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Problématiques et structure de la thèse

Au début du film La Chinoise (Jean-Luc Godard, 1967), une phrase peinte sur le mur de l’appartement que partagent les adolescents révolutionnaires apparaît : « Il faut confronter les idées vagues avec des images claires ». Ainsi, dans un premier temps notre idée du cinéma après les attentats était claire.

La capacité et la rapidité avec laquelle le cinéma américain s’empare d’un fait pour le mettre en images étant une constante, nous avons souhaité savoir si le 11 Septembre avait provoqué un changement comme cela avait pu être le cas après la guerre du Vietnam. Aussi, estimions-nous une appropriation du 11 Septembre comme indéniable, tout en intégrant le fait que ces attentats n’avaient pas d’équivalent.

Une seconde idée est venue perturber notre analyse de départ après avoir analysé l’ensemble du corpus de films. En effet, nous estimons qu’il y a eu un « cinéma américain post-11 Septembre », mais que la période post attentats a été comme une parenthèse – l’industrie cinématographique reprenant les codes historiques d’Hollywood. Néanmoins, nous ne pouvons sous-estimer l’influence du 11 Septembre 2001 : qu’il s’agisse de l’événement lui-même ou en « filigrane », comme un sentiment en arrière-plan, l’ombre des attentats est présente. En effet, un film n’étant jamais le produit d’un calendrier                                                                                                                

68 Quelques mois avant la sortie de White House Down, un autre film racontait l’histoire d’un commando nord-

coréen qui attaquait la Maison-Blanche : La Chute de la Maison-Blanche (Olympus Has Fallen) d’Antoine Fuqua (2013)

69 L’expression « The Obama effect » désigne également les films qui abordent la question raciale, comme La

Couleur des sentiments (The Help) de Tate Taylor (2011), Selma (Ava DuVernay, 2014) ou 12 Years a Slave (Steve

McQueen, 2013). Voir GARRETT IZZO D. (dir.), Movies in the Age of Obama: The Era of Post-Racial and Neo-

Racist Cinema, Rowman & Littlefield Publishers, 2014. De plus, notons « qu’a quelques semaines d’écart sortent deux films [Django Unchained et Lincoln], signés de deux des cinéastes hollywoodiens les plus cotés, directement travaillés par la grande tragédie fondatrice des Etats Unis, celle que les Blancs identifient comme la guerre de Sécession, et ce l’année même

(…) d’une élection présidentielle qui aura vu un président noir affronter l’opposition la plus raciste et réactionnaire qui ait

trouvé à s’exprimer dans ce pays depuis des lustres. » FRODON J-M., « ‘’Django Unchained’’ et ‘’Lincoln’’, il était

hasardeux70, il se réalise à partir d’un sentiment (national, social, sociétal), après un

événement majeur.

En définitive, peut-être que le cinéma n’a pas fondamentalement changé après le 11 Septembre mais que nous le regardons et appréhendons le monde avec un prisme différent.71

Quelques mots sur la forme de cette recherche, qui se conçoit davantage comme un essai sur l’histoire récente, un contre-éclairage de la société américaine, que comme une étude systématique – qui d’ailleurs semble difficile à appliquer à un tel sujet. Nous avons donc évité le trop grand nombre de chapitres, de subdivisions, de propos introductifs ou de conclusions, pour que l’argumentation et la forme du texte demeurent fluides. De plus, une thèse étant a fortiori une démonstration, surtout lorsque l’on travaille sur des œuvres qui sont déjà un point de vue, une certaine liberté de plume a été privilégiée. Enfin, puisqu’il s’agit des perceptions de plusieurs cinéastes sur leur temps, cette thèse tente une proposition d’interprétation. En effet, « l’analyse [de surcroît filmique] ne saurait (…) être totalitaire. »72 À la

lecture d’ouvrages et d’articles, l’analyse de films a été l’« autre » source de notre réflexion. En effet, au lieu de formuler une idée générale à partir d’écrits, nous avons privilégié l’analyse filmique comme point de départ de notre appréhension du sujet. Afin de vérifier les hypothèses émises ici, nous avons privilégié une démonstration en quatre parties.

Dans la première, historique, nous avons choisis d’aborder le cinéma au prisme de la politique nationale et internationale. Se voulant comme un récit, elle retrace les étapes importantes de l’industrie cinématographique, des années 1920 à 2001, ce qui permet de mettre en place les fondamentaux de la relation entre Washington et Hollywood, entre une administration et la projection de la Nation.73

Dans la seconde, nous nous sommes attachés à rendre compte des attentats du 11 Septembre du point de vue de l’image. Considérant qu’ils représentent une triple rupture                                                                                                                

70 « (…) un film ne peut pas être compris quand on oblitère son contexte de production et son contexte de réception, quand on

omet de comprendre comment notre compréhension est elle-même déterminée par une situation ou par un discours dominant. »

ESQUENAZI J-P., « Le film, un fait social », Réseaux, vol.18, n°99, 2000, p.34

71 « The defining moment for 21st century US cinema remains (…) the attacks of September 11, 2001 (…). Not since the height 1950s Cold War hysteria has the United Stated lived in such an atmosphere of fear (…). Just as Pearl Harbor shaped the cinema of the 1940s, so September 11 will serve as the template for the new 21st century conflict ». DIXON Wheeler

W., Visions of the Apocalypse: Spectacles of Destruction in American Cinema, Wallflower, 2003, p.59

72 FERRO M., « Le film, une contre-analyse de la société », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, n°1, 1973,

p.124

73 « Travailler sur la production hollywoodienne, c’est s’intéresser à une construction de la réalité élaborée à partir d’impératifs

cumulés et de postulats renvoyant à un modèle idéologique (…). » BIDAUD A-M., Hollywood et le rêve américain. Cinéma et idéologie aux États-Unis, op.cit., p.13

dans l’histoire des États-Unis – politique, symbolique et cinématographique – les événements dépassent tous les scénarii de fins du monde imaginées par le 7e Art. Puis, nous

avons abordé l’arrêt ou le report de certaines productions, jugées déplacées après un tel événement. Enfin, nous avons analysé les films traitant de l’événement, ceux qui mettent en scène le 11 Septembre et ceux qui l’ont abordé de façon détournée.

Dans la troisième, nous avons traité les moyens employés par l’administration Bush afin de provoquer un « mouvement massif de la part d’Hollywood dans le but de réagir au 11 septembre »74 et de préparer l’opinion publique à l’idée d’une guerre contre l’Irak. Ce qui nous

a ensuite amenés à nous intéresser à la contestation au sein de l’industrie cinématographique. Prenant ouvertement position contre cette intervention, Hollywood réalise des films sur la guerre, ses à-côtés et ses conséquences, donnant à voir une division, du moins en apparence, entre Washington et Los Angeles.

Dans la quatrième, l’élection de Barack Obama a été le point de départ de notre analyse des films de science-fiction, apocalyptiques et de super-héros, qui reflètent la mentalité du pays. Nous nous sommes ensuite intéresser à la (re)projection de la puissance dans des films qui, selon nous, dépassent le traumatisme des attentats et le sentiment de vulnérabilité ressenti par les Américains, et proposent une vision des États-Unis, du monde et de leur rôle, que nous pouvions voir avant le 11 septembre 2001.