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4. Discussion 146 

4.4 Des tuteurs choisis ou des professionnels de la résilience ? 154

4.4.4 L’analyse de pratique professionnelle 160

Dans le même ordre d’idée, les étudiants et les formateurs interrogés dans cette enquête soulignent tous le rôle important de l’analyse de la pratique professionnelle dans le processus de mentalisation et dans sa dimension relationnelle étayante. Ces APP sont à la fois des séquences pédagogiques à l’oral et des rédactions écrites qui servent d’évaluation. Avant d’établir son lien avec la résilience, voyons comment elle apparaît dans le référentiel de formation infirmière et quels sont ses objectifs pédagogiques et en quoi ces séquences pédagogiques comportent une forte dimension psychologique.

Dans le référentiel de formation infirmière de 2009, il est écrit que l’analyse sert à valider le stage. L’étudiant doit en rédiger deux par période d’apprentissage sur le terrain et les inclure dans son portfolio afin d’obtenir les European Credit Transfert System (ECTS) de stage. C’est aussi un principe pédagogique qui permet de développer des compétences. En effet, l’étudiant peut « comprendre », « agir », « transférer » et ainsi effectuer un « va-et-vient » permanent entre les situations vécues en stage, ses conceptions et la théorie. Ce principe s’appuie lui-même sur une posture décrite comme réflexive et des modalités pédagogiques qui relèvent d’une pédagogie différenciée. L’APP est à la fois une médiation pour l’apprentissage et un outil d’évaluation du stage. Également, le programme précise que « pendant la durée des stages, le formateur de l’IFSI référent du stage, organise […] des regroupements des étudiants d’un ou de quelques jours. Ces regroupements entre les étudiants, les formateurs et les professionnels permettent de réaliser des analyses de la pratique professionnelle ». L’APP est donc prescrite par le référentiel, mais ils n’indiquent pas aux IFSI une méthode à suivre, un

déroulement, ni même qui va animer la séance d’APP. Malgré des marches à suivre qui différencient d’un IFSI à l’autre pour analyser la pratique, les étudiants ont toujours un temps à l’oral où il rencontre un formateur ou un psychologue et où il a l’opportunité de partager autour des situations. Il y a aussi à chaque fois la formalisation d’un écrit à rendre au cadre formateur référent. Malgré ces différences de modalité d’application des APP, les objectifs de ces séquences d’apprentissage sont les mêmes et mettent en jeu des processus pédagogiques et psychologiques.

Concernant la définition de l’APP, face aux nombres de conceptions, méthodes et significations, nous pouvons retenir celle de Blanchard-Laville et Fablet (2000) qui permet de synthétiser ce qu’est l’analyse de la pratique professionnelle en évoquant ses grands principes :

Il s’agit d’activités qui : – sont organisées dans un cadre institué de formation professionnelle, initiale ou continue, — concernent notamment les professionnels qui exercent des métiers (formateurs, enseignants, travailleurs sociaux, psychologues, thérapeutes, médecins, responsables de ressources humaines...) ou des fonctions comportant des dimensions relationnelles importantes dans des champs diversifiés (de l’éducation, du social, de l’entreprise...). D’autres dimensions paraissent caractériser l’Analyse des Pratiques Professionnelles : les sujets participant à un dispositif de ce type sont invités à s’impliquer dans l’analyse, c’est-à-dire à travailler à la co- construction du sens de leurs pratiques et/ou à l’amélioration des techniques professionnelles. Cette élaboration en situation interindividuelle, le plus souvent groupale, s’inscrit dans une certaine durée et nécessite la présence d’un animateur, en général professionnel lui-même dans le domaine des pratiques analysées, garant du dispositif, en lien avec des références théoriques affirmées.

Les objectifs de l’APP sont multiples. D’abord, l’APP permet une « prise de conscience » par un « retour réfléchissant » (Vermersch, 2011). En effet, mettre des mots et détailler ses actions favorisent une première prise de distance avec ses conduites quotidiennes. Ce retour sera d’autant plus réfléchissant si l’analyse est effectuée en groupe. L’acteur peut bénéficier au sein de ces collectifs de la « richesse de l’interaction et de l’hétérogénéité » (Robo, 2005). Son analyse peut s’enrichir du croisement de points de vue et de vécus différents. Nous pouvons alors voir l’intérêt d’utiliser l’APP en formation infirmière. Outre l’apprentissage issu des savoirs pratiques, l’étudiant infirmier apprend dans ces groupes, à coopérer et à s’enrichir du collectif. Le professionnel infirmier est toujours un acteur travaillant en équipe, en réseau ou de toute manière en relation avec un patient. L’APP constitue un double apprentissage : les savoirs d’actions et le travail en équipe.

d’analyser sa pratique professionnelle. D’abord, cet auteur parle d’un avantage d’un point de vue de l’identité professionnelle : le travail en APP « vise essentiellement l’évolution de l’identité professionnelle des praticiens dans ses composantes : renforcer les compétences requises dans les activités professionnelles exercées, accroître le degré d’expertise… » Mais aussi, il affirme qu’importe la méthode d’analyse, type Balint ou autre, les groupes d’APP « relèvent d’activités de formation ayant pour visée essentielle le changement des personnes : remaniements identitaires en formation continue, sensibilisation en formation initiale ». Il ajoute même l’intérêt dans sa dimension sentimentale qu’aura la « “mise en mots” des émotions et affects liés aux interactions en contexte professionnel » (Fablet, 2004). Ces affirmations nous montrent qu’utiliser l’analyse de pratique a forcément un impact pour le développement de l’identité personnelle en plus de celle professionnelle. Si nous reprenons le développement de l’identité que nous pouvons retrouver dans les écrits d’Erikson (1972), l’analyse de pratique en groupe crée une situation privilégiée pour son cheminement personnel et professionnel. Perrenoud (2012) soutient également l’idée de l’impact de l’APP sur l’individu en d’autres termes. Cet impact est d’autant plus fort que les mécanismes en jeu durant une séance d’APP sont ceux expliqués par la psychanalyse :

Dans tous les cas, travailler sur l’écart entre ce qu’on fait et ce qu’on

voudrait faire, c’est au bout du compte avancer sur soi, que ce soit pour accroître sa performance ou pour transformer un rapport malheureux ou maladroit au monde et aux autres. Travailler sur soi peut se comprendre dans le sens psychanalytique, ce qui inviterait à aller chercher dans l’enfance et l’inconscient des choses profondément et activement refoulées. Ce modèle est à l’évidence pertinent pour certains aspects des métiers de l’humain. [...] Travailler sur soi peut également s’entendre en un sens moins « Freudien », pour désigner une activité de prise de conscience et de transformation de l’habitus qui, sans être anodine, ne mobilise pas nécessairement d’aussi forts mécanismes de défense que l’analyse freudienne de l’inconscient.

Dans le cadre de la résilience et comme nous l’a confirmé l’enquête, l’APP permet un retour du collectif et donc une prise de conscience de certaines actions ou réactions mises en place par l’individu. Par exemple durant l’entretien de Catherine, l’ESI d’origine étrangère semble être entrée en résilience lors du retour réfléchissant du collectif d’étudiants formant le groupe d’APP. Aussi, l’APP est un support d’apprentissage qui permet d’activer le processus de mentalisation. Le fait de partager entre pairs active certains mécanismes de défense comme l’affiliation ou l’intellectualisation par exemple. La recherche de solution à un problème qui peut se répéter incite l’étudiant à trouver des ressources pour affronter à nouveau l’adversité lorsqu’il s’agit d’un problème relationnel.

La relation pédagogique semble elle aussi favoriser le processus de résilience parce que l’élève se sent reconnu dans ses difficultés et étayé. Cette relation permet également de renvoyer à l’étudiant qu’il est capable de trouver des solutions à ses problèmes en partageant avec ses pairs et en cherchant dans la théorie. Les groupes d’APP ont été cités par quasiment tous les participants à l’enquête comme un moment essentiel où se transmettaient des émotions, mais aussi qui permettaient aux étudiants de repartir plus forts. Ainsi, pendant l’APP en groupe ou lors de la rédaction écrite, la prise de recul sur ses affects est favorisée et le mécanisme défense qu’est la sublimation est mis en travail. Comme ces temps pédagogiques jouent le rôle de soutien, permettent de mentaliser et de témoigner d’écoute, d’empathie ou de compassion entre autres, l’APP intervient dans le processus de résilience d’un point de vue externe et les formateurs ou psychologues animant ces séances ont la possibilité d’accompagner la résilience des étudiants vulnérabilisés.