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Le monde comme objet insaisissable Les stigmates du 11 Septembre et la question du Moyen-Orient

Au moment où Washington et le Pentagone voient le monde de façon binaire, Hollywood propose autre chose. Au lieu de produire des films manichéens (comme cela avait pu être le cas dans le passé), il pondère ses propos, essaie d’être subtil ; il ne tranche plus et laisse des questions ouvertes. Dans le même temps, l’industrie cinématographique prend en compte ou reflète cette tendance d’un retour violent à la réalité. C’est dans cette atmosphère pessimiste que plusieurs films voient le jour et sont – dans une certaine mesure – le miroir d’une Amérique en mal de ses certitudes passées, notamment sur l’exportation                                                                                                                

654 « [Il y a] une tension importante entre la tendance traditionnelle de Hollywood à ‘’faire bloc’’ avec Washington et à

soutenir l’idéologie dominante en période de crise, et une tendance à prendre ses distances par un refus du discours simpliste sur l’événement. » VALANTIN J-M., Hollywood, le Pentagone et le monde, op.cit., pp.129-130

655 Voir « Opinion Leaders Turn Cautious, Public Looks Homeward », Pew Research Center for the People

and the Press, 17 novembre 2005

de la démocratie et des valeurs.657 Une Amérique pleine de désillusions et de colère qui

s’exprime sur grand écran : « Hollywood, comme le pays, a dessaoulé depuis les années 1990 », explique une productrice d’Universal.658 En outre, aux États-Unis, « le réveil militant passe par

Hollywood, où les stars jouent le rôle tenu en Europe par les intellectuels ». En effet, « Il est plus facile d’attirer l’attention si vous êtes movie star (…) que si vous êtes Philip Roth. »659

D’un autre côté, il faut souligner que ces films produits aux États-Unis sont pour la plupart réalisés par des cinéastes étrangers, ce qui offre un autre regard sur le monde.

« Just as America’s image has fallen in world opinion, audience trends for American blockbusters are beginning to show a decline as well, both at home and abroad. (…) This suggests that we may be seeing the beginning of the end of the world’s century-long honeymoon with Hollywood. »660

En d’autres termes, si Hollywood est le « meneur de jeu », les réalisateurs indépendants sont les commentateurs de terrain.661 L’industrie a rapidement compris que

l’Autre ou le « méchant » au cinéma ne devait pas être incarné par un Arabe : après la chute de l’URSS, les Russes jouaient souvent le rôle de l’ennemi662, mais après le 11 Septembre,

« la persistance de rôles d’étrangers stéréotypés est un obstacle majeur »663 pour le marché mondial.664

Désormais, on ne peut plus diaboliser aucun pays, à part peut-être la Corée du Nord qui n’est pas un marché important comme l’expliquait le New York Times en 2004.665

                                                                                                               

657 « American films tend to be much more comfortable critiquing U.S. policy than they are telling stories from non-American

perspectives. » KEATING J., « Hollywood’s Iraq War », Foreign Policy, 21 mars 2013

658 HALBFINGER David M., « Hollywood Has a New Hot Agency », op.cit.

659 Comme l’explique le journaliste et auteur Peter Biskind « On n’a pas ce type de tradition politico-littéraire

européenne. Nous avons une culture de la célébrité basée sur l’image. (…) Les gens de Hollywood savent mobiliser les médias et, comme ils sont politiques, ils les utilisent. La droite a toujours cherché à diaboliser les stars (…) Cela a commencé avec la visite de Jane Fonda à Hanoi pendant la guerre du Vietnam qui a provoqué des réactions très violentes. Ensuite, pendant longtemps, les stars ont choisi de se taire. » LÉVY-WILLARD A., « En colère contre Bush, Hollywood s’engage

dans des films politiques », Libération, 11 février 2006

660 GARDELS N. & MEDAVOY M., « Hollywood rides off into the setting sun », The New York Times, 23

février 2007. Dans le même article, une phrase du réalisateur Khan Lee résume ce tournant dans la production de films : « Hollywood is a dinosaur that has destroyed and occupied our minds for too long. The world is full

of new stories waiting to be told, and new audiences waiting to hear them, even if we use Hollywood’s template to do so. »

661 THOMSON D., « Hollywood Zooms In On a Post-9/11 World », The Washington Post, 10 décembre 2005.

Traduit par l’auteure

662 Comme il a été vu dans la Première Partie

663 MINGANT N., Hollywood à la conquête du monde : Marchés, stratégies, influences, CNRS Éditions, 2010, p.247 664 Il faut néanmoins nuancer cette idée en soulignant le nombre de personnages Français qui incarnent les

méchants, notamment le rôle de Lambert Wilson dans The Matrix Reloaded de Larry et Harry Wachowski (2003). Plus largement, il faut se référer au ressentiment antifrançais (ou « French bashing ») qui sévit aux États-Unis après le refus de la France de s’engager en Irak

Cette approche hollywoodienne du Moyen-Orient et de ses conflits multiples se retrouve dans Syriana de Stephen Gaghan (2005). L’intrigue, multiple et complexe, commence avec l’histoire d’un agent de la CIA basé au Moyen-Orient. Dans le même temps, dans une exploitation pétrolière du Golfe, le Prince Nasir souhaite mettre fin au monopole américain. Héritier potentiel du trône, il vient de céder les droits d’exploitations de gaz à une compagnie chinoise, ce qui est une lourde perte pour l’entreprise américaine Connex et les intérêts du pays dans la région. Au même moment, Killen, un petit exploitant local d’une compagnie texane, obtient les droits d’exploitation de champs de pétrole très convoités au Kazakhstan. Ce droit lui vaut les faveurs de la Connex, qui doit désormais avoir main basse sur de nouveaux sites si elle veut maintenir son niveau de production. Alors que les deux compagnies fusionnent, cet accord éveille les soupçons du ministère de la Justice. Un magistrat de Washington est alors envoyé sur place pour faire valoir les intérêts américains. Dans un second temps, un expert en énergie qui vit à Genève est envoyé par son patron à une soirée organisée par l’Emir (le père du Prince Nasir) pour lui offrir ses services. Ce dernier deviendra le conseiller économique du Prince, décidé à moderniser son pays et à le libérer de la répression exercée par son père et soutenue par les États-Unis. Son frère, qui n’est pas favorable à la modernisation du pays et dont leur père a fait de lui son héritier, monte sur le trône à sa place. Peu de temps après, le Prince Nasir est tué par la CIA.

C’est peu de temps après le 11 Septembre que le réalisateur décide de s’intéresser au Moyen-Orient ; comme il l’explique, « les années 1990 ont été heureuses et confortables, on n’était pas en danger, on était même un peu engourdi. »666 Et même s’il n’est mentionné qu’une fois dans

le film, « le 11 septembre est partout. »667

Après avoir passé deux ans à faire des recherches, Stephen Gaghan a écrit un scénario plus fin et subtil que d’autres réalisateurs. Le fait d’avoir voyagé au Liban, en Syrie et à Dubaï l’a très certainement aidé à voir la réalité des choses de façon moins manichéenne. Dans Syriana, la complexité de la relation entre l’Occident et le Moyen-Orient est la toile de fond de l’histoire où, compagnies pétrolières, terroristes et CIA ont la même ambition : le pouvoir. Dans ce sens, il mène une réflexion sur un monde graveleux668, dans

lequel les protagonistes ne sont pas des « bons » ou des « méchants » ; loin de présenter un tableau lisse et simpliste, Gaghan laisse les questions ouvertes. Critique vis-à-vis de                                                                                                                

666 Cité dans HALBFINGER DAVID M., « Hollywood Has a New Hot Agency », op.cit. 667 THOMSON D., « Hollywood Zooms In On a Post-9/11 World », op.cit.

668 « Big business, the CIA, suicide bombers, the US government – it’s a piece of feverish post-9/11 angst (…). » SEGAL

l’Amérique et de son ethnocentrisme, il est en rupture avec la politique menée par Washington.669 Ainsi, si le film critique « une politique (locale) et une hypocrisie (mondiale) »670, il

s’agit également d’une hypocrisie locale, notamment au début du film lorsqu’une jeune iranienne remet son voile en sortant d’une discothèque où elle était peu vêtue et portait des talons hauts. De la même façon, lorsque l’agent de la CIA demande à son interlocuteur musulman quand va avoir lieu « le deal », celui-ci lui répond « après la prière ».

Le titre a également son importance. Selon le site officiel du film, « Syriana » était le nom donné par les États-Unis pour décrire un éventuel remodelage du Moyen-Orient. Son réalisateur y voit surtout un qualificatif qui décrit parfaitement le désir des Hommes de « remanier » des zones géographiques selon leurs besoins.671 Il fait l’inventaire du monde

post-11 Septembre. Filmant les différents acteurs du jeu international – terroristes, groupes pétroliers, hommes politiques, services secrets –, il ne schématise jamais, mais nuance à outrance. Le découpage de l’intrigue et le morcellement du monde lui permettent de ne pas tomber dans un schéma préétabli. Le sujet du film et son intérêt sont là : il n’y a pas « d’axe du Mal mais une série d’accords provisoires entre blocs antagonistes. »672

« [Mais, comme dans Munich de Spielberg, si] on voit (…) s’esquisser une critique du système, (…) celle-ci est largement inopérante dans la mesure où il n’y a pas d’alternative à l’idéologie dominante. »673

En effet, l’alternative que représente le Prince Nasir est empêchée par la CIA, qui l’assassine quand ce dernier a l’intention de démocratiser son pays et de le « libérer » de l’influence américaine.

« (…) the CIA has publicly criticized Syriana (…) in interviews, lectures, and even scholarly publications. (…) And it is easy to see why the CIA engaged in such actions. Syriana violates almost every criteria                                                                                                                

669 « (…) I find the war on terror to be [a] war with an abstraction at the heart of its semantics. And I don’t think that our

democracy exportation project is working very well. If anybody had been with me in Damascus and the Syrian desert in ‘02 speaking to the Iraqis that I met, they wouldn’t have been very optimistic about the democracy exportation project either. I think the war on terror has succeeded in creating more terror, more terrorists, a less safe America and a less safe world. »

Stephen Gaghan’s discussion with The Washington Post, 15 novembre 2005

670 Propos de Pierre Murat dans Télérama

671 Stephen Gaghan’s discussion with The Washington Post, op.cit.

672 GARSON C., « Tempête à Washington et Dubaï », Les Cahiers du Cinéma, n°609, février 2006 ; « Syriana

juxtapose des personnages et des perceptions divers. (…) [Tous] ont leurs points de vue, et ils sont tous ‘’valides’’. (…) »

Propos du réalisateur. Cité dans HALBFINGER David M., « Hollywood Has a New Hot Agency », op.cit.

673 DERFOUFI M., GENUITE J-M. & GÜREL C., « Superman et le 11-Septembre », Le Monde diplomatique,

the CIA requires of scripts before it will offer assistance: it depicts the CIA in a negative light (…). [It] is also depicted as failing to understand the seriousness and complexity of the Middle East and the geopolitics of oil. »674

De la même façon, Ridley Scott s’intéresse à la complexité des rapports entre l’Amérique et le Moyen-Orient et fait au passage une critique de la CIA.

Dans Mensonges d’État (2008), Roger Ferris est un agent en mission en Irak. Sous les ordres de Ed Hoffman, reclus dans sa maison cossue ou dans les bureaux de la CIA, ils recherchent le chef d’un réseau terroriste responsable d’attentats à Manchester et à Amsterdam. Envoyé ensuite en Jordanie pour poursuivre sa traque, Ferris doit infiltrer son réseau, soutenu par le chef des renseignements jordaniens. Le chef terroriste recherché se nomme Al-Saleem. Il est né en Syrie dans une « famille bourgeoise et aimante » qui a été tuée par Hafez el-Assad ; par la suite, il s’est réfugié en Arabie Saoudite où il a fait des études d’ingénieur et de physique, puis a suivi un 3e cycle universitaire en Caroline du Nord. Il se

décrit comme humble et désintéressé mais selon Ed Hoffman, « son égo est plus puissant que sa foi. » N’arrivant à rien en Jordanie, Ferris décide de « tromper » Al-Saleem en faisant croire qu’une organisation plus puissante les intéresse plus, pour que ce dernier rentre en contact avec elle (c’est-à-dire avec la CIA). Un architecte jordanien est désigné pour être le cerveau de l’organisation, sans qu’il ne le sache. L’attentat perpétré par les faux terroristes a lieu sur la base américaine d’Incirlik en Turquie – « utilisée depuis le 11 Septembre, comme base avancée pour les guerres en Afghanistan et en Irak ». L’architecte est enlevé par le groupe d’Al-Saleem « pour le féliciter » ; ce dernier nie toute implication et parle d’un Américain qui est venu le voir (Roger Ferris), qui est enlevé à son tour. Il est laissé seul dans le désert, simplement suivi par un drone américain. Lorsque le convoi de quatre voitures apparaît, il fait des tours                                                                                                                

674 JENKINS T., The CIA in Hollywood: How the Agency Shapes Film and Television, University of Texas Press,

2012, pp.122-123. Il est dès lors surprenant de constater que le réalisateur avait contacté un ancien agent de terrain, Robert Baer, afin de rendre son film plausible.

À l’inverse, un film comme La Guerre selon Charlie Wilson de Mike Nichols (2007) est quelque peu à part, en premier lieu parce qu’il s’agit d’une comédie. Au début des années 1980, alors que les Afghans se défendent avec peu de moyens contre les Soviétiques, un député texan décide de leur venir en aide. Le budget « anti- communiste » de la CIA passe ainsi de 5 millions à 500 millions de dollars. Les Soviétiques sont décrits comme des brutes, alors que les Afghans sont représentés comme des victimes. Avec un ton parfois drôle, le film veut néanmoins mener une réflexion sur le rôle des États-Unis dans la défaite de l’Union soviétique ainsi que sur la victoire de l’Afghanistan. De fait, le film insiste sur l’« obsession » soviétique de cette époque ; les membres du Congrès et la CIA – décidés à se débarrasser de l’ennemi – n’auraient pas suffisamment évalué le risque à armer les Talibans. En revanche, certains commentateurs comme Paul Barry (un membre de la CIA en lien avec Hollywood) ont décrit le film comme un « portrait positif de l’accomplissement de la CIA ». ALFORD M., Reel Power: Hollywood Cinema and American Supremacy, op.cit., p.70

autour de lui et l’embarque : le sable bloquant toute visibilité, les agents n’ont aucun moyen de savoir dans quelle voiture il est monté. Détenu et torturé, il est finalement sauvé par les services jordaniens. Al-Saleem est arrêté et Ferris cesse de travailler pour la CIA.

Un des premiers éléments qui apparaît est le contraste, voire la dichotomie entre ceux qui opèrent depuis les bureaux de Langley (quartier général de la CIA en Virginie) et l’agent qui est sur le terrain ; Ed Hoffman est toujours en train de s’occuper de ses enfants ou de manger quand il est au téléphone avec Ferris, alors que ce dernier ne parvient pas à mener les opérations qu’il veut. De fait, il est constamment frustré, voire « castré » par ceux qui l’entoure : son patron qui gère ça de loin, par ses sources ou collègues qui ne sont pas fiables, ou lorsqu’il ne parvient pas à séduire une jeune infirmière. Bien que compétant, l’agent est sans cesse interdit par ses supérieurs. Si Roger Ferris est un très bon agent de terrain et arabophone, ses idées et ses actions sont perpétuellement perturbées ou empêchées par Hoffman. Grand consommateur de nouvelles technologies, et machiavélique, « Ed Hoffman fait tout rater à force de suffisance, de foi dans les méthodes les plus brutales. »675

Si Ridley Scott avait déjà abordé le(s) conflit(s) entre l’Occident (chrétien) et l’Orient676, il transpose ces thèmes dans le contexte actuel, c’est-à-dire avec les nouvelles

technologies comme arme contre le terrorisme. Or, le refus de la technologie par les djihadistes empêche les autorités d’agir. Communicant exclusivement « face à face », ils déjouent ainsi les meilleurs systèmes modernes. Ce qui est ainsi abordé est le caractère inutile – et vain – de la technologie de pointe, censée traquer les terroristes.677 Ces derniers

ont en effet compris depuis longtemps que leur force (voire leur supériorité dans cette guerre) réside aussi dans le fait qu’ils ne sont pas « traçables ». Tout comme le fait que les satellites suivent les agents de la CIA sur le terrain, l’utilisation des drones au cinéma est une nouveauté ; en ce sens, la surreprésentation de la technologie américaine ne cesse d’échouer face à des terroristes qui n’utilisent rien de tout cela. Par conséquent, Ferris et Hoffman – et donc la CIA – sont dépendants de l’aide des renseignements jordaniens. L’analyse de Ridley Scott peut donc se résumer comme telle : « seuls les Orientaux peuvent

                                                                                                               

675 SOTINEL T., « ‘’Mensonges d’État’’ : l’espion aux mains sales », Le Monde, 4 novembre 2008

676 Kingdom of Heaven (2005) raconte l’histoire de Balian, un forgeron, qui est « reconnu Godefroy d’Ibelin comme

son fils et part avec lui pour Jérusalem. Avant de périr dans une embuscade, Godefroy a le temps d’adouber Balian. (…) Balian se retrouve gouverneur de Jérusalem, qu’il doit abandonner en échange de la liberté de tous les croisés. Du Ridley Scott, moins épique que Gladiator (2000), mais (…) plus politique (…), avec d’évidentes allusions à l’Irak. » TULARD J., Le Nouveau guide des films. Tome 4, Robert Laffont, 2010, pp.292-293

677 « (…) the C.I.A. has all the technical advantages but not enough of the human intelligence to combat Mideast terrorism. » DENBY

régler les problèmes de l’Orient. »678 Quoique rapide, cette analyse est néanmoins novatrice dans

le cinéma américain.

La trilogie des Jason Bourne reprend à peu près les thématiques. Le premier volet sort en 2002 avec La Mémoire dans la peau (The Bourne Identity) de Doug Liman, suivi par La Mort dans la peau (The Bourne Supremacy) en 2004 et de La Vengeance dans la peau (The Bourne Ultimatum) en 2007, tous deux réalisés par Paul Greengrass. De fait, la trilogie s’étend sur les deux mandats de George W. Bush : en 2002, dans l’immédiat post-11 Septembre, en 2004, au moment de la guerre en Irak, et en 2007 à la fin de sa présidence.

Dans le premier volet, un jeune homme est retrouvé par des pêcheurs en Méditerranée, atteint de deux balles dans le dos. Amnésique, le seul indice qu’il possède est une capsule implantée dans sa hanche qui contient le numéro d’un compte en banque à Zurich. Peu à peu, il apprend qu’il est un ancien tueur d’un département de la CIA, baptisé « Opération Treadstone ». Sa dernière mission l’avait mené en France où il devait tuer un ancien dirigeant africain qui menaçait de faire des révélations sur l’Agence si elle ne le remettait pas au pouvoir. En réalité, « Treadstone » (qui était une opération clandestine) permettait à la CIA de se débarrasser discrètement des ennemis de l’Amérique, sans « passer par la paperasse de Washington », selon un de ses dirigeants. Cette thématique de la « réponse américaine » à une menace ou à un ennemi s’inscrit donc dans l’atmosphère post-11 Septembre.

Les thèmes majeurs de la trilogie sont ceux du traumatisme et de la responsabilité. Jason Bourne est présenté comme un héros abîmé. D’ailleurs, il n’est pas vraiment un héros, ni même un anti-héros, il est un « héros malgré lui » : « l’antithèse du [héros] masculinisé de la série des James Bond. »679 La trilogie change radicalement la façon dont sont abordés

l’action et le film d’espionnage : désormais, le héros est tourmenté, et ici son amnésie est « le signe d’un recommencement du genre à zéro. »680

De plus, la CIA est dépeinte comme un organisme froid et sans humanité, dont la seule ambition est de parvenir à ses fins, « qui ne sont soumi[es] à aucun contre-pouvoir réel. »681

Le film dénonce ainsi l’appareil sécuritaire américain, transformé depuis longtemps en

                                                                                                               

678 Ibid.

679 ALFORD M., Reel Power: Hollywood Cinema and American Supremacy, op.cit., p.103