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Molinet se réfère à deux types d’autorités : des auteurs antiques et des auteurs contemporains. Une « autorité » est un auteur dont les textes sont reconnus comme fondateurs et essentiels par la communauté scientifique. Le nombre d’éditions, de traductions, de citations, etc. permettent de désigner tel auteur antique comme une autorité car son œuvre a traversé les siècles et est considérée comme un héritage fondateur. Pour un auteur contemporain, les notions de notoriété et de validation par les pairs sont les éléments pris en compte pour le désigner comme étant une « autorité ».

1 Définition du TLFi.

2 Paré, Ambroise, Des monstres et prodiges, [1585], édition de Michel Jeanneret, Folio classique, Paris, Gallimard, 2015, p. 28.

Les autorités dont les noms apparaissent sont désignées par le substantif « Auteur » dans le discours de Molinet. Parmi les nombreuses acceptions, deux ont retenu notre attention chez Furetière : « Qui a creé ou produit quelque chose. On le dit par excellence de la premiere Cause qui est Dieu » et « en fait de Litterature, se dit de tous ceux qui ont mis en lumiere quelque livre. Maintenant on ne le dit que de ceux qui en ont fait imprimer. »3

Richelet propose moins d’acceptions dans son dictionnaire, mais les deux qui nous intéressent sont également présentes : « Le prémier qui a inventé quelque chose, qui a dit quelque chose, qui est cause de quelque chose qui s’est fait. » et « Celui qui a composé quelque Livre imprimé. »4 Les deux notions qui se rapportent le plus à l’emploi que fait

Molinet du substantif « Auteur » sont donc celles de la création et de la publication. Les auteurs sont alors des personnes ayant apporté quelque chose à la communauté (de nouvelles expériences, de nouvelles interprétations, une reformulation de propos, etc.) grâce à un acte de création, et cet acte en passant par la mise à l’écrit et l’imprimerie a vocation à rester dans les mémoires. Ce sont les deux qualifications qui permettent à un auteur d’être considéré comme une autorité.

Molinet laisse peu de place aux auteurs antiques. Dans les quatre chapitres qui nous intéressent, seuls quatre Autorités sont citées : Pline l’Ancien*, Dion*, Solin* et Heliodorus*. Ils sont convoqués pour des curiosités déjà bien ancrées dans l’Histoire naturelle : Dion*, Solin* et Pline* sont cités pour évoquer les premières apparitions du rhinocéros en Europe5, Heliodorus* l’est pour souligner la docilité de la girafe6, et Pline*

encore pour l’anecdote de la langue du flamant rose, l’usage de la saignée chez l’hippopotame et le nom latin du coton7. Contrairement à Worm* cité pour démontrer

l’inexistence de la licorne8 ou Peiresc* pour décrire en détails le caméléon9, les auteurs

antiques sont utilisés pour des informations complémentaires, de contextualisation, des anecdotes. Ces curiosités étant connues de longue date, elles ne peuvent pas être traitées de manière identique à celles du Nouveau Monde. Le lecteur a tout à découvrir au sujet du

3 Furetière, Antoine, Dictionnaire universel, La Haye, Leers, 1690. 4 Richelet, Pierre, Dictionnaire françois, Genève, Widerhold, 1680. 5 Le Cabinet, « Une Corne de Rhinocéros », p. 192.

6 Ibid., « Une Corne de Giraffe », p. 196.

7 Ibid., « Un Flambant », p.189 ; « Une dent de l’Hippopotame », p. 198 ; « Une Pomme de Coton »,

p. 208.

8 Ibid., « Une Corne de Licorne », p. 194.

toucan alors qu’il est plus susceptible de connaître le rhinocéros. Molinet doit donc faire un état des lieux plus complet des connaissances concernant ces curiosités, et pour cela, le meilleur moyen est de revenir aux textes antiques qui ont été les premiers à les décrire ; même si cela ne l’empêche pas de convoquer des contemporains, tel Jakob de Bondt* au sujet du rhinocéros. Nous pouvons également souligner que le choix de proposer aussi peu de références antiques illustre une certaine ambition scientifique de Molinet : il privilégie les dernières connaissances actualisées au savoir des Anciens parfois erroné, ce qui lui permet d’inscrire son ouvrage dans son époque et la modernité.

L’immense majorité des citations concerne donc des auteurs de la Renaissance, comme Thevet* ou Rondelet* et du Grand Siècle, comme Willughby* ou Worm*, la plupart étant contemporains de Molinet. Cette domination s’explique par la nouveauté et l’exotisme des curiosités choisies : il est impossible de se tourner vers les auteurs antiques qui ne les connaissaient pas, c’est pourquoi les auteurs contemporains témoins de ces nouvelles découvertes sont à ce point présents. Ils sont convoqués autant pour décrire des spécimens entiers lorsque Molinet ne possède qu’une partie – comme par exemple pour le

platea dont seul le bec est au Cabinet : « Willughby […] dit là que le Platea est plus blanc

qu’un Cygne ; […] que [les plumes] du bout des aîles tirent sur le noir ; que le bec noircit à mesure qu’il vieillit »10 – ou pour des particularités, comme par exemple Jonston* et

Clusius* à propos du régime alimentaire du pingouin et de son poids11.

Nous pouvons remarquer qu’une troisième source de connaissances est présente : celle des « on dit ». Le pronom « on » désigne par endroits la communauté scientifique au sens large pour dispenser des informations admises sans avoir à citer un auteur particulier, comme par exemple concernant le nom du Scinck : « De toutes les espèces de petits Lézards, il n’y en a pas de plus agréable et de plus joly que celuy qu’on nomme en latin

Scincus »12. En plus de cela, « on » permet à Molinet de présenter des connaissances au

lecteur qu’il juge moins certaines que celles dont il cite l’auteur, notamment parce qu’elles peuvent faire l’objet de débats au sein de la communauté scientifique. Par exemple, Molinet rapporte ce fait concernant le colibri: « on dit qu’il meurt tous les hyvers, comme

10 Ibid., « Un Platea », p. 189.

11 Ibid., « Une Oye de Magellan », p.190. 12 Ibid., « Un Scinck », p. 196.

les Hirondelles et les mouches, et que la chaleur du Printemps leur rend la vie. »13 Comme

l’explique Antoine Schnapper,

la question du sort des hirondelles pendant l’hiver reste fort débattue : s’enfoncent-elles dans l’eau ? Se suspendent-elles dans des cavernes la tête en bas, comme on le croit plus souvent depuis Aristote ? Vont-elles dans la lune ? La théorie de la migration vers l’Égypte ou l’Éthiopie, proposée déjà par Willughby (1676), ne triomphera qu’à la fin du XVIIIe siècle.14

La mort hivernale du colibri est donc sujette aux questionnements : meurt-il réellement ? Ou bien a-t-il un comportement similaire à l’une des hypothèses concernant l’hirondelle ? Ne pouvant pas apporter de réponse arrêtée à cette question, Molinet rapporte ce fait comme le fruit d’une rumeur, ce qui place l’information dans l’attente d’une confirmation scientifique irréfutable.

Les sources qu’utilise Molinet révèlent un souci de la véracité scientifique. Les auteurs antiques sont convoqués pour des curiosités sur lesquelles la communauté des savants a beaucoup de connaissances. Mais ce sont les auteurs contemporains qui sont privilégiés car les curiosités présentées proviennent du Nouveau Monde et qu’ils sont l’assurance d’un savoir actualisé. Enfin, les informations qui ne sont pas vérifiables sont placées sous le signe de la rumeur pour indiquer leur caractère hypothétique. Molinet hiérarchise donc les sources pour mettre en avant les plus récentes et offrir un savoir actualisé, débarrassé des méprises passées et où les rumeurs sont signalées comme telles pour éclairer le lecteur.