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4. Discussion 146 

4.3 Les caractéristiques des tuteurs de résilience 150

soumis à un contexte délétère peut également voir son système de défense amoindri et se retrouver menacé par l’effraction traumatique. La personne fragilisée par ce contexte manifesterait alors des symptômes de stress post-traumatique. Par ailleurs, au regard des diverses recherches internationales sur le sujet du burnout des étudiants, nous avons vu que les causes et les conséquences sont parfois les mêmes comme si la personne vulnérabilisée était prise dans une spirale l’amenant à être de plus en plus mal moralement et physiquement.

Boudoukha (2016) explique les liens entre vulnérabilité, burnout et stress post- traumatique de la manière suivante. Selon ses recherches, le burnout peut être considéré comme la conséquence d’une vulnérabilisation du sujet. Mais il peut aussi être envisagé comme un facteur de vulnérabilité pour le déclenchement d’un événement traumatogène. L’épuisement professionnel vécu par la personne « augmente la probabilité d’être agressée et que le retentissement de cette agression ait lieu chez une personne fragilisée par le burnout. En retour, le traumatisme psychologique pourrait agir dans le maintien du

burnout pathologique […] Les sujets présentent alors un trouble conjoint de burnout et

ce stress post-traumatique » (Boudoukha, 2016, p 145).

4.3 Les caractéristiques des tuteurs de résilience

4.3.1 Le triangle fondateur de la résilience

Lors de l’étude des données recueillies sur le terrain, nous avons appuyé notre analyse sur les caractéristiques des tuteurs de résilience telles que Lecomte (2005) les a formulées. Nous pouvons également discuter de ces résultats en référence de ce que cet auteur a appelé le « triangle fondateur de la résilience ». Nous n’avions pas tenu compte de ce paradigme dans la revue de littérature, car il s’agissait d’enfants pour l’auteur et que notre étude concerne des adultes. Néanmoins, cette analyse se transpose bien aux données recueillies lors de notre recherche. En effet, dans le cadre de la rencontre entre un tuteur potentiel et le sujet vulnérabilisé, ce triangle est composé du « lien » et de « la loi » qui est établie par le tuteur (un adulte chez Lecomte) et du « sens » qui est créé par la personne en souffrance (un enfant pour cet auteur). Tous les étudiants ou les professionnels qui ont parlé d’élèves affaiblis s’accordent à dire que la relation à l’autre les a aidés à se reconstruire ou à se protéger de la réalité lorsqu’elle les a agressés. Par exemple, Sophie, ESI, a expliqué que la relation de soin l’a aidé à surmonter un encadrement maltraitant.

Marine et Latifa ont expliqué que c’était la relation bienveillante avec leur tuteur infirmier du jour, ou le contact avec une formatrice qui a su mettre des mots sur leur souffrance, qui leur a permis de se ressaisir.

Également, la loi est apparue pratiquement à chaque situation de vulnérabilité exposée. Par exemple, Manon explique que le jugement au tribunal de son agresseur en stage l’a aidée à être reconnue comme victime et lui a permise de se reconstruire. Tous les formateurs ou directeurs ont donné des exemples où le recours aux principes éthiques et à la déontologie a incité les étudiants ayant vu de la maltraitance par exemple, à se sentir reconnus dans le fait qu’ils aient été bousculés par les situations. Elle a favorisé le fait de rester ancrés dans une réalité bienveillante lorsque celle qui les a choqués les a plongés dans la souffrance de la maltraitance.

Enfin, tous les exemples montrent que le maillage de tuteurs potentiels de résilience, composé par les personnes formant le dispositif d’apprentissage, permet aux étudiants de créer du sens. Par exemple, les cours dispensés par les formateurs donnent un contenu théorique qui les aide à comprendre ce qu’ils ont ressenti. En analyse de la pratique, le cadre pédagogique amène des savoirs pour apporter des explications au vécu exprimé lors de l’exposé des cas cliniques par les élèves. Également, les infirmiers ou les cadres de santé/maîtres de stage aident à intellectualiser les situations de soins. Les étudiants interrogés dans cette recherche rapportent que ce lien a été important pour comprendre et rebondir.

4.3.2 Les caractéristiques des tuteurs au-delà de Lecomte

Les recherches de Lecomte (2005) ont permis d’établir une liste de caractéristiques que nous pouvons retrouver chez les tuteurs de résilience des étudiants infirmiers vulnérabilisés : « Ils manifestent de l’empathie et de l’affection, ils s’intéressent prioritairement aux côtés positifs de la personne, ils laissent à l’autre la liberté de parler ou de se taire, ils ne se découragent pas face aux échecs apparents, ils respectent le parcours de résilience d’autrui, ils facilitent l’estime de soi d’autrui, ils évitent les gentilles phrases qui font mal ». Certaines caractéristiques sont confirmées par la recherche en étant communes aux tuteurs décrits par Lecomte. Nous retrouvons : « Ils témoignent de la bienveillance et de l’empathie » ; « Ils laissent la liberté de venir parler » ; « Ils cherchent à dégager le positif dans les situations douloureuses » ; « Ils évitent les gentilles phrases qui font mal » ; « Ils s’attachent à maintenir un cadre limitant et bienveillant ». Ce cadre limitant et bienveillant se rapproche de ce que Lecomte entend

par « fournir des repères » et la « loi » garantie par l’encadrement des étudiants infirmiers comme nous venons de le voir. En conclusion sur ce que notre enquête a confirmé des recherches précédentes de Lecomte (2005), nous pouvons à l’instar de celui-ci, faire référence à Petitclerc (2000, p47) : « tout l’art éducatif repose sur cette conjugaison de l’amour et de la loi ». Tout l’encadrement des étudiants potentiellement tuteurs de résilience associent très fortement des compétences relationnelles les amenant à témoigner beaucoup de bienveillance tout en garantissant un cadre rassurant et structurant.

Néanmoins, à partir de l’analyse de cette recherche, nous avons dû prendre un peu de distance avec le référentiel de Lecomte. Bien que celui-ci ait fait partie d’un repère nous ayant conduit vers une première interprétation des données recueillies à ce sujet, nous avons vu rapidement que certaines caractéristiques étaient à reformuler, approfondir voire certaines semblent très spécifiques à la formation. La première qui est singulière aux tuteurs des études en soins infirmiers nous permet de discuter de l’empathie et de la bienveillance transmises aux étudiants. En effet, nous pouvons dire qu’il s’agirait plus d’une manifestation de compassion. Selon la définition de Rogers (2005), « être empathique, c’est percevoir le cadre de référence interne d’autrui aussi précisément que possible et avec les composants émotionnels et les significations qui lui appartiennent comme si l’on était cette personne, mais sans jamais perdre de vue la condition du “comme si” ». En d’autres termes, le tuteur qui manifeste de l’empathie peut imaginer ce que vit l’étudiant, mais ne le vit pas. Or, à propos du concept d’empathie, tous les auteurs ne s’accordent pas sur le ressenti des affects liés à l’empathie. En effet, selon Simon (2009), le terme est nomade et est sujet à la controverse : certains auteurs en font un processus uniquement cognitif qui laisse penser qu’une personne est empathique auprès d’une autre en se représentant ce qu’elle peut vivre : « elle n’est pas une relation affective, mais bien une relation cognitive (qui) n’a pas pour fonction de reconnaître les émotions d’autrui, mais de comprendre l’autre en adoptant son point de vue. » (Jorland, 2006). D’autres comme Rogers nous invitent à penser qu’en se représentant et en faisant preuve de compréhension empathique, la personne qui fait preuve de relation d’aide peut être conduit à vivre des émotions. Jorland (2006) nous amènerait plutôt à utiliser le terme de sympathie. En effet, il écrit : « la sympathie est le processus inverse : nous partageons les émotions d’autrui et cherchons après coup à en obtenir une représentation. C’est une contagion des émotions ». Ainsi, nous aurions à différencier si l’émotion d’un étudiant a généré de l’émotion chez le tuteur de résilience qui a ensuite fait preuve de compréhension donc de sympathie ou si la compréhension du vécu interne de l’autre a

amené le tuteur à vivre des émotions et à témoigner de l’empathie envers son étudiant vulnérabilisé.

Or, pendant l’analyse, nous avons utilisé le terme de compassion. En effet, les tuteurs de résilience des étudiants infirmiers semblent tous avoir souffert de leur travail de soins lors de leur scolarité ou de leur expérience infirmière. Durant l’encadrement des élèves, quel que soit leur statut (formateur, IDE, directeur...), nombreux nous ont témoigné des éléments nous permettant que les situations vécues par les étudiants infirmiers provoquent un peu plus qu’un transfert d’émotion chez leurs tuteurs. En approfondissant le concept de compassion, Jorland (2006) le définit ainsi : « bien qu’étymologiquement elle traduise littéralement en latin le mot grec “sympathie”, de la définir comme un acte dirigé vers autrui, pour lui venir en aide ou se faire l’instrument de son plaisir, induit aussi bien par l’empathie que par la sympathie ». Autrement dit, la compassion serait induite par le phénomène de transfert, lors d’un éprouvé sympathique ou empathique de la part du tuteur. Comme le tuteur de résilience des étudiants infirmiers s’en sert pour leur venir en aide, il témoignerait de compassion. Cette compassion est « une corrélation entre l’empathie ou la sympathie et l’altruisme » (Jorland, 2006). D’après l’analyse des entretiens, nous affirmons que les tuteurs de résilience des ESI font preuve de compassion envers ceux-ci. C’est cette caractéristique que les élèves vont chercher chez les tuteurs. Les étudiants Marine, Manon, Sophie ou encore Martin ont tous confié que c’est l’écoute, la bienveillance, le « cocooning », la reconnaissance de leur souffrance, la bienveillance... que les professionnels leur ont témoignés, qui leur ont permis de rebondir. Les tuteurs, à partir des termes utilisés ou des expériences de souffrance lors du travail de soins nous ont confirmé qu’ils sont particulièrement attentifs à cette dimension. En effet, ils savent ce qu’apprendre à soigner en général peut faire à un étudiant.

Par conséquent, les autres caractéristiques des tuteurs de résilience apparentant au dispositif de formation infirmière gravitent autour de ce témoignage de compassion : « Ils utilisent la pédagogie pour favoriser le processus de mentalisation » ; « ils favorisent la prise d’autonomie » ; « ils ont la volonté de les préparer à une réalité difficile ». En effet, les tuteurs qui font partie du dispositif de formation infirmière favorisent la prise d’autonomie et ont la volonté de les préparer à une réalité difficile. C’est bien parce qu’ils font preuve de compassion qu’ils s’obligent à amener l’étudiant à devenir responsable, autonome donc adulte et professionnel. C’est parce qu’ils savent ce que le travail de soins peut faire émotionnellement à l’étudiant ou au soignant, qu’ils leur apportent des outils, des connaissances pour se défendre ou comprendre les situations hostiles. Ils utilisent la

pédagogie, c’est-à-dire les connaissances théoriques et les différentes médiations pédagogiques, pour amener l’étudiant à comprendre. Ils enclenchent et nourrissent le processus de résilience pour les aider à se reconstruire et trouver des solutions ou des outils pour appréhender un futur travail qui sera de toute façon difficile à l’avenir.

Enfin, l’analyse des entretiens a apporté une dernière caractéristique que nous avons nommée ainsi : « ils savent reconnaître la limite de leur accompagnement ». En effet, nombreux nous ont manifesté qu’ils écoutaient et accueillaient la souffrance des ESI fragilisés. Mais ils avaient la volonté de préciser qu’ils ne se substituaient pas à un psychologue ou un psychiatre. En ce sens, ils ont témoigné de l’importance d’exprimer sa compassion, d’accompagner l’étudiant par une relation d’aide pédagogique. Mais chacun essaie de ne pas entrer dans un accompagnement thérapeutique réservé à des professionnels soignants et non de l’apprentissage. Par conséquent, nous pouvons conclure que cette dernière caractéristique semble primordiale pour argumenter la compassion exprimée dans le cadre de l’accompagnement résilient des élèves infirmiers. En effet, les situations de soins peuvent amener le personnel à souffrir ou venir réactiver des vécus douloureux. L’étudiant, lors de son apprentissage peut être confronté à ce phénomène qu’il doit être en mesure d’identifier et de gérer pour retourner soigner à nouveau. La posture de pédagogue des personnes pouvant être des tuteurs de résilience nous permet d’affirmer qu’il s’agit d’une caractéristique importante pour que les étudiants eux-mêmes repèrent ce qui peut se travailler par le biais de l’apprentissage, et ce qui serait à analyser dans un autre lieu que sur le lieu de travail. En tant que futur professionnel, il s’agit de les inciter à identifier la frontière entre le travail qui permet de comprendre ou se défendre par l’activisme, et celui qui n’aurait pas de limite entre sa propre souffrance et la souffrance des autres, et qui deviendrait alors un terreau fertile à l’épuisement professionnel notamment.

4.4 Des tuteurs choisis ou des professionnels de la résilience ?

Une dimension de l’analyse nous permettrait de discuter la notion de tuteur de résilience. Les professionnels identifiés comme tuteurs de résilience sont-ils des tuteurs choisis par l’étudiant en souffrance ou sont-ils des professionnels qui accompagnent consciemment la résilience des étudiants vulnérabilisés ? L’analyse concernant la compassion témoignée par les tuteurs envers les étudiants nous amène à réfléchir au lien entre la relation pédagogique, celle d’aide pédagogique et l’accompagnement de la résilience. En effet, si les professionnels ont conscience que les souffrances des étudiants