVC (accident vasculaire cérébral), il suffit que dans leur histoire de vie ils aient eu un grand-père, une grand-mère atteinte de cette maladie, ça va mobiliser leur compétence issue de leur expérience professionnelle, mais aussi ça va les chercher sur ce qu’ils ont vécu de ces expériences personnelles. » ; « C’est comme l’UE 4.7, en troisième année (les soins palliatifs). Quand à partir de situations, à partir d’un débat, un échange… forcément tu vas aller chercher chez eux leur identité. Celle professionnelle fait souvent écho à celle personnelle dans ces UE comme celle-ci ou la 4.2 “soins relationnels”. Un étudiant qui parle d’un accompagnement en fin de vie, il ne peut pas y aller en faisant semblant. » Patricia, formatrice, confirme ce point de vue : « l’UE “soins palliatifs” fait travailler sur les valeurs, sur le sens qu’on donne aussi à la vie, sur comment on se projette en tant qu’être humain parce qu’on est confronté à des choses qui sont beaucoup plus intimes. Cela questionne sur le sens de ce que l’on fait, de ce que l’on est, de ce qu’on va devenir. » ; « la configuration du semestre 5 est complexe dans le sens où on a dans le même semestre les processus tumoraux et les soins palliatifs qui sont des domaines assez confrontants sur le plan émotionnel aussi ». Patricia dit même à propos de ces thèmes d’enseignement : « on a un certain nombre d’étudiants dont les parents ont un cancer ». L’équipe de Patricia a décidé de ne pas rendre obligatoire la présence à cette UE tant elle peut être douloureuse et face à un absentéisme qui augmentait durant ces UE. Paule, directrice, appuie encore cet argument concernant une étudiante en état de mal-être intense : « ce sont les contenus vus en cours sur les soins palliatifs qui ont fait écho à un deuil non réalisé ». Mais elle précise aussi que tous les savoirs de la formation peuvent résonner en eux. Pour certains, comme les anciens aides-soignants, c’est en première année où le contenu de biologie fondamentale et d’anatomie est très dense et où l’enseignement de l’anglais va être commencé que la déstabilisation va être la plus forte. Le contenu ne semble pas douloureux mais il peut l’être pour ces sujets car leurs connaissances sont plus faibles ou lointaines que leurs collègues plus jeunes : « la marche à franchir est si haute que certains adultes en reconversion craquent ».

Par ailleurs, l’IFSI alourdirait parfois trop le labeur des étudiants avec des travaux supplémentaires à rendre en dehors de leur période d’apprentissage théorique. Vanessa, en tant qu’aide-soignante, en témoigne ainsi : être sur le terrain « plus la charge de travail

qu’ils ont à domicile. Ils ont quand même leurs partiels, ils peuvent avoir des évals, ils peuvent avoir des démarches cliniques à préparer. Alors on leur demande d’être à fond dans un stage, mais à côté, ils ont du travail perso à rendre à l’école ou du coup franchement, je trouve ça difficile ». Patricia, de son point de vue de formatrice le confirme également : « le nombre de travaux écrits à rendre est conséquent » peut « alourdir ce sentiment de stress ».

3.3.2.2 Les enjeux relationnels en IFSI

La relation pédagogique, entre élèves et formateurs, est toujours décrite comme essentielle pour la croissance de l’apprenant. Nous verrons qu’elle est au cœur du processus de résilience d’un étudiant vulnérabilisé. Mais, lorsque cette relation n’est pas bonne, elle peut fragiliser celui qui est déjà vulnérable. Régine, psychologue, donne l’image d’une équipe de cadres d’un IFSI qui n’a pas soutenu une étudiante en difficulté, ce qui avait eu pour effet de lui appuyer sur la tête alors qu’elle se noyait : « les formateurs qui répétaient sans cesse à l’étudiante qui fallait qu’elle arrête sa formation : les formateurs diraient qu’“elles sont nulles, elles n’ont rien à faire en tant qu’infirmières ” ». Sans aller jusqu’à des situations extrêmes comme celle-ci, le simple fait que la confiance entre le référent pédagogique et son élève soit amoindrie peut fragiliser ce dernier. Dominique, directeur, l’exprime ainsi : « Lorsque la confiance est rompue, cela se manifeste par un étudiant qui ne le (le formateur) trouve plus dans l’empathie, le trouve dans le jugement de valeur, le trouve plus dans l’irrespect ». Sa collègue Sylvie l’évoque de la même manière : « je n’écarte pas la situation à l’IFSI où des relations interpersonnelles qui se passent mal avec le cadre référent pédagogique peuvent aussi générer du stress. L’étudiant qui n’arrive pas à parler, qui n’arrive pas à poser les choses avec son référent pédagogique, cela peut être aussi générateur de stress et de stress délétère ».

Cette relation peut être également fragilisante par son absence ou son manque insuffisant de présence. Pour Angélique, cadre de santé, ça peut être à cause « des promotions d’étudiants très importantes en nombre et que le ratio étudiants-formateur référent soit trop important pour bien connaître l’étudiant et bien repérer ses difficultés ». Pour Maria, cadre en IFSI, cette fragilisation peut être à cause d’un manque d’investissement psychologique de la relation pédagogique par certains de ses collègues : « au niveau des formateurs, je ne suis pas sûre que tout le monde soit prêt à aller sur ce

terrain-là, sur le terrain émotionnel, je ne suis pas sûre que tout le monde se sente compétent pour aller là-dessus et je pense qu’il y a parfois une confusion entre aider l’étudiant à travailler là-dessus à faire le point sur son état émotionnel... c’est pas faire non plus de la psychothérapie quoi et j’ai l’impression que parfois il y a une confusion et des gens ne vont pas du tout sur ce terrain-là. Et alors ça manque aux étudiants. ».

En outre, durant les périodes de formation en IFSI, il peut y avoir des situations relationnelles entre ESI qui viennent les fragiliser. Mylène, psychologue, donne l’exemple d’apprenantes qu’elle a reçues à la suite d’un suicide d’un de leur collègue de promotion : « Il y avait beaucoup d’étonnement, d’incompréhension. Il y a deux étudiantes qui sont venues au point écoute pour en reparler avec moi. Des étudiantes plus âgées, qui étaient très sensibles à ce qui s’était passé pour cet étudiant, qui avaient eu une proximité avec lui, une fonction un peu maternelle et elles ont eu le sentiment de ne pas avoir perçu, d’être passées à côté ». Ces événements de la vie comme des décès ou des maladies d’étudiants sont exceptionnels, mais peuvent arriver. Hélène, cadre en unité, évoque le cas d’un qui était fragilisé par l’attente de la confirmation d’un diagnostic d’une pathologie potentiellement incurable. De manière moins tragique, durant la vie de groupe d’une promotion, des tensions entre élèves peuvent apparaître et certains peuvent s’en retrouver très fragilisés. Catherine, formatrice, insiste d’ailleurs pour que les étudiants le verbalisent d’emblée en entretien de suivi de progression, sinon c’est « impossible pour eux d’aborder le pédagogique ».

3.3.2.3 Des enjeux liés au référentiel de formation

La formation infirmière française a changé de référentiel en juillet 2009. L’évolution s’est effectuée dans le cadre des accords de Bologne pour uniformiser le parcours universitaire européen selon le schéma Licence-Master-Doctorat. Les Infirmier(-ère) Diplômé(e) d’Etat (IDE) qui n’étaient alors reconnu que bac+2, ont obtenu le grade licence professionnelle. Le contenu et l’organisation de la formation se sont retrouvés profondément transformés : création d’un portfolio pour le suivi sur le terrain, validation des stages par compétences et non plus par une note et un examen de mise en pratique professionnelle (MSP)... La résistance et les émotions générées par ce changement de programme provoquent encore 7 ans après son début, des réactions négatives qui sont reportées sur les étudiants actuels.

Régine, psychologue en cabinet libéral, mais aussi encore infirmière en psychiatrie, observe tous les enjeux autour de ce référentiel. Les équipes « ont eu des

difficultés à comprendre le portfolio, l’évaluation ». Ils auraient mal vécu l’arrivée de nouveaux étudiants qui « auront un diplôme plus élevé que le leur ». Ils penseraient que le mode actuel de validation des stages « favorise » les élèves. Régine dit qu’elle voit certains collègues « se venger, jalouser le grade licence ». Manon, jeune diplômée ayant suivi la formation selon ce « nouveau référentiel » confirme ce point de vue : « Ce qui est difficile aussi pour cette nouvelle génération, dont je fais partie, c’est cette nouvelle réforme. Dans les services cela ne passe pas ! On en entend parler tous les jours ! […] Tout ce qui est nouveau et qui n’a pas fait ses preuves ne fonctionne pas... j’en avais marre d’entendre en stage que l’on formait des professionnels au rabais ! C’est dur ! […] J’ai mal vécu courant de mes études le fait de devoir toujours me justifier, d’expliquer pourquoi c’est intéressant de travailler par compétence, comment l’on doit remplir les feuilles de stage. Cela met la pression ! ». Stéphanie, en tant que cadre d’unité de gériatrie, le dit également avec d’autres mots : le référentiel a changé en 2009, certains soignants qui « ne comprennent pas, car ils ne s’y sont jamais intéressés », « critiquent les étudiants qui seraient moins bien formés de nos jours ». Elle constate comme conséquences que les apprentis peuvent parfois ressentir du « jugement » et du « rejet ». Nous avons relevé et fait remarquer à Laurène que ce changement de référentiel en 2009 était toujours appelé « nouveau diplôme même 6 ans après ». Elle a répondu : « on entend encore, ce nouveau diplôme, mais je crois qu’en fait cette réforme, elle a été difficilement palpable et compréhensible par les équipes, c’est-à-dire qu’on a l’impression que les gens mettent des années à s’approprier cette nouvelle manière d’encadrer les étudiants ».