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Par le R P CLAUDE DU MOLINET,

DU P ERE DU M OLINET

I. Eloge du Pere du Molinet

Chanoine Régulier de Sainte Geneviéve.

Tiré du Journal des Sçavans, du vingt-quatriéme Novembre de l’année 16871.

Il seroit à propos de dire quel a été le feu Pere du Molinet*, en donnant au public les mémoires qu’il a laissez dans le Cabinet de la Bibliotheque de Sainte Geneviéve, s’il ne s’étoit pas assez fait connoître par ses bonnes qualitez, et par ses ouvrages. Quelque interest que nous devions prendre aux loüanges qu’il mérite, on ne nous accuseroit pas de luy en donner trop, aprés celles que tous les Sçavans luy ont données pendant sa vie, et depuis sa mort. Nous nous contenterons de rapporter icy pour tout Eloge, celuy que les Auteurs du Journal des Sçavans publiérent quelques mois aprés son décés. La peinture qu’en firent ces habiles gens, le réprésente mieux, que le portrait que nous en avons fait graver. Nous assûrons le public, que nous y reconnoissons parfaitement le feu Pere du Molinet.

La douleur que les Gens de Lettres ont soufferte à la mort du P. du Molinet, Chanoine Régulier de Sainte Geneviéve, leur a été trop sensible pour le passer sous silence. Il étoit de Châlons en Champagne, d’une Famille ancienne et illustre, et par sa noblesse, et par les alliances qu’elle avoit avec celles d’Arcis, de Mœurs, de Boucherat et de Lhopital. La mére du P. du Molinet étoit de cette derniére Famille, de laquelle elle portoit le nom : son pére fut Pierre du Molinet, Ecuyer, Prevôt de Châlons. Il l’envoya à Paris avec son frère aîné, pour y faire ses études de Philosophie, laquelle il n’eut pas plûtôt achevée, qu’il prit la

1 Le Journal des Sçavans est le périodique européen le plus ancien. Créé en 1665 par Denis de Sallo sous la forme d’un mensuel, il est depuis 1909 publié par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres deux fois par an. Cette revue avait pour principales missions de rapporter les dernières publications, de publier les éloges des savants décédés, de rendre compte des dernières inventions et expériences, ainsi que de faire connaître les derniers jugements de la censure, afin d’informer aussi bien les gens de lettres, que les curieux, amateurs de sciences ou encore les savants expérimentés.

résolution d’entrer dans l’Ordre des Chanoines Réguliers ; il s’y fit distinguer autant par son érudition et sa suffisance2, que par sa piété : il fut Procureur Général de sa

Congrégation, et son humilité seule servit d’obstacle à son élévation aux autres Charges qui luy furent souvent offertes. Ceux qui l’ont connu, sçavent combien il eut de soin de s’en éloigner. Il étoit d’un caractére d’esprit heureux, doux, affable, charitable, si bien- faisant, que jamais personne ne l’a approché, qu’il n’ait été trés-content de luy : il est vray aussi qu’il loüoit volontiers tout le monde, qu’il se faisoit un singulier plaisir de rendre service. Il ne pouvoit être un moment oisif ; et la postérité aura de la peine à croire qu’il soit l’Auteur d’un aussi grand nombre d’ouvrages, que ceux que l’on a de luy, et que l’on pourra donner un jour au public. Il en a paru déja plusieurs qui ont mérité une approbation générale : il a réduit en un tres-bel ordre les Epîtres d’Etienne Evêque de Tournay, et en a expliqué les endroits difficiles par des Notes tres-sçavantes. On luy a l’obligation de l’Histoire de Papes par les Médailles, depuis Martin V. jusques à présent. Les Chanoines Séculiers luy doivent douze Réfléxions sur leur origine, aussi-bien que les Réguliers douze sur leur antiquité. Son Livre des différens Habits des Chanoines et des Chanoinesses Réguliéres a été trouvé fort curieux. Il a fait encore imprimer plusieurs Dissertations, comme de la Mître des Anciens, d’une teste d’Isis trouvée à Paris, et d’autres petites piéces. La Bibliotéque de Sainte Geneviéve n’est devenuë célébre que par ses soins3. Il

s’est plû dés sa plus tendre jeunesse, à découvrir tout ce qu’il y avoit de plus caché dans l’antiquité ; et le Cabinet de Curiositez, qu’il y avoit amassées, est une preuve que rien n’échapoit à ses recherches. L’honneur qu’on luy fit de le choisir pour veiller à l’Ouvrage du P. Coronelli*, touchant le Globe céleste, n’est pas une petite marque de l’étenduë de sa science ; mais ce qui reléve extrémement son mérite, c’est que le Roy a voulu se servir de luy pour aider à ranger ses Médailles, et pour luy en chercher de nouvelles, aussi-bien que des Agathes, et d’autres Pierres de prix, dont il avoit une grande connoissance. Il eut

2 Le terme « suffisance » est ici à comprendre dans son sens mélioratif, que Furetière définit ainsi : « se dit aussi en choses morales, de la capacité, du mérite d’une personne ». Il oppose cette acception méliorative à la péjorative : « se dit aussi en mauvaise part, d’une grande presemption fondée sur un faux mérite, sur une trop bonne opinion qu’on a de soy-même ».

3 Le père Claude du Molinet a considérablement restauré les collections de la bibliothèque de Sainte- Geneviève, notamment par la recherche de livres disparus lors des temps de conflits religieux du XVIe siècle et en augmentant les acquisitions du cabinet. Yves Peyré estime qu’à la mort de Molinet en 1687, le fonds de la bibliothèque était composé de 20 000 livres, dont 400 manuscrits et des milliers d’estampes. Voir Peyré, Yves, La bibliothèque Sainte-Geneviève à travers les siècles, Paris, Gallimard, 2011, chap. 2, p. 26-41.

l’honneur de fournir à Sa Majesté4 plus de huit cent Médailles tirées du Cabinet de

Sainte-Geneviève. Les gratifications qu’Elle luy a faites, et qui sont en cette Bibliotheque, seront des marques éternelles de la libéralité de ce grand Prince, et une preuve éclatante que les services de ce sçavant Religieux ne luy étoient pas desagréables. Il mourut à Sainte Geneviéve le deuxiéme jour de Septembre 1687. aprés six jours de maladie, en la 67. année de son âge.

4 Louis XIV (1638-1715). Roi de France de 1643 à 1715, il accorda une place importante à la culture, aux arts et aux sciences pendant son règne.

[n.p.]

[bandeau ornemental]

P

REFACE

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II. Préface

L’abbaye de Sainte Genevieve de Paris, ayant été réformée en mil six cent vingt-quatre, par le zéle de M. le Cardinal de la Rochefoucault*, qui en étoit Abbé. les Chanoines Réguliers de S. Vincent de la Ville de Senlis, qu’il y fit venir pour ce sujet, y ayant rétabli le Culte divin, et l’exercice d’une solide piété, jugérent qu’il étoit nécessaire, pour l’entretenir, d’y joindre l’étude des bonnes Lettres, autrefois si florissantes en cette célébre Maison.

Les Livres qui en sont l’aliment et la nourriture, leur manquoient ; ils n’avoient pas trouvé un seul Manuscrit, ni un seul Livre imprimé, quand il y vinrent ; ils s’appliquérent pendant plusieurs années, à en amasser : les Peres Fronteau* et Lallemant* Chancéliers de l’Université de Paris, ont travaillé avec assiduité et succez à cette acquisition, et ils ont vû de leur temps, jusqu’à sept ou huit mille Volumes dans la Bibliothéque de Sainte Geneviéve.

L’an 1675. on fit bâtir un lieu fort propre pour servir de Bibliothéque, il a trente toises de longueur ; on m’en donna la direction, et je me trouvay engagé à faire de temps en temps de nouvelles acquisitions de Livres, pour remplir un si grand Vaisseau : et le succez répondit bientôt à mes desirs.

Je crûs en même temps faire une chose, qui ne contribueroit pas peu à son ornement et à son avantage, si je l’accompagnois d’un Cabinet de Piéces rares et curieuses, qui regardassent l’Etude, et qui pûssent servir aux belles Lettres. C’est ce que je me suis proposé dans le choix de ces curiositez ; et j’ay tâché de n’en point chercher, et de n’en point avoir, qui ne pussent être utiles aux Sciences, aux Mathématiques, à l’Astronomie, à l’Optique, à la Géométrie, et sur tout, à l’Histoire, soit naturelle, soit antique, soit moderne, et c’est à quoy je me suis principalement appliqué.

Le lieu de ce Cabinet est contigu à la Bibliothéque ; on y voit en face une espéce d’Alcove d’Architecture entre les deux fenêtres qui l’éclairent ; il s’y voit plusieurs sortes d’habits et d’armes des Païs étrangers, des Perses, des Indiens, et des Américains. Au

dessus sont trois Gradins garnis de Vases, d’Urnes, de Figures antiques, d’Instrumens de Sacrifices, de Lampes, et de plusieurs autres sortes d’Antiquitez.

Cette Alcove est accompagnée de deux Buffets garnis de tablettes sur lesquelles sont des Pétrifications, des Oyseaux des Indes, et des Animaux, des Ornemens et chaussures de plusieurs Païs. Ces Buffets portent aussi deux Gradins, sur lesquels sont des figures et des vases de la Chine avec des branches de corail rouge, blanc, et noir ; et diverses sortes de croissances de Mer.

Les trois autres côtez sont ornez de douze Cabinets de bois de noyer posez sur des colomnes, il y en a quatre grands accompagnez chacun de deux petits. Dans le prémier des grands, sont les Médailles de grand bronze, dont la suite est entiére, et qui ont même les Têtes les plus rares des Empereurs et des Princesses leurs femmes, avec un Livre, où elles sont toutes dessinées et expliquées au nombre de plus de quatre cens. La suite de moyen bronze qui est aussi dans ce Cabinet, est beaucoup plus ample, ayant jusques à quatorze cens Médailles, dont il y en a bien trois cens Gréques ; elle descend bien avant dans le bas Empire.

Le second grand Cabinet, a aussi deux suites de Médailles antiques, l’une de petit bronze, et l’autre d’argent ; celle de petit bronze, qui est si singuliére, qu’il n’y en a peut- être pas une semblable dans l’Europe, contient environ douze cens Médailles, tant du haut que du bas Empire, entre lesquelles il y en a bien aussi trois cens Gréques. La suite d’argent qui a en tête les Deïtez, comprend plus de sept cens Médailles.

Le troisiéme grand Cabinet, a les mesures, les poids, et les monnoyes antiques des Romains ; il contient aussi les monnoyes Gréques, et celles d’argent des Hebreux ; il s’y voit des tablettes de Talismans, tant en pierre qu’en métaux, anciens et modernes, de toutes sortes de Langues.

Enfin le quatriéme grand Cabinet renferme les Instrumens des Sacrifices, des Deïtez, des Armes des Romains, et d’autres ustenciles et antiquitez Romaines, Greques, Egyptiennes, et beaucoup d’autres choses antiques.

Dans les huit petits Cabinets, il y a au premier les Médailles de cuivre des Papes depuis Martin V. jusques à Innocent XI. au nombre d’environ 400. et une centaine de plusieurs Cardinaux. Le second contient cent quarrez d’acier gravez en creux des Médailles antiques et modernes, entre lesquelles sont celles des Empereurs depuis Jules

Cesar jusques à Eliogabale, de la main du Padoüan, ainsi surnommé, à cause qu’il étoit de Padoüe ; c’est de ces Médailles qu’ont été tirées celles qu’on appelle les Padoüans en tous les métaux.

Le troisiéme petit cabinet renferme les Médailles des Rois de France, depuis Charles VII. jusques à Louïs XIV. celles des Reines, des Princes, des Chancéliers, et des Illustres de tous les Etats de ce Royaume.

Le quatriéme contient celles des Empereurs, des Rois d’Espagne, d’Angleterre, de Dannemarc, de Suéde, et autres du Nord, des Princes d’Italie, de Savoye, des Electeurs et Princes d’Allemagne, et de plusieurs Princes de l’Europe.

Le cinquiéme est celuy des Monnoyes, on y voit celles de France, de nos Rois, depuis le commencement de la Monarchie jusques à ce jour, et de toutes nos Villes, Bourgs, Chapitres, et Abbayes qui en ont fait frapper, celles du Royaume de la Chine, du Japon, Calicut, Siam, Mogol, Turquie, et autres du Levant ; enfin celles de tous les Rois et Princes de l’Europe.

Le sixiéme est pour les Jettons des Rois de France ; on y en voit une suite de plus de six cens depuis François I. jusques à Loüis XIV. à présent regnant ; leurs devises y marquent leurs plus belles actions ; il y en a encore des Reines, des Princes, des Familles, des Magistrats, des Compagnies, et plusieurs autres qui ont rapport à l’Histoire de ce siécle, jusques au nombre de mille.

Le septiéme renferme les Instrumens de Mathématique, les Horloges, les Lunettes d’approche, les pierres d’aimant, et autres choses semblables.

Le huitiéme est pour les pierres gravées, cornalines, lapis, agathes, onyx, jades, camayeux, et pour les mineraux et les coquilles. On y voit dessous et dessus ces Cabinets des animaux et des poissons rares, avec des piéces qui regardent l’Optique. Les murailles du Cabinet, outre cela, sont ornées de Portraits et de Tableaux curieux ; la Corniche qui regne tout à l’entour, porte les Portraits en pastel de vingt-deux Rois de France depuis S. Loüis, tirez au naturel des originaux les plus fidéles de leur temps.

Au reste j’avouë de bonne foy, que nous sommes plus redevables des raretez qui sont en ce Cabinet, et qui y ont été ramassées pendant dix années, au bonheur et aux bienfaits de mes amis, qu’à mon industrie, et à la dépense que j’y aye faite. J’attribuë, en effet, à un bonheur singulier, que les raretez du fameux Cabinet de M. de Pereisc*

Conseiller au Parlement d’Aix, ayent été transportées en celui-cy. Cet excellent homme les avoit ramassées avec de grands soins et de grands frais en Italie et en Orient : M. Gassendi* et plusieurs autres Auteurs en parlent avec estime. M. de Harlay* Procureur Général du Parlement de Paris, m’a gratifié de tant de Livres curieux, de Médailles, d’Antiquitez, et d’autres piéces rares, et d’une maniére si généreuse et si obligeante, que je ne puis jamais assez, ni le publier, ni le reconnoître.

J’ay donc fait dessiner ici ce qui est de plus rare et de plus singulier dans ce Cabinet ; j’en ferai l’explication, afin d’en conserver la memoire, et en rendre plus facile la connoissance. Comme on ne peut entrer dans ce Cabinet sans passer par la Bibliothéque, j’ay commencé par trois planches, qui la représentent. La premiére l’a fait voir en perspective ; la seconde représente un des bouts de ce grand Vaisseau ; dans la troisiéme sont gravées deux des tablettes qui renferment les Livres, et qui font partie des onze de pareille grandeur, qui sont de chaque côté. Je ne dirai rien ici des Livres singuliers que nous y avons, parce que je pouray quelque jour en donner au Public un Catalogue exact.