• Aucun résultat trouvé

Les noms choisis pour désigner les curiosités sont en majorité des formes françaises vulgaires. Nous pouvons cependant noter que certains sont en latin : « L’Oyseau Onocrotalus », « Un Platea », « Un Pristis ou Serra », « La Plante Arbor Coralloïdes » « Un fruit du Palma Montensis » « du Fruit Araca » et « Spongia arborescens ». Le nom « une lamie » est tirée de la forme latine lamna. D’autres sont forgés à partir de langues étrangères : « Guiracereba » est le nom autochtone de cet oiseau, « Armadille » tient son origine du nom espagnol armadillos et le nom « Rosmarus » est le terme danois et islandais pour désigner le morse.

La prédominance des noms vulgaires peut s’expliquer tout simplement par le choix de rédiger en français le catalogue. Molinet diffuse le savoir dans une langue vernaculaire, notamment en traduisant les informations en latin des autres catalogues et ouvrages scientifiques. Proposer les noms français en titres d’articles s’inscrit donc dans cette démarche de rendre accessible la connaissance en passant par une langue vernaculaire. Cependant, comme nous l’avons souligné, certains noms sont latins ou étrangers. Concernant les noms autochtones, nous pensons que Molinet les a employés car il n’existait pas d’équivalent français, et que cela permet également d’apporter un peu d’exotisme pour capter l’attention du lecteur. L’absence d’équivalents français peut être aussi une explication pour la présence des noms latins.

Cependant, dans le développement des articles, Molinet mentionne les autres noms des curiosités quand il les connaît. Prenons en exemple le cas de l’oiseau onocrotalus. La deuxième phrase de l’article est consacrée à la nomination vulgaire de cette créature : « On le nomme d’ordinaire un Pélican ; François Willughbeius, pag. 246. de son Ornithologie,

après Aldrovandus, luy donne ce nom. »20 Molinet nomme ensuite cet oiseau par le terme

onocrotalus dans le reste de l’article. Nous supposons que l’emploi de noms latins permet

de légitimer les connaissances de Molinet en prouvant qu’il sait autant se servir des noms vulgaires que latins. De plus, au fil de ses lectures, Molinet a pu se rendre compte que les noms latins étaient les plus employés pour ces curiosités. En les choisissant, il s’assure que le lecteur aura plus de chance de reconnaître le spécimen que s’il avait employé un nom moins connu. Et cette explication peut également éclairer d’autres choix intrigants, comme celui de « Une Corne de Licorne ». Molinet explique pourquoi la licorne est une invention et présente le narval comme le réel possesseur des fameuses cornes. Il est donc étonnant, dans la perspective scientifique du catalogue, de trouver cette curiosité entrée sous le nom « corne de licorne », alors que l’existence de cette créature a été réfutée. Comme nous le disions, Molinet a certainement choisi l’appellation « corne de licorne », plutôt que « dent de narval », car elle permet au lecteur de facilement identifier la curiosité dont il est question.

La majorité des intitulés d’articles est composée simplement du nom de la curiosité, comme par exemple, « Un Colibri », « Un Caméléon », « Un Remora », « Un Coco ». Au contraire, cinq noms sont développés pour indiquer la région d’origine – « Un Moineau de l’Amérique », « Un petit Oyseau du Brésil », « Une Pie du Brésil », « Un Lézard du Brésil » et « une Fève d’Inde » – et quatre groupes nominaux contiennent un adjectif de taille : « Un petit Oyseau du Brésil », « Une petite Tortue », « Un petit Crocodile » et « Un tres-grand Serpent ». Ces adjectifs liés à la taille et à l’origine géographique servent soit à identifier les spécimens quand plusieurs sont présents dans le cabinet (c’est le cas de la tortue et du crocodile), soit à apporter une information complémentaire quand le nom utilisé ne précise pas l’espèce car il est générique et qu’il peut renvoyer à un animal existant en France (l’oiseau et le serpent). Huit curiosités du règne animal sont accompagnées de la partie conservée au cabinet : « Une Corne de Rhinocéros », « Une Corne de Licorne », « Une Corne de Giraffe », « Une Défense de Sanglier », « Une Dent de l’Hippopotame », « Une Tête de Rosmarus », « Une Tête de Lamie » et « Une Main de Sirenne ». Les curiosités végétales sont presque toutes accompagnées de l’élément qui les représente : « Une Gousse de Chataigne », « Une Pomme de Coton », « Un Fruit du Palma

Montensis », « Un Noyau de Datte », « Une Gousse d’Hoüatte » et « Une Noix d’Acajou ». Deux curiosités ont deux nominations proposées : « Un Pristis ou Serra » et « Un Hérisson de mer, ou un Porc-Espic ». La curiosité IX des plantes n’a pas de nom : Molinet ne le connaît pas et ne souhaite pas s’aventurer à lui en attribuer un. La nomenclature choisie tend donc à être précise pour permettre au lecteur d’appréhender immédiatement la curiosité en question par son nom suffisamment évocateur (le colibri), par son origine géographique (le lézard du Brésil), par sa taille (le très grand serpent) ou encore par la partie visible au cabinet (la gousse de châtaigne).

Quatre groupes de déterminants sont utilisés par Molinet dans les titres d’articles. Le premier est celui des déterminants indéfinis « un » et « une ». Ce type de déterminants présente des êtres ou des choses qui ne sont pas encore connus de l’interlocuteur. Nous les retrouvons à quarante-quatre reprises sur les quarante-neuf curiosités présentées. Cela se comprend car le lecteur-visiteur découvre au fur et à mesure les objets qui lui étaient donc inconnus jusqu’alors. Trois curiosités sont précédées d’un déterminant défini : « L’Oyseau guiracerba », « L’Oyseau Onocrotalus » et « La Plante Arbor Coralloïdes ». Les déterminants définis accompagnent des noms qui ont déjà été présentés et introduits dans le discours. Il est donc étonnant de voir ces trois occurrences. Le cas « Du Fruit Araca » rappelle les titres des traités ou des chapitres annonçant le sujet, comme par exemple « De la vanité »21 ou « De la Physionomie »22 des Essais de Montaigne. Enfin, l’article

« Spongia arborescens » ne contient pas de déterminant, ce qui peut s’expliquer par la forme latine du nom : le latin n’avait pas de déterminant, et contrairement à « La Plante

Arbor Coralloïdes », aucun nom français pouvant apporter un déterminant ne précède

« Spongia arborescens ». Grâce la prédominance des déterminants indéfinis, Molinet met en avant le fait qu’il ne propose qu’un représentant de chaque catégorie de curiosités. Par exemple, il ne prétend pas écrire un article sur la tortue en général mais sur le spécimen particulier qu’il possède. Cependant, en observant cette tortue Molinet peut confirmer ou infirmer ce que disent les autres naturalistes à propos de cet animal. C’est donc bien en partant du particulier que nous pouvons comprendre le général. Les cas ne présentant pas de déterminants indéfinis peuvent s’expliquer par le fait que Molinet a souhaité appuyer la

21 Montaigne, Michel de, Essais, III, 9, Paris, Langelier, 1588. 22 Ibid., III, 12.

réputation de ces curiosités précises, soit parce que ce sont des spécimens récurrents des cabinets en général, soit du cabinet de Sainte-Geneviève en particulier.

Le catalogue dispose d’une table des matières où les curiosités ne sont pas rangées par ordre alphabétique mais par catégories, « Animaux », « Plantes », etc. À l’intérieur des entrées, les curiosités apparaissent dans l’ordre où elles sont présentées dans le catalogue, les noms étant les mêmes sauf dans quatre cas. La défense de sanglier est qualifiée de « singulière » : « Une Défense singulière de Sanglier ». Le titre « les Plantes et les Fruits étrangers » est réduit en « Fruits étrangers ». L’orthographe de « Une Gousse d’Hoüatte » est changée en « Une Gousse de Hoüate ». Le fruit sans nom (curiosité IX) est entré sous l’appellation « un fruit inconnu ». L’orthographe de « Porc-Espic » a été modifiée en « Porc-épic », peut-être pour des raisons typographiques. Les entrées correspondant aux titres des chapitres « animaux », « oiseaux », « poissons » ne sont pas accompagnées des adjectifs présents dans les titres. Enfin, les entrées « Serpents » et « Plantes » sont accompagnées des indications suivantes : « Voyez Poissons » et « Voyez Fruits ». Molinet ne propose pas un index des noms classés par origines (latin, grec, brésilien, etc.). Ceci s’explique sûrement par la longueur du catalogue : contrairement à des ouvrages comme ceux d’Aldrovandi* ou de Willughby*, Le Cabinet est relativement court. Il est donc plus aisé de se repérer dans cette table des matières, même si elle est organisée par sections, que cela ne le serait si Aldrovandi* avait fait de même.

La présence d’une table des matières thématique souligne que ce catalogue est un ouvrage d’étude et non pas un roman, par exemple. Son organisation se fait l’écho de la réflexion de Molinet : le lecteur doit pouvoir se repérer rapidement et facilement dans le livre. Si les chapitres doivent être regroupés par civilisations ou nature d’objets dans « Histoire », et suivre le découpage des règnes dans « Histoire naturelle », il est plus intéressant qu’ils soient présentés dans l’ordre alphabétique dans la table des matières. Cela permet une recherche plus efficace car le lecteur peut se diriger directement vers la catégorie de curiosités qu’il souhaite étudier. De plus, la table des matières offre une visualisation immédiate du contenu du catalogue et de la variété des curiosités proposées.

Les choix de classement, de regroupements, d’organisation qu’a effectués le père du Molinet illustrent la visée scientifique de l’ouvrage. Il a réfléchi à la construction des

deux sections distinguant « Histoire » et « Histoire naturelle », à celle des chapitres et à leur ordre d’apparition, à la juxtaposition des curiosités entre elles. Le but n’est donc pas seulement de recréer un cabinet où tout est mélangé, mais bien de proposer un apport scientifique qui ici passe par l’observation et la comparaison des curiosités entre elles. Les noms donnés aux curiosités est également le fruit de la réflexion de Molinet qui a privilégié le français pour son accessibilité, mais qui sait également utiliser le latin à bon escient. Cependant, le désordre organisé du cabinet se retrouve dans l’apparente non-organisation interne des chapitres : les spécimens sont réunis par des caractéristiques communes, certains sont regroupés pour un trait commun au sein d’un même règne, mais le classement ne va pas plus loin. Ce classement assez succinct permet de recréer dans le texte le désordre apparent du cabinet et ainsi matérialiser un peu plus la visite virtuelle. Cependant, nous supposons également que Molinet s’est tenu à ce niveau de classement car le nombre de curiosités exposées est suffisamment faible pour ne pas nécessiter plus de sous-division. En effet, le lecteur-narrataire est un amateur. Il n’est donc pas utile de fournir trop d’informations sur les sous-classements de chaque curiosité. Si le lecteur souhaite se renseigner plus précisément sur un spécimen précis, il peut le faire en consultant les ouvrages cités par Molinet. Ceux-ci sont plus complets car ils traitent de cabinets bien plus conséquents, comme celui de Worm* ou se consacrent à des règnes précis, comme l’Ornithologiae de Willughby*. En transcrivant l’organisation du cabinet physique dans le catalogue, Molinet permet au lecteur à la fois de faire une visite virtuelle, mais également d’accéder à un niveau de réflexion savante plus poussée permise par le texte. À cette organisation s’ajoute la présence de gravures qui renforcent la dimension de visite virtuelle et concrétisent le lien texte-image nécessaire à la transmission du savoir.

VI. Gravures et texte

Un cabinet de curiosités est un lieu que l’on visite, que l’on appréhende d’abord par la vue à travers les mises en scène de désordre et de rangement. Pour enrichir la visite virtuelle véhiculée par le texte, les auteurs ont la possibilité d’ajouter des représentations – gravures, dessins, peinture, etc. – de leurs collections. Ces figures servent alors de substituts à la présence physique des objets. Comme l’explique Jean-Hubert Martin, la « rupture épistémologique », qu’est la réinterprétation du monde par les cabinets, « a

l’avantage de s’appuyer sur une triple approche fondatrice de notre civilisation : l’objet, le discours et l’image »1. Ici, l’objet est la curiosité conservée au cabinet, le discours est le

catalogue écrit, et l’image les gravures illustrant l’ouvrage. L’image permet à la fois d’appréhender et de fixer le monde d’une manière différente et complémentaire par rapport au texte. C’est pourquoi, les auteurs de catalogues et d’ouvrages d’histoire naturelle se servent de ces deux médias pour retranscrire le réel de la manière la plus fidèle possible. Nous allons donc nous intéresser aux gravures du Cabinet de la Bibliothèque de Sainte

Geneviève : comment sont-elles composées ? Quel(s) rôle(s) ont-elles ? Quel(s) lien(s)

entretiennent-elles avec le texte ?