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Le matin du 11 Septembre, quatre terroristes se préparent dans un hôtel ; ils prient, se rasent intégralement le corps, quand l’un d’entre eux déclare : « It’s time ». Sur des vues aériennes de villes et de buildings, des prières en arabe résonnent.

Le vol 93 d’United Airlines doit décoller de l’aéroport de Newark dans le New Jersey pour rallier San Francisco. À l’aéroport, Paul Greengrass filme un jour qui semble ordinaire : l’arrivée des hôtesses et des deux pilotes, les passagers et les pirates de l’air qui se croisent dans la salle d’embarquement. Un passager arrive très en retard et est le dernier à monter à bord. Le chef du groupe terroriste appelle une dernière fois sa petite amie allemande.498 Les quatre pirates de l’air s’installent en première classe. Au Centre de

Défense Aérienne du Nord-Est, en Virginie, Ben Sliney commence sa première journée en tant que chef des opérations.

Parallèlement à l’embarquement du vol 93, le Centre de Contrôle du trafic aérien de Boston signale que le vol 11 d’American Airlines ne répond plus. Puis le contrôleur entend une voix étrangère qui vient du cockpit (« stay calm »). Le NORAD (Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord) reçoit un appel de Boston qui l’avertit d’un détournement d’avion et précise que ce n’est pas un exercice (« We have a real world situation »). Pendant ce temps, l’analyse de la bande-son du vol 11 révèle que les terroristes parlent de plusieurs avions. Les autorités ignorent ce qu’ils comptent faire. En effet, si ce n’est pas la première fois qu’un avion est détourné (revendications, demandes de rançon), ils n’envisagent pas le fait qu’un avion soit utilisé comme une arme.

Cette situation parallèle crée une dilatation du temps499 : tandis que les autorités

apprennent que des passagers du vol 11 ont été poignardés, le vol 93 est enfin prêt à décoller (retardé de 41 minutes à cause du trafic). Ici, Greengrass ne fait aucune ellipse, il est dans le temps présent ; le « roulage » est un moment long, surtout au cinéma : pratiquement une minute pendant laquelle nous pouvons successivement voir les pilotes, la piste, les terroristes prier, les passagers regarder dehors. Cette séquence rompt avec le

                                                                                                               

498 Il s’agit de Ziad Jarrah. Ancien étudiant de l’université de Hambourg, il a rencontré Mohammed Atta à la

mosquée (qui se trouvait sur le Vol 11 d’American Airlines). Il semblait être le plus « intégré » au mode de vie occidental et « manquait de fermeté dans ses convictions » selon des membres d’Al-Qaïda ; il a d’ailleurs hésité à participer aux attentats. 11 septembre 2001 – le cauchemar américain, réalisé par Alexander Berkel, Marc Brasse, Florian Huber & Bernd Mütter, ZDF & Arte, 2010, 86 min.

montage alterné utilisé juste avant : il s’agit ici d’inscrire le spectateur dans l’instant, dans l’« avant fatalité ».

Des hublots côté gauche, les passagers sont invités à regarder la « belle skyline » de New York. Le chef des terroristes regarde les Twin Towers, encore intactes. Au même moment, le vol 11 American Airlines disparaît des écrans radars au-dessus de Manhattan. Depuis la tour de contrôle de l’aéroport John-F.-Kennedy, le personnel ne comprend pas pourquoi la Tour Nord du World Trade Center est en feu. Personne à cet instant ne fait le lien entre la disparition du vol 11 et cet « incendie ». Que ce soit au Centre de Contrôle du trafic aérien de Boston ou au NORAD, tous regardent sur les écrans de télévision la tour en flammes. Puis, le vol 175 United Airlines ne répond plus ; il se dirige droit sur New York, perd beaucoup d’altitude en peu de temps, puis disparaît à son tour des écrans. À l’aéroport John-F.-Kennedy, les contrôleurs assistent, impuissants, à l’arrivée de l’avion qui vole très vite, très bas. Des réactions d’horreur et de stupéfaction se font entendre dans les centres de contrôles de Boston, de Virginie et au NORAD lorsqu’ils voient le vol 175 s’écraser en direct à la télévision à 9h03.

À bord du vol 93, le petit-déjeuner est en train d’être servi ; dans le cockpit, les pilotes reçoivent un message : « Beware cockpit intrusion. Two aircraft hit World Trade Center », auxquels ils ne semblent pas prêter attention. Les terroristes attendent que le chef donne le signal. Celui-ci ne bougeant pas, l’un d’entre eux se rend aux toilettes et assemble une bombe qu’il place autour de sa taille et va se rassoir. Tous trépignent à l’exception du chef qui ne réagit toujours pas.

À 9h28, un des pirates de l’air se lève et se dirige rapidement vers l’avant de l’appareil, et met son couteau sous la gorge d’une hôtesse. Celui qui est muni de la bombe poignarde le passager se trouvant dans la rangée devant lui. Les quatre terroristes crient « Allahu Akbar ». Tout ceci se passant en première classe, les autres passagers ne peuvent qu’entendre les cris mais ne voient rien à cause du rideau tiré entre les deux compartiments. Puis les terroristes obligent tout le monde à aller au fond de l’appareil. Le chef vient juste de bouger et demande à l’hôtesse menacée par le couteau d’ouvrir la porte du cockpit. Le copilote est poignardé à mort dès qu’il l’ouvre, puis l’hôtesse est égorgée ; après une bagarre, le pilote est tué à son tour. Deux terroristes sont chargés de surveiller les passagers rassemblés dans le fond, tandis que les deux autres prennent le contrôle de l’avion (Ziad Jarrah pose la photo du Capitole sur le manche) et reçoivent le même message qui avait été envoyé précédemment aux pilotes. « The brothers have hit both targets! » s’exclame Ziad Jarrah.

Les passagers ne savent toujours pas ce qu’il se passe à l’avant, jusqu’au moment où une hôtesse de l’air voit les corps inertes des deux pilotes.

Au même moment, les militaires ne parviennent à joindre ni le Président, ni le vice- président, les seules personnes à pouvoir autoriser les avions de chasse à abattre des avions détournés. À 9h37, le Pentagone est touché. Ben Sliney, le responsable du Centre de Contrôle de la sécurité de la circulation aérienne, prend la décision de fermer l’espace aérien américain :

« I don’t want any more international flights crossing the borders. They’ll have to go back where they came from. Nobody’s coming into the country from now on. (…) Shut off the East Coast. Shut off all the internationals from Europe. Shut off South America, shut off the West Coast, nothing over the top, either. (…) We’re gonna shut down the airspace. Nobody comes in, and nobody takes off. (…) We’re at war with someone, and until we figure out what to do about it, we’re shutting down. »

Plusieurs passagers du vol 93 décident d’appeler leurs proches – dont Tom Burnett qui appelle son épouse, laquelle lui apprend les attentats de New York et du Pentagone ; s’adressant à un autre passager, il dit : « This is a suicide mission. We have to do something. They are not gonna land this plane. » Ils décident alors de tout tenter pour entrer dans le cockpit et reprendre le contrôle de l’avion. À 9h57, une bagarre éclate entre les passagers et les deux terroristes qui étaient restés au fond de l’appareil. Le pirate de l’air fait des mouvements brusques, fait plonger l’avion. Ils tentent de forcer la porte à l’aide du chariot puis se battent avec les deux derniers terroristes. L’avion se retourne, fait des tonneaux, avant de s’écraser dans un champ en Pennsylvanie. Il est 10h03.

Sur le carton noir500, nous apprenons que les militaires ont été informés du

détournement du vol 93 quatre minutes après que celui-ci se soit écrasé. Les avions de chasse les plus proches se trouvaient à 160 km de là. À 10h18, le Président autorisait l’armée à envoyer les avions de chasse. Craignant un abattage accidentel, les responsables militaires choisirent de ne pas transmettre l’ordre aux pilotes.

                                                                                                               

500 Un « carton » est l’image noire qui apparaît avant le générique d’un film, sur lequel des informations sont

Si des téléfilms ou des documentaires avaient été réalisés sur le vol 93501, il s’agit du

premier film qui le traite et aborde les événements du 11 Septembre 2001. En choisissant de s’intéresser au quatrième avion des attentats, Paul Greengrass – au même titre que Stone – s’attarde sur un élément du 11 Septembre et non sur l’événement dans sa totalité. De plus, l’intérêt du vol 93 est multiple : il n’a ni été filmé (contrairement à ceux qui se sont écrasés à Manhattan), ni atteint sa cible, et ses passagers se sont révoltés. Ce sont en plus les seuls à avoir vécu le 11 Septembre en tant que victimes directes.502 Par ailleurs, United 93

(le titre original du film) n’est pas un choix anodin. En effet, le titre Flight 93 étant déjà pris par un docu-fiction, le studio Universal fit le choix de United 93, qui semble faire écho à l’idée d’union héroïque des passagers503 et de l’union de la Nation.

Il est d’ailleurs intéressant de souligner l’interprétation de George W. Bush quant à l’acte de bravoure des passagers. Selon lui, ces derniers ont préféré cet acte tragique et désespéré à la destruction du Capitole, puis il qualifiera leur action de « première contre-attaque de la Troisième Guerre mondiale ».

« They said a prayer…and they drove the plane into the ground to serve something greater than themselves. That’s the American spirit I know. That’s the sense of sacrifice that makes this country so strong. »504

Si le film de Greengrass ne confirme pas les propos du Président, il est en revanche critique à l’égard des autorités politiques qui n’ont à aucun moment été joignables.505 En

outre, le choix du sujet et la manière de filmer, ont valu au film de nombreuses critiques lors de sa sortie aux États-Unis : « Beaucoup l’ont accusé de traumatiser les spectateurs en les replongeant dans quelque chose de « trop » vrai. (…) [Et] on l’a notamment accusé d’avoir utilisé le

                                                                                                               

501 The Flight That Fought Back, diffusé le 11 septembre 2005 qui commémore le quatrième anniversaire de

l’événement, le docu-fiction Flight 93, et le documentaire I Missed Flight 93, diffusés en 2006

502 « It always seemed to me that those 40 passengers were the first people to inhabit our world – the world of: “What are we

going to do? What can we do and what will be the consequences of what we do?” By the time that hijack

happened at half-past nine, 9/11 was basically all over. The Twin Towers had been hit half an hour before, the Pentagon was being hit as they were being hijacked – it was all over. That always seemed to be the drama of the thing, the thing that would speak to us. » Interview de Paul Greengrass, indielondon.co.uk, 2006

503 ROSENBAUM R., « Hijacking the Hijacking. The problem with the United 93 films », Slate.com, 27 avril

2006

504 « Bush likens ‘’War on Terror’’ to WWIII », ABC News Online, 5 juin 2006

505 « Greengrass’s movie shows us (…) how unthinkable 9/11 was, of how all too likely it was that the civil and military

authorities would not have mobilised in time, and that any action would indeed have to come from the passengers themselves. The film is at any rate fiercely critical of Bush and Cheney, who are shown being quite unreachable by the authorities, desperate for leadership and guidance. » Ibid.

drame à son propre profit (…). »506 Surtout, il semble que la date de sortie ait beaucoup gêné

voire peiné les spectateurs lors de la diffusion de la bande-annonce, certains criant que c’était trop tôt. Cette diffusion a également été critiquée par les familles des victimes, arguant qu’elle pouvait choquer le public.507

Dès le début du film en effet, le réalisateur réussit à créer une atmosphère oppressante. Alors même que le dénouement de l’histoire est connu, le spectateur ne peut s’empêcher de vivre avec les passagers qui se dirigent vers la fin ; de même lorsque nous voyons les réactions des services du contrôle aérien, nous ne pouvons qu’être horrifiés et stupéfaits avec eux. Paul Greengrass filme l’impuissance : celle des passagers, des contrôleurs aériens, des militaires qui attendent une autorisation qui arrivera trop tard, celle des politiques qui ne se manifestent pas. À cette impuissance, il livre un scénario loin de tout manichéisme et de toute exaltation héroïque et patriotique : les hôtesses et passagers du vol 93 étaient « simplement » humains, à l’instar des terroristes. De fait, Greengrass s’arrête à plusieurs reprises sur l’hésitation de Ziad Jarrah quant au passage à l’acte.

Le réalisateur nous offre une longue introduction à la tragédie, comme une invitation à y entrer. L’« assaut » des passagers du vol 93 n’arrivant qu’à la 60e minute, le

spectateur assiste à tous les détails et éléments qui ont précédé. Le récit se passant en temps réel, le scénario suit la chronologie des événements sans jamais couper ou accélérer le déroulement de l’histoire. En déplaçant son point de vue des images vues et revues aux tours de contrôle, Greengrass offre une nouvelle perception des attentats. Le 11 Septembre étant figuré, représenté par des points sur un écran radar, le film n’est pas grandiloquent.508

« Le 11 septembre y sert bel et bien de justification à la clôture du règne de la visibilité totale. Mais sans s’attarder sur les deux tours : l’essentiel a lieu dans le rapport entre un panoptisme et un trou noir. Le premier est mis en échec, les techniciens des multiples centres de contrôle n’entravent rien de ce qui se passe dans les avions détournés. Mieux vaut donc se transporter là où ça s’est joué, même si aucune image n’en est

                                                                                                               

506 « Toutes les chaînes de télévision, journaux, stations de radio, librairies, sites Internet, ont été remplis, ces cinq dernières années,

d’articles, de reportages et d’images sur le 11-Septembre. On trouve ça normal. Mais lorsque je fais mon petit film, on me dit que je fais du profit. C’est un comble ! » répondait-il alors. BELL A-L., « La citation du réel : le 11-Septembre », op.cit.

507 WAXMAN S., « Universal Will Not Pull ‘’United 93’’ Trailer, Despite Criticism », The New York Times, 4

avril 2006. George W. Bush les invita à la Maison-Blanche pour une projection privée

508 « With events as well known as these, Greengrass doesn’t need to sensationalize. The film is more powerful when he un-

sensationalizes. » EDELSTEIN D., « Flight Sequence. Should Hollywood be in the 9/11 business? Only if it

restée : l’espace resserré, « aveugle » de l’avion qui, grâce à la rébellion des passagers, s’écrasa loin de la Maison Blanche (…). »509

Avec un scénario et une esthétique épurés, Vol 93 se rapproche du style documentaire : caméra à l’épaule, il filme nerveusement ses personnages en plans rapprochés ou en gros plans. En se déplaçant d’un siège à un autre, la caméra traduit la panique qui règne à bord, « comme si on y était ».510 De plus, l’action se déroule exclusivement

dans l’avion – le huis clos claustrophobe est omniprésent – sans jamais voir l’extérieur de l’appareil ou même son crash.511 Le film n’a pas recours au « spectaculaire », il n’y a pas

d’effets spéciaux ; Greengrass fait appel au Réel pour signifier ce qui n’est pas et ne peut être symbolisé.