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La vulgarisation passe par le choix des mots pour rendre les connaissances accessibles, mais aussi par leurs quantité et qualité. Autrement dit, les informations délivrées par l’auteur sont celles qu’il a jugé pertinentes et utiles pour le lecteur. Dans Le

Cabinet, nous pouvons observer que Molinet essaye d’être le plus complet dans ses

descriptions sans pour autant noyer son lecteur. Ainsi, nous pouvons constater que les informations fournies concernent les noms des curiosités, leur provenance géographique, leurs descriptions physiques et que certaines bénéficient de connaissances supplémentaires en relation avec leur histoire.

Tout d’abord, la nomination des curiosités est un élément primordial. Molinet prend le temps de signaler les différents noms d’un même item, et en fait une brève explication lexicologique. C’est-à-dire qu’il retrace les origines des noms en précisant de quel peuple ils sont issus, ce qu’ils signifient, comment ils ont évolué ou été adoptés par d’autres langues, quelle caractéristique de la curiosité a motivé ce choix, etc. Nous prendrons le cas du tatou pour exemple car il regroupe plusieurs aspects. Molinet débute son article en précisant que le tatou « a presque autant de noms, qu’il y a d’Auteurs qui en parlent »16.

Pour ne pas perdre son lecteur, il décide de détailler les trois plus connus : l’espagnol « Armadillos », l’italien « Bardato » et l’autochtone « Tatau ». Il explique ensuite que des

15 Ibid., « Une Oye de Magellan », p. 190. 16 Ibid., « Un Armadille », p. 192.

auteurs scientifiques ont forgé le terme latin « Tatus » en se fondant sur le terme autochtone, et que le français l’a traduit en « Tatou ». Le lecteur a donc à sa disposition cinq noms. Les trois derniers, l’autochtone, le latin et le français, expliquent comment le nom original a été importé en Europe pour être intégré d’abord à la langue scientifique puis à la vulgaire. Les deux premiers, l’espagnol et l’italien, illustrent une autre manière de nommer les découvertes : s’appuyer sur une caractéristique emblème de l’espèce. Ici, les écailles dorsales du tatou ont donné naissance à ces nominations : « Ces deux prémiers peuples l’ont ainsi appellé, à cause qu’il est armé sur le dos d’une maniéré de cuirasse. » En effet, armado signifie en espagnol « armé » et le suffixe « -llos » est un diminutif désignant une petite chose. Le terme italien bardato se traduit par « caparaçonné » en français. Le caparaçon est l’équipement décoratif et de protection des chevaux. L’aspect d’armure, de carapace, de protection est donc bien à l’origine de la création des termes espagnol et italien. Nous pouvons d’ailleurs noter que Molinet opte pour le nom espagnol pour désigner son spécimen, « Ce second Armadillos », alors qu’il mentionne les termes latin et français. Nous supposons que l’armure du tatou lui semblait plus importante pour sa dénomination que le nom autochtone. Grâce à ces explications lexicologiques, Molinet prend le temps d’instruire le lecteur à propos du premier élément de contact avec les curiosités, à savoir leurs noms. Comprendre pourquoi un item est dénommé ainsi, et comment ce nom a pu évoluer ou non, permet à la fois de présenter des particularités des spécimens, ici les écailles dorsales du tatou, et de mettre en lumière ce qui a rendu la curiosité intriguante pour les voyageurs, au point de les ramener en Europe, et pour les naturalistes qui les intègrent à leurs cabinets.

Le deuxième élément indispensable pour une description complète est l’origine géographique. Elle est le plus souvent donnée de manière très large en désignant un pays. Ainsi, la majorité des oiseaux est désignée comme provenant du « Brésil ». Le pingouin a une localisation plus précise de son habitat due à son nom « Oye de Magellan » : il vient donc du détroit de Magellan au sud du Chili. Certaines curiosités n’ont pas d’origine géographique précisée, comme l’« aiguille ». La provenance permet à la fois au lecteur de replacer la curiosité dans sa région, et sert également un gage de rareté et de singularité attendu d’un cabinet.

Pour être complet dans la présentation des curiosités, Molinet doit bien évidemment les décrire physiquement. Cela passe par l’emploi d’adjectifs de taille, de couleur, de texture, de forme, etc. Molinet les accumule pour dépeindre les différents aspects de ses spécimens et pour se rapprocher de la réalité. Par exemple, le pelage du ventre du tatou : « on y remarque du poil assez long, rude, et clair semé qui tire sur le noir »17. Quatre

informations nous sont délivrées concernant ce pelage : la longueur des poils « assez long », leur texture « rude », leur implantation « clair semé », et leur couleur « qui tire sur le noir ». Ces détails sont nécessaires car ils n’apparaissent pas sur la gravure : le tatou est de profil, et quand bien même nous verrions son ventre, la texture et la couleur ne seraient pas perceptibles, et la description ne serait pas complète. En plus des portraits physiques, Molinet fournit dans vingt-huit articles plusieurs mesures : la taille globale d’une curiosité, la taille du bec, l’écart entre les nageoires, le poids, etc. Nous pouvons noter un déséquilibre entre ces articles : « Un Pristis ou Serra » contient le plus de mesures avec quinze occurrences. Viennent ensuite l’« Aiguille à écailles » avec sept mesures, l’« Armadille » avec six, la « Corne de Giraffe » avec quatre, l’« Oye de Magellan », la « Corne de Rhinoceros », le « Rosmarus », la « Tête de Lamie », le « Serpent à sonnettes » et la « Gousse d’Hoüatte » avec trois mesures, « L’Oyseau Onocrotalus », la « Corne de Licorne », le « Scinck », le « Caméléon », la « Dent de l’Hippopotame », le « petit Crocodile », le « Hérisson de mer, ou Porc-espic », « La Plante de l’Arbor Coralloïdes » et la « Gousse de Chataignes » avec deux mesures, et le « Bœuf volan », le « petit Oyseau du Brésil », le « Platea », la « Pie du Brésil », le « Lézard du Brésil », le « Rat musqué », le « Remora », le « Poisson triangulaire » et le « tres-grand Serpent » avec une mesure.

Ces indications permettent une visualisation plus précise. Et surtout, elles complètent les gravures : les planches de début de chapitres ne permettent pas de se rendre compte de la taille réelle des curiosités car certaines ont été grossies pour que nous puissions voir les détails, alors que d’autres ont été diminuées pour rentrer sur la planche. Les gravures synoptiques offrent une comparaison de taille entre certains spécimens, mais tous ne sont pas représentés et aucune échelle de taille précise n’est fournie. Cependant, Molinet ne communique pas les dimensions de toutes les curiosités, et ne présente pas un tableau aussi complet que celui du pristis. Nous supposons qu’il souhaitait éviter de trop

alourdir ses descriptions, ou qu’il n’a pas jugé utile de les faire figurer car il estimait qu’elles n’apportaient rien de très intéressant à ses descriptions. Pour le cas du pristis, nous pensons que Molinet fournit autant de mesures parce que ce poisson est présent chez plusieurs auteurs avec des descriptions complètes, et qu’il semble avoir fondé cet article sur la comparaison de son spécimen avec ceux des autres naturalistes. Il est donc nécessaire de fournir le plus de détails pour que le lecteur puisse lui aussi apprécier les différences entre chaque pristis.

Pour approfondir certaines de ses descriptions, Molinet apporte également des informations complémentaires à la peinture physique et aux informations basiques que sont le nom et la provenance géographique. Dans les cas de la girafe, du rhinocéros et du crocodile, des détails historiques sont rappelés, comme les circonstances des premières apparitions de la girafe et du rhinocéros à Rome : « Dion prétend qu’Auguste fut le premier qui en [un rhinocéros] fit venir à Rome, pour le faire voir dans un triomphe qu’on luy fit. Pline veut que ce fut Cneius Pompeius »18 et « Ce fut du temps de Jules Cesar que cet

animal [la girafe] parut à Rome pour la prémiére fois »19. L’article « Un petit Crocodile »

se clôt sur la « grande vénération »20 des Egyptiens pour cet animal et sur son utilisation

par les Romains « pour désigner cette grande Provience, et ce fleuve du Nil qui l’arrose. » Ces apports permettent de développer un peu plus des curiosités très fameuses des cabinets. Nous avons également noté que ce type d’ajouts concernent surtout les curiosités ne provenant pas du Nouveau Monde : le rhinocéros, la girafe, le crocodile, la lamie, etc. Ces informations servent à pallier l’absence de la dimension de « découverte » présente chez le toucan ou le tatou, et illustrent le travail de documentation de Molinet.

En fournissant des informations basiques et d’autres plus ciblées, le père du Molinet permet au lecteur d’avoir une vue d’ensemble assez complète sur les curiosités présentées. Les connaissances basiques assurent au lecteur d’acquérir le savoir nécessaire sur chaque item. Les descriptions un peu plus poussées pointent des caractéristiques rendant dignes d’intérêt les curiosités qui les possèdent ou mettent en relief le passé des items connus depuis l’Antiquité. Une fois Le Cabinet fini, le lecteur a donc en main une

18 Ibid., « Une Corne de Rhinocéros », p. 192. 19 Ibid., « Une Corne de Giraffe », p. 195. 20 Ibid., « Un petit Crocodile », p. 200.

somme importante de savoirs lui permettant d’être instruit à propos de plusieurs curiosités, sans pour autant avoir trop d’informations à retenir. Par la suite, il peut approfondir ses connaissances par d’autres lectures plus poussées qui lui seront accessibles puisqu’il dispose d’un premier bagage solide de connaissances.