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Les textes bibliques sont convoqués non pour eux-mêmes mais pour critiquer certaines de leurs « interprétations », c’est-à-dire certaines de leurs traductions qui

1 Marrache-Gouraud, Myriam, « La mandragore et le kayak. Des objets et des hommes », Michel-Edouard et Laurent, Le Bon et Mauriès, Patrick [dir.], Cabinets de curiosités, Landerneau, FHEL, 2019, p. 34.

produisent des représentations des textes jugées erronées par notre auteur – il n’est en aucun cas question de remettre en cause ce que les textes saints transmettent. Le problème commun que soulèvent les critiques de Molinet est donc celui de la traduction. En effet, les textes ayant été traduits de l’hébreu au grec, puis en latin, avant de l’être en langues vernaculaires, les interprètes ont été confrontés à la difficulté de transposer le nom d’animaux d’une langue à une autre lorsque celui n’est pas identifié correctement. Le père du Molinet propose donc au lecteur de revenir sur trois interprétations qu’il juge biaisées. La première concerne la licorne :

Je finiray cet article, en disant qu’il y a bien de l’apparence que la Licorne, dont parle le Prophéte David en quatre endroits de ses Pseaumes, et Isaïe au verset 7. du trente- quatriéme chapitre de sa Prophétie, n’est autre chose que l’animal Rhinoceros ; c’est le sentiment de S. Jérôme, et de plusieurs autres Interprétes de l’Ecriture-sainte, dont quelques-uns le nomment Naricornium, à cause qu’il porte la corne au dessus des narines2

La divergence d’interprétation se cristallise autour de l’animal mentionné dans la Bible sous le nom de « licorne ». Molinet a prouvé dans son article que cette créature n’existe pas et que les fameuses cornes sont en réalité des dents de narval. Cependant, les textes bibliques ne peuvent pas y faire référence car il était inconnu à cette époque. Le problème concerne donc la véritable nature de ces licornes bibliques3. Molinet donne en référence les

passages des textes saints l’évoquant pour que le lecteur puisse les consulter. L’hypothèse qu’il retient comme vraisemblable est celle du rhinocéros et s’appuie pour la justifier sur la traduction faisant autorité, celle de Saint Jérôme*, auteur de la traduction latine de la Bible, qui traduit le terme grec μονόχερως par le substantif latin unicornis. En plus de cela, les Auteurs antiques désignaient le rhinocéros sont le nom monoceros ou unicornis. Molinet a donc logiquement fait le rapprochement entre l’unicornis biblique et le rhinocéros antique.

2 Le Cabinet, « Une Corne de Licorne », p. 194.

3 À propos de la présence de licorne dans la Bible, Fulcran Vigouroux explique que le texte hébraïque mentionne un animal nommé Re’êm, qui selon lui est l’aurochs, une espèce de bovidé aujourd’hui éteinte. Les traducteurs grecs de la Bible ont été confrontés à un problème de taille : ils ne connaissaient le Re’êm vraisemblablement que par ses représentations de profil à Persépolis et Babylone ; qui n’avaient donc qu’une seule corne représentée. Le nom Re’êm a été traduit en grec par μονόχερως. Saint Jérôme, en prenant appui sur cette traduction, l’a traduite en latin par unicornis, qui donna par la suite « licorne » en français et unicorn en anglais. Voir Vigouroux, Fulcran, Dictionnaire de la Bible contenant tous les

noms, de lieux, de plantes, d’animaux mentionnés dans les Saintes Écritures…, Paris, Letouzet et Ané,

1912, tome IV, p. 244-245, « Licorne ». [disponible sur archive.org

Le deuxième cas de traduction malheureuse concerne l’identification du poisson qui a avalé le prophète Jonas* pendant trois jours et trois nuits :

Quoique ce ne soit pas icy le lieu d’examiner si ce fut dans le ventre d’une Lamie que demeura le Prophéte Jonas, ainsi que des Auteurs l’assûrent, je ne laisseray pas de dire qu’en regardant les choses naturellement, il y a bien plus d’apparence que ce soit dans le ventre de ce Poisson, que dans celuy d’une baleine. Scaliger et Bochard en rapportent des raisons qui ne paroissent pas mauvaises, on peut les consulter.4

La nature de ce grand poisson a donné lieu à plusieurs interprétations de la part des théologiens et des savants : certains affirment qu’il s’agit d’une baleine, d’autres s’orientent vers la famille des requins. Molinet fait partie de ce second groupe, même s’il n’affirme pas absolument qu’il s’agisse d’une lamie, et rejette donc l’hypothèse de la baleine. Il ne donne pas plus d’arguments que les simples renvois aux ouvrages de Scaliger* et de Bochard. Cependant, il se fonde sur son observation, « en regardant les choses naturellement », pour invalider l’hypothèse de la baleine. En effet, Fulcran Vigouroux dans son Dictionnaire de la Bible évoque le principal contre-argument à cette hypothèse : « son pharynx est beaucoup trop étroit pour avaler une proie considérable »5.

L’autopsie permet donc d’écarter des interprétations erronées des textes bibliques et de créditer celles pouvant être véridiques.

Le dernier cas est celui de la Rose de Jéricho. Cette fois, le problème ne concerne pas l’identification de la curiosité mais sa nomination :

Bellonius parlant de la Rose de Jerico, dit qu’elle est mal nommée, et que c’est un Moine ignorant qui luy a donné ce nom […] il y en a même quelques-uns qui se sont imaginez, qu’il étoit fait mention de cette Rose par ce passage de l’Ecriture sainte mal entendu, quasi

plantatio Rosae in Jerico, en disant que c’est à ces Roses que la Sainte Vierge est

comparée, et que de là leur est venu ce nom de Roses de la Vierge Marie ; d’autres vont bien plus avant lors qu’ils ajoûtent que la Rose de Jerico s’ouvre de soy-même la nuit de Noël6

En citant Pierre Belon*, un savant reconnu comme l’un des meilleurs de son époque, Molinet assure à son argumentation une légitimité incontestable. Le besoin de rectifier la mauvaise interprétation provient du fait que le « Moine ignorant » justifie son erreur par le texte saint. De plus, comme le rappelle Bruno Belhoste, « être clerc, c’est d’abord être

4 Le Cabinet, « Une tête de Lamie », p. 203.

5 Vigouroux, Fulcran, Op. cit., tome V, p. 498, IV. Le Poisson de Jonas. [disponible sur archive.org https:// archive.org/stream/Vigouroux_DB/Vigouroux_DB_V#page/n253/mode/2up].

instruit, condition indispensable pour exercer une mission pastorale. »7 La faute de ce

moine est donc double : il n’est pas suffisamment instruit pour se permettre d’interpréter les textes bibliques et il l’a ainsi corrompu. Et cette erreur de traduction entraîne la création de légendes autour de cette rose qui desservent la diffusion du savoir en se mêlant aux connaissances véridiques.

Claude du Molinet signale ces erreurs d’interprétations car d’une part l’entreprise de son catalogue l’engage à rétablir la vérité scientifique, et de l’autre son statut d’homme d’église ne lui permet pas de tolérer que de telles faussetés à propos des textes saints soient transmises. La même démarche d’observation et de démonstration pour restaurer la vérité scientifique est donc appliquée aux textes bibliques.