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La page de titre de l’« Histoire naturelle » fait figurer des curiosités absentes des gravures synoptiques. Par exemple, nous pouvons observer ce qui semble être l’oiseau

guiracereba en vol en haut à gauche, un serpent (celui à sonnettes ?) aux côtés du chérubin

de gauche, un oiseau ressemblant au colibri dans les mains de celui de droite, un oiseau posé à ses côtés s’apparentant au petit oiseau du Brésil, des oiseaux pouvant être des pélicans dans le lac en bas à droite, et un petit crocodile sur la terre ferme en bas à gauche. Molinet profite des occasions fournies par les gravures pour donner à voir les curiosités autrement que dans l’accumulation traditionnelle du frontispice.

Les chapitres s’ouvrent sur une planche de gravures représentant les curiosités étudiées. Elles n’y sont pas disposées selon leur ordre d’apparition, celui-ci étant signalé par un numéro en chiffres romains. Il nous semble que les gravures ont été agencées dans un souci de gain de place car toutes devaient rentrer sur une seule planche. Même si une bonne dizaine de curiosités est présentée à chaque fois, le visuel global est aéré et lisible. Ce choix de mise en page diffère de ceux des catalogues et ouvrages d’histoire naturelle que Molinet cite. Certains ont regroupé toutes les gravures en fin d’ouvrage en pleine page ou plusieurs sur une même page comme Willughby*16, d’autres les ont intégrées dans le

texte en regard des articles comme Marcgraf*17, d’autres encore font figurer toutes les

gravures d’un chapitre à la suite en pleine page en début ou à la fin comme Gessner*18, et

certains n’ont pas ou peu inclus de gravures comme Belon*19. Nous supposons que Molinet

a opté pour le regroupement de toutes les curiosités sur une même page car leur faible nombre le permettait.

Première remarque concernant la planche des « Oyseaux les plus rares » : tous les spécimens sont représentés en entier, alors que Molinet indique dans les articles ne détenir que des parties précises pour certains oiseaux : il nous informe avoir de l’oiseau

16 Willughby, Francis, Ornithologiae libris tres, Londres, Martyn, 1676. [disponible sur archive.org https:// archive.org/details/bub_gb_A-aUZokZTSAC/page/n5/mode/2up/].

17 Marcgraf, Georg et Läet, Johannes de et Piso, Willem, Historia Naturalis Brasiliæ, Amsterdam, Elzevier, 1648. [disponible sur archive.org https://archive.org/details/marcgrave/page/n3/mode/2up/ ].

18 Gessner, Conrad, Historiæ animalium Lib. I. de quadrupedibus viviparis [...], Zurich, Froschauer, 1551. [https://archive.org/details/BIUSante_pharma_res000050x01x02/page/n7/mode/2up/].

19 Belon, Pierre, Les observations de plusieurs singularitez, Paris, Corrozet, 1553. [disponible sur Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1511373w.r=Belon%2C%20Pierre%20observations?rk=64378;0].

guiracereba la peau, du pélican la tête, du platea le bec et du pingouin les ailes. Pourquoi

avoir fait ce choix, alors que, par exemple, le rhinocéros et la girafe ne sont représentés que par leur corne, ou la lamie et le rosmarus par leur tête ? Nous supposons que Molinet a jugé plus pertinent de les faire figurer en entier car l’intérêt des oiseaux est souvent leur plumage. Quant aux becs mis en avant comme celui du platea ou du toucan, le lecteur ne peut se rendre compte de leur particularité que dans leur comparaison avec le corps entier de l’oiseau. Le graveur, certainement sous les indications de Molinet, s’est servi d’autres illustrations pour compléter les spécimens partiels. Ainsi, la gravure génovéfaine du pingouin ressemble énormément à celle du Museum20 de Worm*. Celles du toucan, du

platea, du flamant et du pélican à l’Ornithologiae21 de Willughby*. Les formes générales et

les positions sont les mêmes, la manière de dessiner les plumes, cependant, varie. Les oiseaux sont les seules curiosités naturelles à disposer, pour neuf d’entre eux, d’éléments de décor, comme ceux de Willughby* : une branche pour le petit oiseau du Brésil, un morceau de sol pour l’oiseau guiraceraba, le moineau de l’Amérique, le colibri, le pélican, le platea, le flamant, le pingouin et le toucan.

La planche des « Animaux les plus singuliers » est la première à utiliser le principe de métonymie, l’emploi d’une partie pour désigner le tout, pour représenter certains spécimens. Ainsi, le rhinocéros, la licorne, la girafe et le sanglier ne sont présents qu’à travers leurs cornes et défenses, l’hippopotame par sa dent et le morse par sa tête. Peut-être que la représentation de ces animaux imposants ne pouvait pas se faire à cause du choix de la planche unique : dessiner ces six animaux n’aurait pas permis de le faire en taille suffisante pour voir les détails et aurait camouflé les autres spécimens plus petits. En outre, le cas du rhinocéros est intéressant : Molinet explique qu’il n’a pas souhaité prendre le temps d’en faire réaliser une image puisque les gravures de rhinocéros sont courantes et connues. Il renvoie donc à plusieurs gravures de ses pairs car il n’y aurait pas eu d’intérêt à en faire une énième.

20 Worm, Ole, Museum Wormianum, chap. XIX, p. 300. Voir l’annexe 1-5 pour la gravure du pingouin de

Worm [disponible sur archive.org

https://archive.org/details/MuseumWormianum00Worm/page/300/mode/2up].

21 Willughyb, Francis, Ornithologiae libris tres, p. 372, 436, 452 et 458. Voir les annexes 1-6 à 1-9 pour les gravures du toucan, du platea, du flamant et du pélican de Willughby. [disponible sur https://archive.org/ details/bub_gb_A-aUZokZTSAC/page/n 372 /mode/2up / ].

Excepté le serpent à sonnettes dont seules les sonnettes sont à Sainte-Geneviève, tous les spécimens des « Poissons et les Serpents les plus rares » correspondent à l’inventaire donné par Molinet. Nous pensons que pour la gravure du serpent à sonnettes, celle22 de Nieremberg* a servi de modèle pour le motif des écailles. La tête de lamie sert

une fois de plus de métonymie. Mais comme ce sont les dents qui intéressent le plus Molinet, il est compréhensible que le reste du corps soit négligé. C’est pourquoi, les poissons sont mis en scène pour présenter au lecteur la singularité qui interpelle le chanoine. Ainsi, la lamie a la gueule ouverte pour permettre de voir ses dents, le poisson- globe est gonflé pour faire ressortir ses épines, le poisson volant a ses nageoires dépliées, et le rémora est représenté en vue du dessus pour que nous puissions voir la peau de son crâne. Si les gravures peuvent trouver leurs équivalents dans d’autres catalogues, nous avons eu beaucoup de mal pour trouver une semblable au poisson triangulaire génofévain : beaucoup de représentations de « poissons triangulaires » sont disponibles, notamment chez Willughby*, mais aucune ne ressemble à celle de Molinet.

« Les plantes et les Fruits étrangers » correspondent aussi à l’inventaire du chapitre. Contrairement aux autres catalogues et ouvrages d’histoire naturelle, comme celui de Marcgraf*23 par exemple, Molinet n’a fait représenter des plantes que les parties qu’il

conserve au cabinet, et non l’arbre en entier, avec le détail des fleurs et des fruits. Les contraintes liées à la technique de la gravure a aidé Molinet dans la séléction des curiosités intégrées au catalogue. Par exemple, il explique avoir choisi de ne faire figurer qu’une seule fève d’Inde « parce que elles ont presque toutes la même figure et qu’elles ne diffèrent que par la couleur »24. Or les gravures étant non colorées, il n’y aurait pas eu

grand intérêt de représenter plusieurs fois la même fève.

Pour finir la description des gravures, nous souhaitons souligner que globalement, les gravures proposées sont « originales ». Celles reproduites quasiment à l’identique le sont pour des curiosités incomplètes. Nous ne savons pas pour toutes les curiosités leur état de conservation, cependant, en parcourant les autres catalogues nous avons constaté que

22 Nieremberg, Juan Eusebio, Historia naturæ, Anvers, Moretus, 1635, livre XI, chap. XXVII, p. 253. Voir l’annexe 1-10 pour le serpent à sonnettes de Nieremberg. [disponible sur archive.org https://archive.org/details/bub_gb_9X3McP1dRn0C/page/n265/mode/2up].

23 Marcgraf, Georg et Läet, Johannes de et Piso, Willem, Historia Naturalis Brasiliæ, Amsterdam, Elzevier, 1648. [disponible sur archive.org https://archive.org/details/marcgrave/page/n3/mode/2up/ ].

peu de gravures ressemblaient trait pour trait à celles de Sainte-Geneviève. Nous pouvons par exemple souligner le re-travail de l’apparence de la lamie25 ou de celle du pristis26 qui

sont deux curiosités pour lesquelles les gravures sont reprises d’un ouvrage à l’autre, et qui en comparaison avec les génofévaines sont moins proches de la réalité. Molinet a voulu apporter des images neuves au lecteur pour accompagner son travail de réflexion et de vulgarisation. Le travail de construction du catalogue est donc également passé par la réflexion des représentations et par le choix des modèles pour compléter les curiosités partielles.