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Citer un pair ou une autorité n’est pas sans intérêt. Nous avons étudié la manière dont Molinet emploie les citations en nous fondant sur les quatre rôles que Bernard Vouilloux, accorde à ce phénomène dans « La citation et ses autres ». Une citation peut être un argument d’autorité, signaler une convergence ou une divergence avec l’Antiquité, être contestée et servir d’appui à la contre-argumentation ou être retournée contre son auteur.24 21 Ibid., « Une Corne de Licorne », p. 194.

22 Ibid., « Spongia arborescens », p. 212.

23 Moncond’huy, Dominique, « Le Cabinet de la bibliothèque Sainte-Geneviève du Père du Molinet. Un exemple de livre ‘‘de cabinet’’ », Camenae, n°15, 05/2013, p. 5.

24 Vouilloux, Bernard, « La citation et ses autres », Popelard, Marie-Dominique et Wall, Anthony [dir.],

Une citation peut donc servir d’argument au discours de l’auteur. Par exemple, dans l’article « Une Rose de Jerico », Molinet convoque Belon* pour justifier la mauvaise nomination de cette plante : « Bellonius parlant de la Rose de Jerico, dit qu’elle est mal nommée, […] puis qu’il est certain qu’il n’en croist point aux environs de Jerico, ni dans la Judée, mais bien dans l’Arabie et sur les rivages de la mer »25. Ce scientifique est considéré

comme l’un des plus importants du XVIe siècle, notamment en botanique. Donc en citant

une telle figure scientifique, Molinet n’a pas réellement besoin d’argumenter puisque Belon* a déjà prouvé le fait avancé. Dans un mouvement contraire, Molinet cite un extrait de la description du caméléon de Worm* pour contredire son observation :

Je suis obligé de dire icy, que j’ay vû sur le Cameleon de nôtre Cabinet le contraire de ce que cet Auteur a observé touchant les pieds de cet animal ; car les doigts de ceux du devant sont entiérement semblables à ceux qui sont aux pieds de derriére, il met pourtant : Pedes

anteriores, à posterioribus valdè discrepant, ut enim priores pedes ternos digitos intra,

binos extra ; ita posteriores ternos extra, et binos intra possident.26

Molinet montre à travers cette contestation qu’il est aussi minutieux dans ses observations que le très reconnu Ole Worm*, ainsi que sa capacité à pointer les défauts des autorités grâce à son autopsie rigoureuse. De plus, en citant précisément le passage en question, bien que ce soit en latin, notre auteur permet au lecteur de comparer les divergences et d’apprécier les arguments de l’un et de l’autre.

Molinet cite donc pour valider les connaissances qu’il propose au lecteur, mais également pour l’accompagner dans la recherche. Par exemple, dans l’article « Une Oye de Magellan », Molinet signale que l’ouvrage de Jonston* contient plus d’informations sur le pingouin que ce que lui-même rapporte car son but est de résumer les principales connaissances. Et pour compléter ses sources, il indique un autre ouvrage qu’il juge digne d’intérêt : « [Jonston] rapporte encore d’autres singularitez que j’obmets, pour abreger. On peut aussi consulter à ce sujet, la page 300. du Musæum Worminaum. »27 En fournissant de

nombreuses références et en montrant comment il s’en est servi pour illustrer ses propos, il l’incite à continuer de s’instruire par lui-même en allant à la rencontre des autres auteurs scientifiques. De plus, le catalogue est ainsi placé au rang d’ouvrage scientifique car il remplit le même rôle que ceux dont il est rapproché par les références.

25 Ibid., « Une Rose de Jerico », p. 211. 26 Ibid., « Un Cameleon », p. 197. 27 Ibid., « Une Oye de Magellan », p. 190.

Nous pouvons également souligner que les auteurs que Molinet cite font de même entre eux, ce qui souligne le poids des références qu’il a sélectionné pour Le Cabinet. Le père génovéfain expose le système de la citation entre naturalistes, ce qui permet de mieux comprendre comment lui-même les a construites. Par exemple, dans l’article « Un Armadille », Molinet explique qu’un tatou peut parcourir en une nuit « une lieuë loin sous la terre ». Il détient cette information de l’ouvrage de Jonston*, qui lui même la tire de celui de Nieremberg* : « Jonston dit aprés Nierenbergius qu’en une nuit il ira une lieüe loin sous la terre »28. Et en citant de tels noms, Molinet affine un peu plus sa posture

d’auteur : citer telle ou telle autorité, et surtout valider ou non les propos, lui permet de se placer sur la toile de la communauté scientifique car, comme le mentionne Francis Grossman, citer est une manière « d’illustrer de manière caractéristique la position d’un auteur. »29 Nous pouvons par conséquent admettre qu’il se reconnaît plus auprès de ses

contemporains que des autorités antiques car il ne se donne la peine de fournir les références bibliographiques que pour les ouvrages qu’il a lui-même consultés et qu’il juge fiables. Dès lors, la citation est également un moyen de prendre part à la chaîne de passation des savoirs. Un auteur cite un pair pour commenter ses propos ou pour affirmer ses nouvelles observations. Ainsi il ajoute sa vision singulière à l’ensemble de celles constituant la communauté scientifique, et ne se contente pas de simplement reproduire les propos d’autres auteurs. Par exemple, Molinet observe que les yeux de son bœuf-volant sont « d’une couleur un peu moins jaune que l’ambre, bien que Marcgravius les dise noirs. »30 Ces deux informations sur le bœuf-volant sont donc rapprochées dans la chaîne

des connaissances pour en créer une troisième : s’il s’agit bien de deux spécimens de la même espèce, soit Marcgraf* s’est trompé et Molinet le corrige, soit il existe au moins deux couleurs pour les yeux de cet insecte.

Ses « usages épistémiques » ont pour but de « convoqu[er] le discours de l’autre aux fins de le faire servir la recherche de la vérité ».31 Et cette recherche se compose de

trois étapes : valider le travail de Molinet au sein de la communauté scientifique grâce au choix des sources, renforcer son statut d’auteur naturaliste, enrichir ses propos et

28 Ibid., « Un Armadille », p. 191. 29 Grossman, Francis, Op. cit., p. 208. 30 Le Cabinet, « Un Bœuf volant », p. 188. 31 Vouilloux, Bernard, Op. cit., p. 39.

accompagner le lecteur dans une démarche instructive. Si Molinet propose autant de références bibliographiques, c’est également parce que la science moderne du XVIIe

plébiscite de plus en plus cette pratique. Le Cabinet est donc un catalogue inscrit dans son époque comme l’illustre en outre la présence de la religion et son utilisation par Molinet.

XI. Références religieuses

Le dernier élément que nous souhaitons aborder dans cette étude est la présence des références religieuses. En effet, la religion chrétienne et les cabinets de curiosités sont liés, comme l’explique Myriam Marrache-Gouraud dans « La mandragore et le kayak. Des objets et des des hommes » :

Il s’agit par l’accumulation des choses et leur rangement, de rendre hommage à la Création divine, non pas en pénétrant tous ses mystères, reconnus comme insondables, mais en tentant d’en mettre en évidence la cohérence, l’excellence, par le classement des créatures les plus variées. L’émerveillement ressenti devant les choses de la nature, y compris devant les monstres, qui sont considérés comme des prodiges montrant l’infinie puissance de Dieu, sert d’éloge du Créateur et sa célébration.1

La religion est donc l’un des mobiles de la création des cabinets de curiosités : les collections servent à admirer l’œuvre de Dieu, sans pour autant prétendre percer ses mystères qui sont de toutes manières ineffables. La louange du Créateur se fait à travers l’étude de la Nature car elle est son ouvrière : par exemple, s’il lui commande de créer les arbres, elle a la possibilité de les façonner aussi divers et variés qu’elle le souhaite. C’est ainsi que sont élaborées les espèces, les races, les variétés, etc. et qu’un chêne et un érable, bien que différents, sont tous deux des arbres. Par conséquent, c’est observant le spectacle de la Nature, en admirant le vert somptueux du colibri ou l’utilité de la noix de coco, que le savant fait l’éloge de Dieu en démontrant et décrivant sa puissance créatrice. Dans les quatre chapitres de notre étude, deux types de références religieuses sont proposées : des mentions de textes saints et d’autres de la Nature.