• Aucun résultat trouvé

PARTIE II. 1 La voix comme moyen de dépasser le naturel (typologie thématique et générique)

CHAPITRE 2. Quand la voix (se) dévoile au moyen d’un art, d’un artifice (artificiel > naturel)

II. Vocalisation de la machine

Dans une dimension opposée, Terminator 2, dans le genre de la science-fiction cette fois, donne à voir un robot (cyborg) qui se rapproche de la vie, ne serait-ce que par son aspect. Celui-ci permet par ailleurs de poursuivre le motif de substitution vocale à travers le téléphone (qui permet l’innocence vis-à-vis de l’identité visuelle de l’interlocuteur et la croyance naïve en la voix) : le cyborg inhumain peut à tout moment mimer à la perfection les intonations et voix humaines. Si le genre semble éloigner de celui du burlesque, ils semblent tous deux faire cas d’un intérêt du fonctionnement de la machine : rendre le corps mécanique pour l’un, troubler par la possibilité de la vie dans la machine pour l’autre, et la voix n’y est pas pour rien. « Dans le cadre de la dichotomie du parlé et du parlant, la voix s’inscrit dans le paradigme oppositionnel de l’humain et de la machine189 », évoque déjà A. Boillat.

Comme Wilbur dans Un Pitre au pensionnat, le Terminator se fait passer pour quelqu’un qu’il n’est pas au téléphone. Le téléphone est bien pratique pour dissimuler

p. 78

l’apparence visuelle : en effet, la tromperie est double puisque l’interlocuteur auquel parle le Terminator avec la voix de John Connor est en fait le méchant T-1000 qui a pris l’apparence de Janelle, la mère adoptive du garçon (soit : les deux cyborgs ont pris l’apparence (vocale / morpho-vocale) d’un humain). Après avoir laissé parler John au téléphone pour prendre des nouvelles de sa famille adoptive, le Terminator, face aux soupçons de ce dernier, récupère le combiné et lui prend sa voix pour continuer la conversation et donner l’illusion de l’ipséité. En tant que robot intelligent, il comprend vite le subterfuge de l’autre robot.

Alors que les personnages burlesques sont mécanisés dans un but comique et provoquent un décalage qui permet, par la prise de distance, de rire de notre propre altérité, ici, c’est le robot qui est humanisé. Tout d’abord, il est fait à l’image de l’homme (comme le remarque Nicole Brenez, « le robot de Terminator n’avait pas besoin de muscles190») et, s’il ne

peut être capable d’empathie, il peut, après identification, mimer la voix et les intonations humaines. Le Terminator est ainsi investi d’une intelligence supérieure et artificielle, d’aptitudes surhumaines. Ce qui est d’autant plus perturbant, c’est qu’au-delà de son aspect mécanique, il peut mimer le mode de présence humain, il peut vampiriser la voix d’un autre et l’incarner à la perfection ; la tromperie, l’artifice est indécelable par l’ouïe (il faut montrer le simulacre par le visuel) ; l’hybridation de l’homme-machine est vectrice de l’hubris, de l’orgueil, de la démesure de l’homme à vouloir créer son semblable, à l’image de Dieu qui a créé l’homme.

Cette analyse par le Terminator des émotions à travers la voix est assez glaçante puisque, s’il peut les reproduire, c’est qu’il les comprend, or, il ne les ressent pas. On a ainsi affaire à une machine humanisée non pas par ses propensions morales et éthiques, mais par une capacité à imiter l’humain, ce qui annule en fait son humanisation. (On peut toutefois souligner qu’ici, le Terminator est du côté des gentils, ce qui rend son mime moins dangereux, tandis que dans le premier volet, alors qu’il est envoyé par les autres méchants robots, il imite la voix d’un policier, ce qui est plus dérangeant.) La voix humaine, pourtant si singulière et porteuse d’une morale, est inquiétée par la puissance reproductrice du posthumain qui peut créer l’illusion de l’humanité.

La tentative de reproduction de l’humanité nous fait ainsi douter du fait que l’humanité n’est pas reproductible, n’est pas mécanisable. Nous sommes (ou plutôt serions, si nous ne voyions pas Arnold Schwarzenegger qui joue dans un film d’action) face à ce cyborg comme

p. 79

face au robot pour Masahiro Mori dans The Uncanny Valley191, soit dans une position d’angoisse ou de malaise. Dans sa conception de la vallée de l’étrange, plus un être non-humain ressemble à un humain, plus ceci provoque cette inquiétante étrangeté due à une volonté d’empathie qui ne se retrouve pas, ce que Freud énonce comme la situation où l’on doute qu’un objet non vivant n’ait pas par hasard une âme. Ici, on sait qu’il s’agit d’une machine humanoïde et on la voit parler avec des intonations humaines, empathiques, qui laissent transparaître des émotions. On peut ainsi douter pendant une fraction de seconde de sa capacité à éprouver ce qu’elle exprime. C’est néanmoins son raisonnement froid et pragmatique dû à son intelligence artificielle qui permettra de mettre fin à la conversation.

De plus, la voix empreinte de questionnements est celle d’un enfant : on a donc devant nous le Terminator (Arnold Schwarzenegger, the action man voire the last action hero192) qui

parle avec la voix du petit John Connor (Edward Furlong). Le contraste est double puisque d’un côté, il y a celui entre le corps bodybuildé sur-virilisé et la voix juvénile fluette et inquiète et de l’autre, celui entre le pragmatisme réfléchi et distant et l’impulsion vive et naïve. Tout comme Wilbur qui prend la voix d’une femme, le décalage naît du choix des éléments morpho-vocaux apparemment très différents et pourtant recombinés. C’est leur association artificielle (par le biais d’une machine robotique ou cinématographique) qui nous met devant l’anamorphose faite à l’humanité, qui envisage un autre rapport à notre proprement mouvement, à nos fonctionnements et comportements.

Les personnages burlesques sont la manifestation d’élans libidinaux qui ont été tellement expansifs qu’ils ont fait se décaler le corps et la voix, comme si le corps ne pouvait suivre le désir exprimé par la voix. A l’inverse, le T-800, l’élan créateur du T-800 est rationnel et se prête l’illusion des sentiments. Quelque chose de démiurgique se fait alors dans le sens où le personnage, par son expression de vie, se dédouble, se démultiplie, se substitue lui-même : crée un personnage nouveau. S’il s’agit d’une pratique interne pour les personnages des cas déjà abordés, les démiurges que j’évoquerai à présent tendent à étendre leur vision du monde et à réinventer d’autres personnages extérieurs (a priori) à eux-mêmes. La voix souligne le rapport artificiel en tant qu’elle est à l’origine des ficelles qui meuvent les pantins fictifs, qu’elle leur donne du mouvement, une mécanique.

191 Masahiro Mori, op. cit.

p. 80