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Tout d’abord, nous pouvons noter que dans le sommaire réalisé sur la page de titre du catalogue les intitulés des chapitres qui nous intéressent ont subi deux traitements. « Les Oiseaux les plus rares », « Les Animaux les plus singuliers » et « Les Poissons et les Serpents les plus curieux » ont été fusionnés dans « des Animaux les plus rares et les plus singuliers ». « Les Plantes et les Fruits étrangers » a été développé en « des Fruits étrangers, et quelques Plantes exquises ». Le premier titre regroupe donc sous le terme

13 Schnapper, Antoine, Op. cit., p. 22. 14 Ibid.

15 Ceruti, Benedetto et Chiocco, Andrea, Musaeum Franc. Calceolarii, Vérone, Talmus, 1622, p. 17. [disponible sur Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8533255.r=Chiocco%2C%20Andrea %20musaeum?rk=21459;2].

« Animaux » les oiseaux, les animaux, les poissons et les serpents. Il reprend ainsi la dénomination des trois règnes (animal, végétal et minéral). Nous pouvons cependant remarquer que seuls deux des trois adjectifs composant les titres des chapitres ont été repris : « rares » et « singuliers », qualifiant respectivement les oiseaux et les animaux. L’adjectif « curieux » des poissons a donc été écarté. Au contraire, l’annonce du chapitre des plantes est allongée : premièrement, les deux termes « plantes » et « fruits » ont été inversés par rapport au titre du chapitre, deuxièmement, les « plantes » ont obtenu un adjectif spécifique, « exquises », alors que les fruits ont conservé « étrangers ».

Ce changement de formulations des titres peut s’expliquer par le fait qu’il s’agisse d’un sommaire. Molinet ne peut donc pas donner tous les intitulés détaillés. En fusionnant les trois titres pour le règne animal, il a été obligé de retirer un des adjectifs. Cet adjectif perdu a été remplacé par celui attribué aux plantes pour souligner la qualité du contenu du catalogue : Molinet ne présente pas de simples plantes, mais des plantes « exquises ». De plus, cet adjectif que Furetière développe par « excellent, rare, précieux, choisi »16, est le

dernier mot du sommaire, celui qui restera donc dans la mémoire du lecteur.

Les titres de chapitres, « Les Oiseaux les plus rares », « Les Animaux les plus singuliers » etc., dans le corps du catalogue permettent au lecteur de comprendre immédiatement le règne traité dans tel ou tel chapitre : le règne animal est composé de l’air avec les oiseaux, de la terre avec les animaux et de l’eau avec les poissons. Vient ensuite le végétal avec les plantes et les fruits, puis le minéral avec les coquilles et les pierres. Deux des quatre titres sont composés de deux substantifs : « les Poissons et les Serpens les plus curieux » et « les Plantes et les Fruits étrangers ». Ces noms sont mis sur le même plan grâce à la conjonction de coordination « et », mais Molinet a marqué une distinction entre ces groupes : les poissons et les serpents sont à la fois réunis parce qu’ils n’ont pas de pattes, mais en même temps distingués car ils ne vivent pas dans le même milieu. Les plantes et les fruits sont distingués par leur rôle : les « plantes » correspondent à n’importe quelle partie (la gousse de châtaigne, le noyau de la datte, etc.) alors que le terme de « fruit » (la noix de coco, la noix d’acajou, etc.) désigne la production d’un arbre

servant à sa reproduction, et pouvant être consommée par les animaux ou l’Homme ainsi qu’être utilisée à des fins curatives.

Dans le catalogue même, les trois titres des chapitres du règne animal présentent la formule superlative « les plus ». Cette formule permet de mettre en lumière ces curiosités en les désignant comme au-dessus des autres : elles sont présentées comme de meilleures illustrations des adjectifs qui leur sont attribués que leurs semblables. Les plantes ne bénéficient pas de cette mise en valeur. Nous supposons que c’est à cause de l’adjectif attribué : « étrangers ». Furetière donne trois acceptions à cet adjectif : « Qui est d'un pays éloigné, qui est né sous une autre domination », « signifie aussi, Qui n'est pas domestique, connu ou fort familier », « signifie aussi, Ce qui est surprenant, rare, extraordinaire. »17 Ces

acceptions mettent en valeur la provenance d’un lieu géographiquement éloigné, la notion de connaissance et celle d’exception. Par exemple, la noix de coco est étrangère pour un Français car elle provient du Brésil, pays très éloigné géographiquement. Cette distance laisse penser que le Français ne connaît donc pas nécessairement l’existence de ce fruit, sa découverte n’en est alors que plus impressionnante. De plus, le Brésil étant de l’autre côté de l’Océan Atlantique, l’approvisionnement en noix de coco se fait difficilement, ce qui souligne la rareté du fruit. Cependant, en nous fiant aux deux premières acceptions, il est difficile d’affirmer qu’un objet est plus étrange qu’un autre, que ces plantes sont les plus étrangères qu’il soit, puisque n’importe quelle plante ne poussant pas en France est étrangère.

L’adjectif « étrangers » est le plus objectif de notre liste. En effet, les trois autres, « rares », « singuliers » et « curieux » sont plus subjectifs et pointent un trait spécifique chez les curiosités qu’ils qualifient. L’adjectif « rares » met l’accent sur le fait que les objets ainsi qualifiés « se trouvent peu souvent et en petite quantité »18. Cette

caractéristique les fait gagner en intérêt et en valeur marchande puisqu’il est plus difficile de se les procurer. « Singuliers » appuie l’aspect unique, particulier de l’objet : « Qui est seul, qui est à part, hors de comparaison »19. Sa particularité est conçue par rapport aux

autres représentants de son groupe, il s’en détache par son originalité par rapport à la

17 Ibid. 18 Ibid. 19 Ibid.

norme. L’adjectif « curieux » pointe l’intérêt déclenché chez le spectateur plus qu’une particularité propre à l’objet. Furetière définit un objet curieux comme étant « la chose rare qui a été ramassée, ou remarquée par l'homme curieux ». C’est l’appréhension de l’objet par une personne particulière qui le désigne comme curieux. Cet adjectif est plus subjectif que les deux premiers : la rareté s’appuie sur la quantité et la singularité sur la comparaison avec des objets semblables.

Nous avons le sentiment que ces adjectifs pourraient être échangés sans que cela ne porte de grands préjudices au catalogue. Cependant, nous avons essayé de comprendre comment le père du Molinet les a attribués. Ainsi la rareté des oiseaux peut s’expliquer par leurs origines géographiques : quasiment tous proviennent du Brésil, il était donc difficile pour les marins de les ramener entiers et en bon état. Les traits physiques mis en avant chez les animaux les distinguent de ceux connus en Europe et de ceux de leurs espèces. Par exemple, le scinck est le plus beau lézard parmi les lézards et la défense de sanglier est particulièrement remarquable car elle appartenait à un spécimen bien plus âgé que la moyenne. Les poissons sont curieux aux yeux de Molinet par rapport à un élément précis : la scie du pristis, les dents de la lamie, la petite taille du rémora, etc. Enfin, les plantes sont qualifiées par rapport à leur provenance : si certains traits esthétiques ou remarquables (comme la noix de coco dont on peut utiliser tous les composants) existent, ils ne sont pas suffisants pour qu’un adjectif subjectif leur soit attribué. L’origine géographique est donc présentée comme plus intéressante.

En regardant plus en détail, nous pouvons souligner que les titres débutent par le déterminant défini pluriel « les ». L’emploi de cette catégorie de déterminants présente les curiosités comme étant des références partagées entre le lecteur et l’auteur. La question est de savoir sur quels critères se fonde Molinet pour affirmer ses titres, comme par exemple « les plus rares ». Oui, en France un toucan est un oiseau rare puisqu’il est originaire du Brésil. Cependant, nous pouvons objecter qu’il est une curiosité récurrente des cabinets et qu’il n’est donc pas si rare que cela. Le choix du déterminant défini permet donc d’appuyer les adjectifs en ne laissant pas de place à la remise en question ou à l’ajout. Il pose les faits comme actés : les oiseaux ici présentés sont les plus rares que l’on puisse trouver. Cependant, nous ne pouvons pas savoir si les oiseaux, par exemple, décrits sont les plus

rares parmi ceux de l’ensemble des cabinets de curiosités ou dans le cabinet génovéfain. Dans le premier cas, cette formulation servirait d’accroche pour le lecteur en attisant son intérêt de découvrir les oiseaux les plus rares parmi tous les cabinets. Dans le second cas, les titres seraient un rappel de la pratique de l’échantillon de Molinet : il présente au lecteur les spécimens les plus remarquables et dignes d’intérêt parmi ceux qu’il possède à Sainte- Geneviève.