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Deux films à gros budget dévient des thématiques généralement abordées. Avec Lord of War et Blood Diamond, Hollywood change de continent. Peut-être à cause d’un manque de lien historique (à l’inverse des pays Européens), les producteurs et scénaristes avaient parlé de l’Asie, de l’URSS ou encore de l’Amérique latine, mais rarement l’Afrique                                                                                                                

694 VALANTIN J-M., Hollywood, le Pentagone et le monde : Les trois acteurs de la stratégie mondiale, op.cit., p.211 695 NASHASHIBI S., « One good Arab », The Guardian, 29 octobre 2007

696 HUGHEY M. à propos de son ouvrage, The White Savior Film: Content, Critics, and Consumption, Temple

n’avait été traitée. Entre trafics d’armes, guerres à répétition et exploitation des enfants, elle semble être une source d’inspiration (ou le nouveau terrain de jeu) d’Hollywood.

Dans Lord of War d’Andrew Niccol (2005), le héros donne le ton du film avant même le générique. Devant un parterre de balles, il déclare en souriant : « Il y a plus de 550 millions d’armes à feu en circulation dans le monde. Un homme sur douze est armé sur cette planète. La seule question, c’est… Comment armer les onze autres ? » Le générique – très esthétique – a lui aussi le mérite d’amorcer un film original, hors des sentiers battus hollywoodiens : le parcours d’une balle de la chaîne de fabrication jusqu’à la tête d’un enfant africain.

L’histoire est celle de Yuri Orlov, fils d’immigrés ukrainiens vivant dans le quartier de Little Odessa à Brooklyn. Un jour, après avoir assisté à la tentative d’assassinat d’un membre de la mafia russe, il décide de se lancer dans le trafic d’armes avec son frère. Lors de la Guerre du Liban de 1982, son trafic prend une ampleur considérable. Au moment de la chute de l’URSS, il se rend dans son pays natal ; son oncle Dimitri, un militaire, lui revend tout un arsenal de guerre laissé par les Soviétiques. Dès lors, il s’impose comme l’un des plus puissants trafiquants du monde. Devenu une cible de choix pour Interpol, il est constamment suivi par l’agent Jack Valentine. Dans les années 1990, il déplace ses activités : « Le principal marché, c’était l’Afrique. 11 conflits majeurs impliquant 32 pays, en moins d’une décennie. Un rêve, pour un trafiquant. À l’époque, les Occidentaux n’en avaient cure. Des blancs s’affrontaient en Ex-Yougoslavie. Je faisais mon plus gros chiffre au Liberia, ‘’pays de la liberté’’. Ancienne terre d’accueil des esclaves américains affranchis, asservie depuis par ses dictateurs successifs. Le dernier, éduqué aux États-Unis, était le président autoproclamé André Baptiste. »

En 2000, alors qu’il survole le Sierra Leone avec une importante cargaison d’armes, un avion d’Interpol le force à atterrir. Yuri tente de s’en sortir en appelant une personne haut placée ; si celle-ci reste anonyme, nous pouvons voir à ses médailles qu’il s’agit d’un haut gradé de l’armée américaine. Atterrissant sur une piste désertique, il décide de se débarrasser de son stock d’armes en le distribuant à la population qui afflue. Lorsque Jack Valentine arrive enfin sur les lieux, Orlov l’attend sagement, ironique. L’agent, dépité par son comportement lui lance : « Votre AK-47 est la vraie arme de destruction massive ». Allusion explicite à George W. Bush et à son administration (le film sort en 2005), alors même que l’histoire se passe avant le 11 Septembre. De la même manière, quand le président André Baptiste est accusé de fraudes électorales, il ne peut s’empêcher d’ironiser : « Avec l’histoire

de la Cour suprême [en référence à l’élection controversée de Bush contre Al Gore en 2000], les USA vont devoir fermer leurs gueules. »

Yuri Orlov n’a aucun scrupule à vendre des armes aux dictateurs et à armer des enfants. Comme il le répète, « ce ne sont pas mes guerres ». Il a beau assister à des scènes d’exécutions ou de massacre, il ne prend jamais parti ; il a vendu des armes israéliennes à des Musulmans, des armes fascistes à des communistes, mais n’en a jamais vendu à Ben Laden : « Pas pour des raisons morales, mais parce qu’à l’époque, il ne faisait que des chèques en bois. » Yuri Orlov n’est pas immoral. Il est amoral : étranger aux principes de la morale, il se place en-dehors d’elle. À la fin du film, il se fait arrêter par l’agent d’Interpol Jack Valentine. Malgré les preuves accumulées contre lui, il lui explique pourquoi il va être relâché :

« Je vais vous dire ce qu’il va se passer. (…) On va frapper à la porte, vous serez appelé dehors. Dans le hall, il y aura un de vos supérieurs. Il vous félicitera pour votre excellent travail qui rend le monde plus sûr. (…) Puis il vous dira qu’il faut me relâcher. Vous allez protester, menacer de démissionner. Mais à la fin, je serai relâché. Pour les raisons mêmes qui justifieraient, selon vous, mon inculpation. Je fréquente effectivement les pires sadiques qui s’autoproclament dirigeants. Mais certains d’entre eux sont les ennemis de vos ennemis. Et comme le plus gros marchand d’armes est votre patron, le Président des États-Unis, qui fournit plus de matériel en un jour que moi en un an, il serait (…) gênant qu’on trouve ses empreintes sur les armes. Parfois, il a besoin d’un franc-tireur comme moi pour approvisionner des gens avec qui il ne peut pas s’afficher. Donc, pour vous, je suis le Mal. Malheureusement, je suis un mal nécessaire. »

Le film se conclut par cette phrase qui apparaît sur le parterre de balles vu avant le générique de début : « (…) les plus grands marchands d’armes sont les USA, le Royaume-Uni, la France et la Chine… Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. »

Si Nicolas Cage avait refusé de faire le film, il y aurait eu de grandes chances pour que celui-ci ne se fasse pas. Avoir une star comme lui a certainement « incité » les producteurs à le financer. En effet, la réalisation d’un film sur des faits réels, sensibles, avec

un antihéros comme personnage principal a compliqué son financement ; de surcroît, le scénario a été soumis à l’approbation des producteurs une semaine seulement avant le début de la guerre en Irak… Le financement est ainsi majoritairement étranger.697

Ensuite, si le personnage de Yuri Orlov est inspiré de plusieurs trafiquants d’armes, les événements décrits dans le film ont bien eu lieu, comme le confirme le réalisateur Andrew Niccol : « Des hélicoptères militaires ont bien été vendus comme des engins destinés à des interventions de secours, des trafiquants d’armes ont bien changé les noms et paramètres de leurs navires en pleine mer, un célèbre trafiquant d’armes a été libéré des prisons américaines après des pressions mystérieuses, des stocks d’armements militaires soviétiques ont été pillés après la chute de l’URSS. Tout cela est avéré. »698 De même, le personnage d’André Baptiste s’inspire de Charles Taylor,

président du Liberia de 1997 à 2003. En revanche, l’agent d’Interpol qui traque Yuri est complètement fictif puisque l’agence n’emploie pas d’agent de terrain.

Lord of War est un « film géopolitique » cynique avec des relents de rédemption furtifs. Il est comme un exposé, amer, sur le désordre d’un monde compromis, à l’image de Blood Diamond, sorti un an plus tard.

« Qu’un film hollywoodien s’intéresse de près au désastre africain et au cynisme occidental témoigne d’une curiosité et d’une ambition politique assez rares pour être louées. Que Lord Of War ne soit au final qu’un pensum racoleur et ennuyeux dit l’ampleur d’un gâchis (…). »699

L’action de Blood Diamond d’Edward Zwick (2006) se passe en 1999 : une guerre civile ravage le Sierra Leone entre les rebelles du Front Révolutionnaire Uni et le gouvernement pour le contrôle des mines de diamants. Solomon Vandy, un pêcheur, vit avec sa famille ; un matin, il est enlevé par les rebelles et est emmené dans le nord du pays pour travailler dans les mines de Kono. Sa famille a pu s’enfuir, mais son fils a été enlevé par les rebelles et est devenu un enfant soldat.

                                                                                                               

697 « It’s not a low budget film, it is maybe one of the largest truly independent film; in that there is no real American

component financing the film. » Propos de Nicolas Cage, site officiel du film

698 « Military helicopters beign sold as rescue helicopters, arms dealers changing the names and registrations of their ships out

at sea, a well-known arms dealer released from U.S. custody under mysterious circumstances, the facts about the plundering of Soviet military hardware after the collapse of the U.S.S.R., are all true. » Ibid.

699 Critique de NEYRAT C., Les Cahiers du Cinéma, n°608, janvier 2006. Un film racoleur dans le sens où les

« clins d’œil » sont lourds, par exemple lorsque deux libériens discutent du procès d’O.J Simpson et qu’ils se disent horrifiés par ce qu’il se peut se passer aux États-Unis alors que leur pays vit une guerre civile

Un jour, Solomon trouve un diamant rose d’une taille rare qu’il réussit à cacher grâce à l’assaut du camp par l’armée. Emprisonné avec les rebelles à Freetown (la capitale), il rencontre Danny Archer, un blanc né en Rhodésie (actuel Zimbabwe), qui fournit des armes aux rebelles en échange de diamants qu’il revend à un diamantaire londonien. Libérés, Danny Archer propose à Solomon de retrouver sa famille en échange du partage de la vente du diamant. Ils font la rencontre d’une journaliste américaine, dont la carte de presse les aide à circuler dans le pays. Mortellement blessé à Kono, Danny Archer confie le diamant à Solomon. À Londres, il réussit à le vendre au puissant diamantaire Simmons en échange d’une grosse somme d’argent et du rapatriement de sa famille. La journaliste rassemble les preuves du trafic et, suite à ses révélations, Simmons et son associé sont arrêtés. Parallèlement, une conférence du G8 a lieu à Anvers dans le but d’interdire le trafic de diamants et d’empêcher les rebelles d’avoir recours aux enfants soldats. Les représentants des États ont l’air décidés à agir ; d’ailleurs, deux diamantaires ont été conviés afin de représenter la profession : Simmons et son associé.

Les scénarii comme Blood Diamond, Goodbye Bafana (Bille August, 2007) ou Le Dernier Roi d’Écosse (Kevin Macdonald, 2006)700 reposent sur l’intervention d’un homme Blanc

supposé faire le lien entre le spectateur et la situation ou, comme dans Blood Diamond, sauver le pauvre Africain.701 Comme si l’Afrique était « un parc à thèmes » pour Occidentaux702,

elle demeure un objet fantasmé sans plus de profondeur et de complexité, tout comme ses habitants :

« [Blood Diamond] trahit une fascination quasi-touristique avec les images d’Africains noirs, [utilisés] principalement comme un paysage coloré (…). Solomon gagne une part assez considérable de temps à l’écran et bien que sa prestation soit (…) sympathique, le personnage n’a pas la complexité de Danny, ce qui signifie qu’il est en soi moins intéressant. »703

 

                                                                                                               

700 N’étant pas des productions américaines, ces films ne font partie du corpus

701 POOL H., « Africa: Hollywood’s invisible continent », The Guardian, 3 novembre 2011 702 Titre d’un article de Jean-Loup Amselle paru dans la revue Les Temps modernes en 2003

703 DARGIS M., « Diamonds and the Devil, Amid the Anguish of Africa », The New York Times, 8 décembre

De fait, les films qui traitent de l’Afrique, comme Hotel Rwanda (Terry George, 2004) ou The Constant Gardener (Fernando Meirelles, 2005), l’aborde d’abord et surtout pour ses guerres. Représentée comme un bloc, l’Afrique n’est jamais diverse, complexe et riche ; au contraire, les conflits répétés, ses dictateurs et la corruption qui y règne ne sont pas l’objet d’interrogations. Comme le répète Dany dans Blood Diamond : « This Is Africa ».704

Mais si Lord Of War et Blood Diamond parlent de l’Afrique, ils sont également des films sur la mondialisation.

« [Ces films donnent à voir une] réflexion sur l’organisation de l’espace Monde en centre et périphérie, l’orientation et la nature de flux (touristes, capitaux, armes, matières premières), l’inégalité de richesse entre le Nord et le Sud, le rôle des acteurs de la société civile (journalistes et ONG). (…) [En ce sens, le cinéma participe] à la construction du sens commun et finalement à la mise en place d’une image ‘’mondiale’’ de la mondialisation avec ses héros, ses hauts lieux… »705

Dans le même temps, les États-Unis sont en proie à des doutes et à des remises en question. Si Hollywood traite largement des pays étrangers et du rôle de l’Amérique dans le monde, elle se tourne également sur elle-même. Alors que la guerre en Irak est de plus en plus critiquée, la campagne de 2004 entre le président sortant et le démocrate John Kerry ‘’met en lumière’’ d’autres problèmes auxquels le pays fait face. La politique intérieure devient ainsi l’objet de plusieurs films qui, chacun à leur manière, interrogent les mentalités, les opinions.

     

                                                                                                               

704 Las de constater que les livres ou les films sur l’Afrique ne soient que des clichés, l’écrivain kényan

Binyavanga Wainaina a publié un article ironique : « Remember, any work you submit in which people look filthy and

miserable will be referred to as the ‘’real Africa’’, and you want that on your dust jacket. Do not feel queasy about this: you are trying to help them to get aid from the West. (…) Whichever angle you take, be sure to leave the strong impression that without your intervention and your important book, Africa is doomed. » WAINAINA B., « How to Write about

Africa », Granta, n°92, Winter 2005