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Dès 1917, le gouvernement indique son intérêt pour le cinéma quand le président Wilson convoque des responsables des studios au moment de l’entrée en guerre des États- Unis, afin de promouvoir des films pro-Américains. C’est ainsi que « Charlie Chaplin parcour[e] les Etats-Unis pour convaincre les Américains de souscrire aux emprunts et que l’ensemble de la communauté cinématographique particip[e] à l’effort de guerre. »137 De la même façon, Mary

Pickford et Douglas Fairbanks, co-fondateurs du studio United Artists en 1919138,

parcourent la planète en tant qu’ambassadeurs de l’Amérique – leurs déplacements étant financés par le Département d’Etat.139 C’est donc à partir de la Première Guerre mondiale

que l’axe entre Hollywood et Washington s’institutionnalise. Surtout que, parallèlement, le gouvernement créé le Committee on Public Information (CPI), chargé d’influencer l’opinion et de contrôler l’image du pays et de ses valeurs.140

Pour comprendre l’influence des célébrités sur l’opinion publique américaine, il faut souligner le rôle, la domination, des studios de l’époque. Dans les années 1920-1940, les principaux studios sont au nombre de huit, parmi lesquels on distingue les cinq grands (majors ou « The Big Five ») : MGM, Paramount, Warner, Fox, RKO et les trois minors (« The Little Three ») que sont Universal, Columbia et United Artists.141 La logique du

système est celle d’un monopole vertical qui permet au studio de contrôler toutes les phases de la production, de la distribution et de l’exploitation.142 Les majors produisent et

                                                                                                               

137 REVEL R. & ROSSANO D., « Hollywood, combien de divisions ? », L’Express, 5 juillet 2004 138 Aux côtés de Charles Chaplin et D.W. Griffith

139 FRASER M., Weapons of Mass Distraction: Soft Power and American Empire, Bargain Price, 2005, p.43

140 « Since at that point all major movies were made for export as well as domestic consumption, this gave the government

immense power over the pictures of America received by people at home as well as abroad. » EPSTEIN E. J., The Big Picture: The New Logic Of Money And Power In Hollywood, Random House, 2005, p.315

141 Elles sont aujourd’hui au nombre de six : Paramount, Fox, Sony, Warner Bros., Disney et Universal. Voir

DEHÉE Y., « L’argent d’Hollywood », Le Temps des médias, n°6, 1/2006, pp.129-142

142 Par ailleurs, les célébrités sont à cette époque la propriété des studios. En 1947, environ 500 acteurs et

actrices « rentables » – parmi lesquels Gary Cooper, Ingrid Bergman, Humphrey Bogart, Clark Gable ou John Wayne – sont sous contrat avec une major pendant environ sept ans, ce qui les empêchent de travailler

distribuent les films sur le marché international, et possèdent de nombreuses salles de cinéma. Les minors en revanche ne possèdent pas ou très peu de salles, et n’ont donc pas la possibilité de projeter leurs films aux périodes les plus favorables et doivent se contenter des places inoccupées par les « Big Five » ou s’adresser à des exploitants indépendants. De fait, il faut attendre la loi antitrust de 1948143 et l’effondrement du studio system (monopole)

dans les années 1960 pour que le cinéma propose des points de vue variés.144

À cela, la création de la Motion Picture Producers and Distributors of America (MPPDA) en 1922 – renommée Motion Picture Association of America (MPAA) en 1945 – et dirigée par le Sénateur Will H. Hays de 1922 à 1945, est l’instigateur d’une loi régissant le contenu des films.145 Le Motion Picture Production Code ou « Code Hays » est un code de censure appliqué

de 1930 à 1966146, qui conditionne et uniformise « la production hollywoodienne dans le sens

souhaité par les lobbies conservateurs. »147 Will Hays est remplacé en 1945 par Eric Johnston. Élu

quatre fois président de la Chambre de Commerce des États-Unis, c’est un proche du président Roosevelt. En raison de ses liens avec le pouvoir, la Motion Picture Association of America est dès lors surnommée « le petit Département d’Etat »148. Il crée par la suite la MPEA

(Motion Picture Export Association), une filiale de la MPAA dont le but est de reconquérir les                                                                                                                

ailleurs. En revanche, ils peuvent être loués à d’autres studios : « c’est ainsi qu’à la fin des années cinquante, Jean

Seberg, sous contrat avec la Columbia, mais dont la carrière avait déçu les producteurs (…), est ‘’bradée’’ pour un prix dérisoire à Jean-Luc Godard pour A bout de souffle… » BIDAUD A-M., Hollywood et le rêve américain. Cinéma et idéologie aux États-Unis, op.cit., p.59. Pour une vision critique d’Hollywood et de ses studios, voir CENDRARS

B., Hollywood, la Mecque du cinéma, Éditions Grasset, 1936

143 Également appelée United States v. Paramount Pictures, cette décision de la Cour suprême estime que les

pratiques des studios (qui possèdent leurs propres circuits de distribution, leurs propres chaînes de cinéma et négocient des droits d’exploitation) sont contraires au droit de la concurrence

144 En 1939, Frank Capra – alors président de la Screen Director’s Guild (syndicat qui représente les intérêts

des réalisateurs créée en 1936), « constate que six producteurs contrôlent 90 % des scripts, censurent et montent 90 % des

films à Hollywood. » BIDAUD A-M., Hollywood et le rêve américain. Cinéma et idéologie aux États-Unis, op.cit., p.56

145 Voir BORDAT F., « Le code Hays. L’autocensure du cinéma américain », Vingtième Siècle. Revue d’histoire,

n°15, juillet-septembre 1987, pp.3-16

146 « In 1922, [the studios] realized that, as a new and increasingly scandalous industry, they needed an organization to

represent them in Washington. They formed the Motion Picture Producers and Distributors of America, under the direction of

(…) Will H. Hays, an Indiana Republican and a Presbyterian. (It still represents the studios, under the title Motion Picture Association of America.) It also set up a moral guide, which was intended to ward off both national and local

censorship. The Code was toothless until 1934, when the Legion of Decency – a conservative Catholic organization – claimed that Hollywood, with its racy productions, was polluting the nation’s youth. The organization threatened to get Catholics to boycott any films that it saw as unfit. From that point, a movie couldn’t get widespread distribution unless it received a Production Code seal, which certified that its morals and its politics had withstood scrutiny. Hays appointed as censor-in-chief Joseph I. Breen, a prominent Catholic layman and contributor to Catholic journals. He was also an anti-Semite. Two years before he was appointed, (…) Breen wrote to a friend that “people whose daily morals would not be tolerated in the

toilet of a pest house hold the good jobs out here and wax fat on it. Ninety-five percent of these folks are Jews of an Eastern European lineage. They are, probably, the scum of the scum of the earth.” » DOHERTY T., Hollywood and Hitler, 1933-1939, Columbia University Press, 2015. Voir également ALFORD M., Screening

Our Screens: Propaganda and the Entertainment Industry, University of Bath, 2013

147 DUBOIS R., Une Histoire politique du cinéma : Etats-Unis, Europe, URSS, Éditions Sulliver, 2007, p.39 148 FRASER M., Weapons of Mass Distraction: Soft Power and American Empire, op.cit., p.55

marchés européens qui déclinent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale149 : en

étendant ainsi ses activités, elle met en place une véritable « politique étrangère ».150 D’ailleurs,

dans un discours de 1957, Eric Johnston confesse que les films hollywoodiens réussissent à « vendre les concepts de [la] démocratie [américaine] ».151

Jack Valenti, conseiller spécial du président Lyndon Johnson, est nommé directeur de la MPAA en 1966, en charge de défendre l’exportation des films hollywoodiens tout en protégeant le marché américain152. De par sa proximité avec le pouvoir, les sujets qui

concernent Hollywood deviennent in fine des sujets américains. De fait, les présidents américains successifs comprennent leur intérêt à défendre la politique menée par l’organisation : quelle soit démocrate ou républicaine, la Maison Blanche soutient la MPAA. D’ailleurs, la MPAA a toujours été invitée à participer aux voyages des présidents à l’étranger153:

« American corporate and advertising executives, as well as the heads of Hollywood studios, were selling not only their products but also America’s culture and values, the secrets of its success, to the rest of the world. »154

Cette production sous contrôle est renforcée par la présence d’agences gouvernementales dans la capitale de l’industrie cinématographique.

                                                                                                               

149 « À la fin des années 1950, les marchés européens sont largement reconquis par les majors. En 1951, les films

hollywoodiens représentent 50 % des parts de marché cinématographique en France, 40 % en Allemagne, 40 % en Espagne et 65 % en Italie. Bien que la MPEA ait mené à bien sa mission, elle n’est pas dissoute, contrairement à ce qui était initialement prévu. » MINGANT N., « La Motion Picture Export Association de Jack Valenti (1966-2004),

corps diplomatique des majors hollywoodiennes à l’étranger », Revue française d’études américaines, 3/2009, n°121, pp.102-114

150 Expression du professeur Thomas Guback. Ibid.

151 Cité dans BIDAUD A.-M., Hollywood et le rêve américain. Cinéma et idéologie aux États-Unis, op.cit., p.162 152 Notamment grâce aux « Trades Acts » qui permettent de porter plainte « pour obstacle au commerce », auprès

des représentants américains pour le commerce extérieur, contre tout pays qui ne respecte pas les lois de protection des droits d’auteur. Ibid.

153 « [Jack Valenti est ainsi présent] au sein de délégations américaines à l’étranger, comme en Chine en 1979 ou en

URSS en 1988 (…). En 1971, c’est après que Valenti a fait part à des représentants du gouvernement de la question du rapatriement vers les États-Unis des recettes perçues à l’étranger (…) que le gouvernement décide d’inclure les majors parmi les entreprises pouvant bénéficier de prêts de la part de la Banque des exportations et importations ». MINGANT N., « La

Motion Picture Export Association de Jack Valenti (1966-2004), corps diplomatique des majors hollywoodiennes à l’étranger », op.cit.

154 PELLS R., Not Like Us: How Europeans Have Loved, Hated, And Transformed American Culture Since World War

II, Basic Books, 1998, p.13. Voir également LEE K., « ‘’The Little State Department’’: Hollywood and the

MPAA’s Influence on U.S. Trade Relations », Northwestern Journal of International Law & Business, vol.28, n°2, Winter 2008, pp.371-397

Ainsi, le FBI ouvre ses bureaux à Los Angeles dès les années 1930 et le Département de la Défense fait de même en 1947. Fondée la même année, la CIA est la dernière agence à « établir des relations formelles avec l’industrie cinématographique »155 en ouvrant

son bureau de liaison en 1996 avec à sa tête Chase Brandon.156 Et, à l’instar du

Département de la Défense, du FBI et du Pentagone, elle s’investit dans les films en préparation. Si la CIA a été la dernière agence gouvernementale a posséder des locaux à Los Angeles, elle exerce son pouvoir dès les années 1950, en travaillant avec des personnalités patriotiques et anti-communistes, telles que John Ford, John Wayne, et les producteurs Cecil B. DeMille, Darryl Zanuck et Luigi Luraschi. Ce dernier étant responsable de la censure chez Paramount, il est chargé d’effacer les images qui peuvent offenser ou déplaire.157

Dans ce contexte de monopole des studios, de l’assise de la MPAA sur Washington et Hollywood, et la présence d’officiels du gouvernement à Los Angeles, l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale va être le théâtre d’une véritable coopération entre la côte Est et la côte Ouest.

Section II. « As the United States went to war, so did Hollywood »

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