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Pour rassembler au sein d’un même chapitre les curiosités qu’il a choisies pour son catalogue, Molinet s’est appuyé sur plusieurs de leurs caractéristiques communes observées, comme le lieu ou le mode de vie. Pour les oiseaux sélectionnés les critères les plus immédiats sont le bec, les plumes, les capacités de pondre et de voler. Cependant, la présence du bœuf-volant remet en question ces caractéristiques : seules les deux dernières capacités sont alors communes. En ce qui concerne les animaux, les deux caractéristiques sont d’avoir quatre pattes ainsi que de vivre sur la terre (ou du moins en grande majorité) et d’y respirer. Contrairement aux poissons qui correspondent à notre définition actuelle : des créatures écailleuses vivant dans l’eau et respirant à l’aide de branchies. Cependant, les serpents terrestres faisant partie de ce chapitre, l’absence de pattes et la peau écailleuse

5 Schnapper, Antoine, Le géant, la licorne, la tulipe : collections et collectionneurs dans la France du

XVIIe siècle. Volume I, Histoire et Histoire naturelle, Paris, Flammarion, 1988, p. 61.

6 Ibid.

apparaissent comme les deux points communs. Enfin, le trait que partagent les plantes est qu’elles sont des êtres vivants non animés.

Si la majorité des choix de classement des curiosités effectués par Molinet apparaissent comme logiques, certains posent question. Dans le chapitre des oiseaux, la présence du bœuf-volant est intrigante. Pourquoi avoir placé un insecte identifié comme tel, « Il se trouve au Brésil de certains insectes qui ont quelque rapport à nos Cerfs-volans de France »8, avec les oiseaux, et qui plus est au milieu du chapitre (cinquième curiosité sur

onze) ? Sûrement parce que ce bœuf-volant est le seul insecte présenté et que Molinet ne voulait pas former un chapitre « Insectes » pour un seul spécimen. Ne pouvant l’inclure dans le chapitre des poissons puisqu’il ne vit pas dans l’eau, ni dans celui des animaux car il a plus de quatre pattes, Molinet a pris en compte la capacité de voler pour l’intégrer au chapitre des oiseaux.

Ce type d’inclusion qui peut nous apparaître étrange n’est pas rare à l’époque. Par exemple, Aldrovandi* et L’Écluse* font figurer la chauve-souris avec les oiseaux en se fondant sur sa capacité à voler. De plus, l’étude et le classement des insectes étaient compliqués pour les collectionneurs à cause du nombre très important d’espèces et le manque de moyens pour les distinguer. Antoine Schnapper signale que « les papillons mis à part, les insectes occupent une place confuse et assez modeste dans les cabinets curieux, où ils sont le plus souvent mentionnés, mais non décrits. »9 Molinet propose ainsi au

lecteur un portrait qui est susceptible d’être absent d’autres catalogues, tout en mettant en avant ses capacités d’observation et de description d’une curiosité moins répandue. Mais nous pouvons tout de même remettre en question la position de cet insecte : pourquoi ne pas le faire figurer en début ou à la fin du chapitre pour montrer qu’il n’appartient pas complètement à la catégorie des oiseaux ? Nous remarquons également que les oiseaux semblent avoir été classés en fonction de leur origine géographique. En effet, les six premiers spécimens, bœuf-volant inclus, proviennent du Brésil. Cependant, la pie du Brésil (le toucan) est placée à la fin après quatre oiseaux non brésiliens. Nous supposons que ce choix permet de clore le chapitre sur une figure emblématique des cabinets de curiosités.

8 Le Cabinet., « Un Bœuf volant », p. 187.

Le classement par provenance géographique permet en outre de proposer un sous- classement au lecteur pour le guider un peu plus précisément dans son parcours de lecture.

En ce qui concerne le chapitre des animaux, six mammifères sont présents – le tatou, le rhinocéros, le rat musqué, la girafe, le sanglier, l’hippopotame et le morse – et cinq reptiles10 complètent la liste – le lézard du Brésil, le scinck, le caméléon, la tortue et le

crocodile. La licorne, étant une créature imaginaire, a un statut à part. La présence de la tortue dans « les Animaux les plus singuliers » et non dans « les Poissons et les Serpens les plus curieux » est expliquée par Molinet : « Elle est, je croy de terre, car les grandes Tortües se prennent dans la mer. »11 En effet, plus haut dans l’article il précise qu’elle est

« petite » et « ronde ». À partir de cette déduction logique, il a donc décidé de la placer avec les animaux et non avec les poissons. Nous pouvons par ailleurs noter qu’un certain nombre de ces animaux n’est représenté qu’à travers une partie bien précise de leurs corps : la corne. Ceci peut s’expliquer par la difficulté de conserver les spécimens entiers et par la taille considérable des animaux les arborant : le rhinocéros, la girafe et le sanglier. Pour le cas de la licorne, nous pouvons aisément comprendre les difficultés d’en posséder une entière. Donc, quatre cornes sont présentes mais seulement deux se suivent : le rhinocéros et la licorne. La nature des parties conservées au cabinet n’a donc pas été un critère de rassemblement sur lequel Molinet s’est appuyé. Un autre regroupement est notable : le caméléon précède la tortue. Nous pouvons imaginer que leur aspect reptilien peut avoir motivé cette organisation, mais les autres trois autres animaux de même aspect – le crocodile, le lézard du Brésil et le scinck – ne sont pas mis côte à côte. Molinet n’a donc pas jugé pertinent de rapprocher les spécimens en fonction de leur aspect ou des parties visibles à Sainte-Geneviève.

Cependant, un dernier regroupement, cette fois justifié par l’auteur, clôt le chapitre. Trois spécimens que Molinet qualifie d’« amphibien[s] » se suivent : l’hippopotame, le

rosmarus (le morse) et le crocodile. Antoine Furetière définit l’« amphibien » comme un

« animal qui vit tantost dans l’eau, tantost sur la terre. »12 Il ajoute que « ce mot vient du 10 Les reptiles ne sont pas un taxon reconnu par la communauté scientifique comme « oiseau » ou « poisson ». Nous l’utiliserons tout de même pour faciliter notre analyse. Nous entendons par « reptile » des animaux recouverts d’écailles et qui en se déplaçant donnent l’impression de ramper comme le ferait un serpent.

11 Le Cabinet, « Une petite Tortuë », p. 198.

Grec, où il signifie, vie en deux manières, ou en deux endroits. »En les caractérisant ainsi, Molinet souligne une similitude dans le mode de vie de ces trois spécimens. Il expose également sa capacité à effectuer un regroupement fondé sur une démarche scientifique : l’observation des animaux dans leur milieu. Même s’il ne les a pas personnellement vus dans la nature, Molinet a su recouper les informations d’autres ouvrages pour proposer un sous-classement allant plus loin que l’habitat en s’intéressant au mode de vie. De plus, placer les amphibiens en fin de chapitre permet de construire un parcours logique entre les chapitres : ces créatures vivant à la fois sur terre et dans l’eau servent de transition vers le milieu aquatique des « les Poissons et les Serpents les plus curieux ».

Ce chapitre se compose de deux serpents et de neuf créatures marines : deux poissons cartilagineux – le pristis et la lamie –, six poissons osseux – l’« aiguille », le hérisson de mer, le chien marin, le poisson volant, le rémora et le poisson triangulaire – et une créature fabuleuse, la sirène. La première interrogation concernant le troisième chapitre est la raison qui a poussé Molinet à regrouper poissons et serpents. Si l’espèce du « tres-grand serpent » n’est pas identifiée, nous pouvons assurer que le « serpent à sonnettes » est un serpent terrestre. Les points communs entre les poissons et les serpents sont donc l’absence de pattes et la peau écailleuse. Nous pouvons en outre supposer que Molinet les a inclus dans ce chapitre pour équilibrer le catalogue : les chapitres des animaux contiennent treize curiosités et certains des chapitres les plus longs (« une Corne de Rhinocéros », « une Corne de Licorne », « un Caméléon », par exemple), alors que celui des poissons ne présente que neuf curiosités, sans prendre en compte les serpents. De plus, ces deux spécimens sont regroupés en fin de chapitre comme pour les différencier du reste des curiosités aquatiques.

Les plantes composant le chapitre sont terrestres, exceptées l’Arbor coralloïdes et la Spongia arborescens qui sont liées à la mer : « cette feüille vient de l’Océan » et « cette plante qui est maritime ». Peu de plantes sont présentes en entier : elles sont surtout représentées par leurs graines, leurs gousses ou écorces, ou encore leurs fruits. Molinet ne semble donc pas posséder d’herbier, mais avoir plutôt opté pour l’acquisition de parties plus facilement conservables. La présence de la plante Arbor Coralloïdes et de la Spongia

position de la part de Molinet. Schnapper nous explique dans La géant, la licorne, la

tulipe13 qu’au XVIIe siècle, les naturalistes débattent de la nature du corail – est-ce une

plante ou un minéral ? – et qu’il faut attendre le XVIIIe siècle pour que les savants

Jean-André Peysonnel dans les années 1720, puis Bernard de Jussieu et Abraham Teelby en 1740 commencent à envisager le corail comme un animal. Molinet a donc dû choisir un règne pour classer la plante Arbor Coralloïdes. Comme le souligne encore Schnapper, « l’opinion la plus répandue néanmoins reste qu’il s’agit d’une plante pétrifiée, que l’on peut donc classer dans un règne ou dans l’autre. »14 Cependant, il remarque également « le

refus de Boccone (1674) d’y voir une plante ». Molinet cite l’œuvre de Boccone* dans l’article « Spongia arborescens », preuve qu’il l’a donc lu, mais n’a pas jugé pertinent le classement du corail parmi les minéraux. Il s’est tenu à la classification proposée par André Chiocco* qui qualifie ce spécimen dans le Museum Franc. Calceolarii de « planta » : « Est namque Planta ex Americano Oceano extracta »15 . En ce qui concerne la Spongia

arborescens, Molinet précise bien qu’il s’agit d’une « éponge ». Cette catégorie de

curiosités était sujette aux mêmes interrogations que le corail. En comparant les planches des plantes à celle des minéraux, nous pouvons supposer que Molinet a opéré son classement en se fondant également sur l’apparence des curiosités. En effet, ni la plante

Arbor Coralloïdes ni la Spongia arborescens ne ressemblent aux pierres et minéraux

gravées : nous distinguons leurs branches et leurs pieds alors que les curiosités minérales ont l’apparence de morceaux de roche et de pierres précieuses.