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3. Étude empirique 50 

3.6 Conclusion de l’analyse et confrontation aux hypothèses 143

Après notre revue de littérature et avant d’aller enquêter sur le terrain, nous avons proposé d’emprunter la problématique suivante : « Dans quelle mesure le dispositif de formation des IFSI peut-il constituer un maillage de tuteurs de résilience pour les étudiants infirmiers leur permettant de surmonter les épreuves traumatiques liées à la formation pratique pour se reconstruire et pour devenir un professionnel soignant ? » À partir de cette problématique, nous avons envisagé des hypothèses. Nous allons les reprendre et synthétiser, au regard des résultats d’analyse, les éléments qui confirment, infirment ou approfondissent ces hypothèses.

L’hypothèse 1 était : « Les étudiants infirmiers qui entrent en formation présentent des facteurs personnels de vulnérabilité communs liés à l’histoire des soignants qui les amène inconsciemment à vouloir soigner, aux enjeux liés à la jeunesse s’ils entrent en formation après le baccalauréat, aux enjeux de la formation à l’âge adulte si ceux si se trouvent en situation de reconversion professionnelle ou de reprise d’études ». Cette hypothèse se vérifie complètement. En effet, les interviewés comme Hélène (cadre de santé), Maria (formatrice) ou encore Isabelle (Psychologue) nous ont laissé entendre que les soignants avaient des raisons inconscientes qui les poussaient à le devenir. Ces raisons sont à la fois un facteur de motivation et un de fragilité. En effet, la volonté de réparer quelque chose de soi peut insuffler un grand élan de dépassement de soi. À l’inverse, il est un vecteur de fragilité quand il expose l’étudiant à la projection et au transfert d’émotions. Celles-ci faisant écho directement à leur histoire peuvent les rendre plus vulnérables pendant l’apprentissage lorsqu’ils sont confrontés à des situations de soins à fort retentissement personnel. Egalement, l’âge des étudiants durant leurs scolarités a un sens dans la manière de gérer l’apprentissage. Les plus jeunes seraient moins fragilisés par celui théorique que ceux qui recommencent une formation à l’âge adulte. En revanche, les plus âgés auraient plus de moyens personnels pour affronter les situations difficiles de stage. Néanmoins, ces adultes en formation présentent des fragilités spécifiques à leur période de vie qui sont les exigences familiales ou la pression du financement de la scolarité par un employeur par exemple.

L’hypothèse 2 était formulée ainsi : « En plus de facteurs personnels de vulnérabilité, les étudiants infirmiers en soins infirmiers peuvent être vulnérabilisés par le contexte d’apprentissage en IFSI à cause notamment des enjeux relationnels de la relation pédagogique étudiants/cadres de santé formateurs ». Cette hypothèse a été confirmée partiellement. En effet, Dominique (directeur) a bien signifié que lorsque la

confiance entre un élève et un formateur référent était rompue, le premier pouvait se sentir encore plus vulnérable. Toutefois, aucun apprenant ou cadre en IFSI n’a semblé mettre cet argument en avant. Au contraire, chaque étudiant de l’enquête, lorsqu’il a été fragilisé, a pu compter sur son référent ou d’autre formateur de l’IFSI. Martin a même souligné que d’être de même professionnalité que l’enseignant faisait qu’il se sentait encore plus compris et soutenu. Ainsi, les enjeux spécifiques, liés au fait que des cadres de santé soient d’anciens soignants, sont de préférence vécus par les ESI comme quelque chose de positif et qui aide la relation de confiance et la résilience, plutôt que d’être un obstacle à celle-ci.

L’hypothèse 3 était formulée comme ceci : « En plus de facteurs personnels de vulnérabilité, les étudiants infirmiers en soins infirmiers peuvent être vulnérabilisés par le contexte d’apprentissage en stage notamment par les enjeux émotionnels liés à la relation d’aide ou par l’organisation du travail des hôpitaux, au même titre que les infirmiers qui les encadrent ». Cette hypothèse est totalement validée par la recherche. Les résultats d’analyse vont même plus loin : l’étudiant infirmier peut parfois être un bouc émissaire auprès d’équipes souffrantes dans leur travail. Manon, par exemple, alors qu’elle a été soutenue dans un premier temps après son agression, est devenue responsable de celle-ci selon l’équipe. Hélène, cadre de santé, témoignait que les médecins de son service s’en prenaient au premier qui était devant eux lorsqu’ils sont stressés, et le premier est souvent l’élève. De manière générale, les étudiants semblent être des objets collectant la contre-agressivité des personnels en état de souffrance au travail.

Notre hypothèse 4 traitait de psychopathologie : « Les étudiants infirmiers peuvent manifester des symptômes témoignant d’une vulnérabilisation ou de réactivation de psychotraumatismes allant du simple mal-être au burnout ». À partir des résultats et de leur analyse, nous avons collecté une symptomatologie qui se rapproche de l’épuisement professionnel ressenti par les soignants. Les signes que nous avons répertoriés sont : le sentiment de mal-être, les pleurs, le sentiment de culpabilité, le stress, l’angoisse, la perte de confiance en soi et en l’autre, la colère ou au contraire la froideur émotionnelle, la pensée ou la parole bloquée. Certains auraient décompensé des maladies psychiques durant la formation telle qu’une addiction à l’alcool, une schizophrénie ou encore des troubles alimentaires. Des signes de syndrome post-traumatique sont venus parfois compléter les tableaux cliniques avec par exemple la surprise de l’événement et sa brutalité, les cauchemars et autres reviviscences, ou encore le sentiment d’effroi. Notons qu’il y a tout de même quelques symptômes qui sont spécifiques aux apprenants comme le stress de réussir, le fait de ne pas se sentir compétent pour aborder

les situations de soins ou encore la précarité financière qui caractérise la condition étudiante.

L’hypothèse 5 était « La formation infirmière permet aux étudiants de mobiliser des facteurs de protection environnementaux spécifiques tels que l’apprentissage ou le partage entre pairs, et des mécanismes de défense favorisant la protection et l’élaboration, dans le cadre d’un processus de résilience ». Selon les témoignages recueillis, il n’a pas été évident à chaque exemple d’étudiant vulnérabilisé de repérer un moment clé où ceux- ci ont démarré un processus de résilience. En revanche, les mécanismes de protection et de défense en jeu durant le processus résilient ont été largement argumentés. Concernant les facteurs de protection externe, c’est-à-dire ceux qui sont les plus observables lors de la formation infirmière, nous avons pu mettre en évidence le rôle important des connaissances théoriques, du partage entre pairs, de la relation pédagogique entre autres lors, par exemple, de l’analyse de pratique professionnelle, des cours ou du suivi de progrès. Les mécanismes de défense à l’œuvre durant cette scolarité ont principalement pris la forme de l’affiliation, de l’altruisme, de l’activisme, de la sublimation ou encore de l’intellectualisation.

Enfin, concernant l’hypothèse 6 « Les étudiants entre eux, les cadres de santé formateurs, les directeurs d’IFSI, les cadres de santé d’unité/maîtres de stage, les infirmiers et les psychologues forment un maillage de tuteurs de résilience à la disposition des étudiants vulnérabilisés », nous pouvons affirmer que toutes ces personnes sont à la disposition des apprenants. Leur mission n’est pas de soigner, mais par leur présence, par la relation de confiance, par le cadre instauré et par leur volonté de les rendre plus compétents pour affronter l’adversité, toutes ces personnes sont susceptibles de jouer le rôle de tuteur de résilience.