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3. Étude empirique 50 

3.4 Les processus de résilience 104

3.4.2 Les mécanismes de défense 112

D’un point de vue psychanalytique, nous avons vu que la mobilisation des mécanismes de défense permettait au Moi de faire face à l’agression dans un premier temps, puis dans un deuxième temps incitait la personne à mentaliser et mettre à distance le trauma. Dans les entretiens, nous avons pu relever : la fuite, le déplacement, l’altruisme, l’activisme, l’anticipation, la rationalisation, l’affirmation de soi, le refuge dans la rêverie, le refoulement, l’intellectualisation, la sublimation et l’affiliation.

La fuite

Par exemple, Latifa, dans l’urgence après la coronarographie, a été soulagée de pouvoir fuir : « j’ai eu de la chance que cela se soit produit vers 12 : 30. J’ai pu prendre ma pause et c’était l’heure de partir […] j’en pouvais plus, il fallait que je parte ». Sophie, qui s’est enfuie dans le sud de la France et s’est évadée grâce aux toxiques, illustre ce mécanisme de défense : elle a fui « physiquement, en partant, en ne répondant plus au téléphone ; elle a fui aussi ses idées « avec la drogue et l’alcool ». Plus tard, en stage, lors

du pansement à la jeune fille à l’épidermolyse bulleuse, elle a fui la relation pour se protéger en trouvant des parades pour ne pas approfondir les discussions : « j’abrégeais très rapidement parce que sinon quand je lui disais quelque chose, elle m’en reparlait toute la semaine. Ta copine machin, comment elle va ? Donc ce n’était pas possible » ; « Je faisais le pansement sans vraiment parler, en étant très froide » ; « j’ai été très égoïste sur ce coup-là, mais en même temps je suis restée dix semaines avec elle et je n’avais pas le choix sinon ça allait me retourner la tête et ce n’était pas possible ».

Catherine propose que la cessation de formation d’une étudiante lui a permis de fuir le milieu qui l’angoissait et de participer à sa résilience : « deux mois après avoir arrêté elle et repassée (à l’IFSI) et elle était métamorphosée. Pour sa santé, elle a vraiment bien fait d’arrêter ». Catherine affirmera en ce sens que « Le fait d’arrêter, c’est aussi arrêter de se faire du mal dans cet apprentissage ».

Pour Maria, cette fuite en stage peut se manifester par une « fuite physique » : « je délègue et je me cache derrière mon statut d’étudiant ». Fatia donne le même exemple avec son étudiante en cancérologie qui ne pouvait rentrer dans la chambre où sa mère avait été soignée. Elle trouvait toujours une excuse à l’approche de cette pièce : « quand tu lui disais de prendre en charge des patients, elle ne prenait jamais le patient qui était dans la chambre 50 et quand il y avait le lit à faire avec l’aide-soignante, elle allait chercher un truc ou elle allait aux toilettes ».

Le déplacement

Le déplacement est observable dans la situation de Catherine à propos de l’étudiante d’origine étrangère qui vit comme du racisme les commentaires sur une patiente du pays d’où elle vient . En effet, plutôt que de se remettre en question et sûrement souffrir de cela, cette apprenante a déplacé le ressenti à propos de son manque de distance relationnel vers un problème supposé de « racisme » des soignants qui l’encadrent.

L’altruisme

Grâce aux soins, de nombreux étudiants investissent l’action pour se protéger ou comprendre ce qui les fait souffrir. Certains l’ont exprimé sous le terme de réparation. Par exemple, Sophie retire un certain bien-être de la gratitude témoignée par les usagers :

« je passe le plus clair de mon temps libre avec les patients parce qu’ils sont rassurants […] c’est vrai ils sont toujours gentils avec les stagiaires même s’ils n’ont absolument pas confiance, mais ils sont toujours très gentils. ». Elle se sent également valorisée par ce travail « parce qu’on se dit qu’on n’est pas totalement inutile non plus, qu’on n’est pas dans le service parce qu’on doit être là, il y a toujours une raison. »

Élisa, formatrice, propose l’analyse suivante : « le fait de se centrer sur les autres c’est aussi une manière de ne pas se centrer sur soi et de faire abstraction de ce que l’on est, de ce que l’on vit et de nos difficultés, certains plus que d’autres ». Maria parle de son propre parcours de résilience en expliquant qu’elle est parvenue à surmonter le contexte difficile en s’occupant énormément d’une dame âgée : « j’y ai trouvé beaucoup de reconnaissance dans le regard de cette dame, parce que j’en ai pris soin et c’est-ce qui m’a aidé à tenir, je crois ». « La reconnaissance de son fils qui passait la voir régulièrement » était aussi importante pour elle.

Fatia nous livre également l’analyse suivante : « il y a beaucoup de personnes qui prennent le choix d’être infirmiers après un choc. Une élève aide-soignante qui était chez nous (en oncologie), est venue travailler chez nous. Elle a perdu son mari dans notre service, elle n’était pas du tout aide-soignante, elle était secrétaire dans l’entreprise de son mari. Et après la mort de son mari, elle est venue travailler chez nous, dans le service où il est décédé. »

Maeva, infirmière en réanimation, affirme également que le fait de bien s’occuper des autres aide à tenir quand le contexte d’exercice est dur à éprouver : « il y a quelque chose en nous qui fait qu’on a envie de faire ça malgré les horreurs qu’on peut vivre ou les difficultés qu’on peut rencontrer ».

L’activisme

De nombreux témoignages convergent pour expliquer que s’activer en travaillant beaucoup, en agissant pour ne pas réfléchir, en se concentrant sur la technique plutôt que le relationnel… permettait aux personnes de surmonter un contexte délétère. Lorsqu’elle a été choquée par les paroles d’un médecin, Marine nous a raconté : « je suis allée faire une toilette, c’était quelque chose où je n’avais pas besoin de réfléchir ». Maria, très vulnérabilisée par son premier stage en maison de retraite, disait qu’elle s’occupait énormément d’une dame qu’on lui avait confié : « j’en prenais bien, bien, bien, soin… c’est tout ça qui fait que tu tiens ».

Fatia parle de ses collègues qui s’investissent surtout dans la technique des soins en cancérologie et moins dans la relation : « il y a des gens dans la technique, qui n’aiment pas faire l’hôpital de semaine, qui préfèrent l’hôpital de jour, car c’est très technique ». Élodie évoque aussi l’activisme qui aide beaucoup les soignants en néonatologie en leur permettant à se réfugier dans l’activité lorsque les soins sont émotionnellement difficiles : « on a beaucoup de choses techniques, pour nous aider à prendre du recul, je pense ».

L’anticipation

Sophie est la seule qui a parlé clairement de ce mécanisme pour se protéger de l’angoisse. Lorsqu’elle vivait cela en étant obligée d’aller auprès de sa patiente à l’épidermolyse bulleuse du même âge qu’elle, elle réfléchissait à ses futures actions et réponses pour anticiper : elle n’arrêtait pas de « se demander comment on va faire » et elle dit « je déteste anticiper ».

Le refuge dans la rêverie

Ce mécanisme est surtout illustré par une cliente/étudiante d’Isabelle, psychologue. Elle nous a confié que sa patiente « se réfugiait sans cesse dans sa bulle » pour imaginer ce qu’elle pourrait vivre de meilleur : « Tout le temps, elle était dans sa bulle. Après, elle est arrivée à s’en extirper, à s’approprier sa réalité aussi. Mais elle était tout le temps dans sa bulle, elle essayait sans arrêt de réparer des choses, d’imaginer quelle aurait pu être sa vie, comment ça pourrait se passer, son avenir, et cetera, et elle se sentait bien que là-dedans ».

La rationalisation

Maria a parlé de ce mécanisme pour tenir le coup lorsqu’elle vivait très mal son premier stage auprès de personnes âgées : « “non, mais tu ne peux pas là, t’as choisi ce métier-là, t’es là depuis 2 mois, tes parents te payent tes études comment tu vas leur dire que tu veux arrêter pis ce n’est pas possible tu vas faire quoi d’autre ? ” Non, mais c’est ça qui m’a fait tenir ! »

L’affirmation de soi

Plusieurs interviewés ont exprimé un positionnement de pensée durant les entretiens. Parfois, ils n’ont pas réussi à le faire sur le moment douloureux, mais le fait qu’ils puissent le faire à distance peut témoigner de leur processus de résilience. Par exemple, Latifa a demandé à l’équipe de pédopsychiatrie face à la violence de l’enfant : « est-ce que je peux me mettre à l’écart parce que moi elle me fait peur ? ». Manon confie que la tenue professionnelle lui permet d’affirmer son positionnement avec plus d’assurance : « Je ne vis pas les mêmes choses en civil qu’en blouse. On est en poste déjà, on a une mission, des patients à gérer, à surveiller. On a un statut. On n’est pas Me Lambda. Vous êtes l’infirmière du service. On a une étiquette. On ne peut pas se permettre de se terrer au fond de la salle de soins pendant des heures. On a le droit d’avoir des émotions bien sûr. Cela vous aide à gérer sur le moment, à avoir une contenance. En tant que diplômée, on a un statut, une autorité, des compétences. Et moi cela m’a beaucoup aidée. Je suis infirmière, je peux me faire entendre auprès de familles qui ne me respectent pas, “ je suis là pour faire mon travail et vous prendre en charge. Respectez donc le fait que je n’arrive pas dans la minute” ». Quant à Marine, elle a été satisfaite de pouvoir affirmer son point de vue lors de la discussion médicale en réanimation déterminant la poursuite des soins ou non du patient polyhandicapé. Enfin, pour Élisa, l’affirmation de soi est un témoin du processus résilient de l’étudiante malmenée par un massage cardiaque forcé sur une personne décédée. En effet, elle a pu dire après avoir souffert : « moi je ne veux plus jamais revivre ça quoi. Donc si je dois retourner en stage et puis que je dois revivre ça, ça ne va pas être possible ».

L’intellectualisation

L’intellectualisation peut témoigner du processus de mentalisation en mettant à distance les affects déplaisant par le retour à la théorie, mais aussi en aidant à comprendre les situations difficiles. Martin a employé ces phrases pour illustrer cet argument : « il y a le formateur qui anime la séance et qui reprend les choses. Alors là on commence à évoluer dans la formation, on utilise de plus en plus de termes scientifiques » ; « Je me suis dit : ok, on est dans un service très technique, le relationnel c’est peut-être moins la priorité, car on doit faire des choses très techniques, mais il y a deux poids deux mesures. On prend sans doute moins le temps devant le patient pour discuter, car on a plein de

choses à faire, mais ce n’est pas pour autant qu’on ne soit pas soignant. Pour moi ce n’était pas une attitude soignante ». De son côté, Sophie s’était « remise dans ses cours de première année. Quant à Marine, pour surmonter la douleur générée par cet événement avec le patient polyhandicapé, elle a engagé toute une réflexion basée sur des références théoriques qu’elle est allée mobiliser en cours d’éthique et en APP. Marine a su intellectualiser pour comprendre et se protéger.

La sublimation

Certains témoignages permettent d’illustrer la sublimation, notamment l’utilisation de l’écriture à la fois pour mettre en forme les angoisses, pour les pousser à distance et afin de les penser. Patricia, formatrice, explique que même si ce n’était pas demandé par l’IFSI, l’étudiante de néonatologie, qui a accompagné la mort d’un enfant, a rédigé la situation douloureuse sous forme d’une APP écrite : « elle m’a réécrit cette situation pour pouvoir arriver à la dépasser ». Hélène, cadre de santé, a donné un exemple où un cas de « maltraitance institutionnelle » a constitué le point de départ d’un « mémoire » de fin d’études.

L’affiliation

Enfin, le mécanisme de défense que l’on observe dans toutes les situations est l’affiliation. Par exemple, Martin l’illustre par les séances de groupe d’APP et les bonnes relations avec les camarades de classe : « Il y a les APP qui permettent de parler de notre vécu, et puis nos collègues de formation. On a de la chance d’être une petite promo de soixante, ce qui joue énormément. On trouve toujours quelqu’un qui a vécu la même situation, avec qui on peut échanger. » Sophie a su trouver une collègue à qui se confier : « j’ai appelé une collègue de promo en août qui m’a dit “ Il ne faut pas prendre les stages comme ça, faut reprendre le dessus en stage, il faut y aller et même si on ne se sent pas bien, faut y aller, faut pas laisser tomber ” ». Le partage entre pairs lui a également fait du bien : « ça m’a fait du bien d’en parler à l’analyse de pratique parce que je n’en ai pas discuté avec l’infirmière ». Elle en a eu besoin pour savoir si ses réactions étaient « normales » : pour « voir si les autres étaient pareils, si c’était normal ».

Marine a discuté et s’est livrée à son tuteur de stage, avec sa cadre référente, en cours d’éthique et en séance d’APP. Manon a partagé avec sa famille et son petit ami, ses

pairs en APP, sa formatrice et l’équipe de soins qui l’a accueillie dans son stage suivant la gynécologie. Globalement, le fait de pouvoir raconter, décharger ses émotions et être reconnue comme souffrante par ces individus ont contribué à ce qu’elle s’en sorte.

Catherine reprend également l’exemple de l’APP comme le moyen d’utiliser ce mécanisme. Cela nous montre aussi comment le groupe de pairs peut être protecteur auprès d’un étudiant en difficulté : les collègues de promotion « lui ont permis de se sortir de ce tunnel qui l’enfermait dans cette réflexion et qui l’inhibait dans sa progression ».

Egalement, l’affiliation est repérable lors des suivis pédagogiques. Ces moments favorisent le processus de mentalisation : « on essaie de faire un point, un bilan sur ce qui vient de se passer et puis on essaie de formuler des objectifs avec l’étudiant pour progresser dans la formation » ; « Des événements même traumatisants sur le coup, après riches sur le plan pédagogique et structurel. ». Patricia, Élodie, Maeva, Vanessa, Sabrina... ont toutes une anecdote où le partage s’avère essentiel. En tant que psychologues, Mylène, Régine et Isabelle confirment que les collègues sont très importantes pour les étudiants pour partager les émotions vécues en formation.

L’humour

L’humour a été évoqué dans de nombreux exemples : « Je suis un grand partisan de l’humour, rigoler ça permet d’évacuer » (Martin) ; Catherine, en riant, à propos de l’idée de quitter le milieu des soins pour se protéger : ça donne envie « d’aller vendre des fleurs » de faire « des choses qui font du bien... avec des couleurs ». La mise à distance semble avoir été faite.

Pour Marie, cadre de santé au bloc, ce mécanisme est là pour « dédramatiser » et aider à prendre du recul : « l’humour, avec des collègues on disait “ on est complètement cons !” On ne le faisait pas devant les patients, mais on arrivait à exploser de rire sur un truc, mais dramatique. Il fallait qu’on le sorte, fallait qu’on l’évacue d’une façon ou d’une autre, donc on avait trouvé l’humour noir, l’ironie, des trucs trash, encore plus trash pour dédramatiser ces situations hein et t’avais envie de te lever le lendemain matin ».

Maeva, infirmière en réanimation, dit qu’après avoir vécu un moment très stressant, l’humour sert à le libérer aussi et aide à mettre à distance l’événement : « faire preuve d’humour entre nous. On se détache, on déshumanise ce qu’il se passe, ce corps parce qu’on est entre nous ».