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Chapitre II. Cadre théorique et conceptuel :

2.3. Expertise et nouveaux médias

2.3.3. La visualisation des données du web

2.3.3.1. Une vocalisation des groupes marginaux

J’ai précisé plus haut que la visualisation des groupes et des médias locaux était spécifique au contexte. Savoir entendre et transcrire les formes idiosyncrasiques en dehors des cadrages institutionnels, sociaux et médiatiques constitue un travail de recomposition des formes qui passe par une plus grande proximité à l’égard des producteurs, afin d’éviter la simplification et la domination des formes culturelles anciennes. Pour mieux comprendre les pratiques mixtes des groupes, la collecte des fragments textuels ethnographiques (Bennett, 2011 : 115) et l’étude des processus de réécriture de la réalité par les militants de la CLAC invitent à revoir les critères de la rhétorique scientifique (notamment les critères d’objectivité et de distance). Avec l’évolution de la conception de storytelling (Rorty, 1980)93 et le développement des technologies de la modernité, les récits de victimes sont devenus des récits d’action et de changement social. Montrer les savoirs et les expertises militants acquis dans la lutte, les assembler en un texte critique, devient alors un moyen pour les groupes militants de contrer les mythes de domination véhiculés par l’histoire officielle. Les processus de reconstruction par lesquels les récitants ont survécu à leurs oppresseurs

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Le concept de « storytelling » challenge le paradigme de la représentation et invite à redéfinir la notion de vérité selon une approche plus pragmatiste (Dewey, 1926).

(comme dans le cas des récits de guerre) livrent des performances émotionnelles et narratives qui transcrivent la réalité du vécu. Le repérage des récits militants dans les médias vise à souligner une émergence qualitative des récits militants qui ne se fonde pas seulement sur les critères de validité et de cohérence. La conception historique des récits de vérité telle qu’elle est admise dans les tribunaux - une histoire vraie est une histoire dont les faits se répètent à l’identique - participe de la disqualification des récits militants, qu’on accuse de fausse conscience. Elle renvoie les récits militants à l’expression d’une catharsis émotionnelle plutôt qu’à leur efficience. Polleta explique ainsi que, dans les récits de Cour, les femmes victimes de violences conjugales qui répondent par de la violence en légitime défense ne seront pas nécessairement acquittées mais jugées à la mesure de leur propre violence (2009).

Polletta propose d’enrichir les modèles définis par l’analyse des cadres (Snow et Benford, 1992) par une étude plus approfondie des expériences de la vie quotidienne. Elle invite à nuancer les critères de clarté, de cohérence et de consistance en prenant en compte les dynamiques divergentes et les contradictions qui habitent les échanges de communication : le problème de la résonance (Lévi-Strauss, 1964), c’est-à-dire de la compréhension effective des cadres publics par les publics, est que les cadres d’action sont mieux compris par des personnes déjà en situation de pouvoir (celles qui les ont élaborés) que par celles porteuses de nouvelles revendications (« claimsmakers »). Polletta montre ainsi comment les formes d’expression sont façonnées en amont par des normes institutionnelles ou populaires et par des croyances, des valeurs et des perceptions culturelles : « Les militants se retrouvent souvent à lutter pour assembler un cadre capable de déboulonner les associations symboliques qu’ils ont déjà des difficultés à nommer » (TL. Polleta, 2009 : 36). Afin d’atteindre un plus grand degré de résonance, Polletta suggère d’analyser directement les récits et les histoires car ils intègrent des descriptions, des explications et des évaluations qui permettent de transcender le jugement de l’énonciateur. En outre, les récits et les histoires entrent davantage en résonance avec les perceptions des récepteurs car elles leur sont familières et circulent entre les sphères publiques et les sphères privées. C’est pourquoi l’analyse des textes militants est semi-inductive et part du point de vue des pratiques textuelles et sociales de la CLAC dans cette recherche.

Les manières de raconter l’expérience des militants peuvent être fragmentaires, changeantes, a priori incohérentes : « Leurs versions changent dans le temps au fur et à mesure qu’ils réassemblent ce qui s’est passé et commencent à revoir leur impulsion initiale afin de normaliser leur expérience » (TL. Polletta, 2009 : 43). Les contraintes et les impératifs économiques de production et de consommation de masse des produits culturels, comme les contraintes de temps, de moyens et de ressources, provoquent des inégalités de distribution de la valeur. Le développement des médias sociaux peut ainsi aboutir à terme au nivellement des pratiques créatives et à la marginalisation des formes les plus minoritaires et radicales, sous la poussée conjointe de l’action normative des modèles de consommation culturelle “fastfood” et de la pression constante des élites culturelles et politiques qui cherchent à maintenir le contrôle de l’information.

Polletta montre en outre que les récits de vie portant sur des expériences traumatisantes ne peuvent atteindre la cohérence apparente et la réactivité attendue, ce qui explique qu’ils soient discrédités en tant que formes valides de savoir et d’expression. Les locuteurs ne sont pas jugés capables de raison et d’objectivité. Ils doivent faire face, parallèlement, en tant que victimes, aux conséquences d’un stress post-traumatique (le déclic probable de leur impulsion) ou aux discriminations de ceux qui les accusent d’être « fous » ou déficients intellectuels. C’est pourquoi l’usage stratégique des récits de vie par les militants témoigne d’un processus complexe de retranscription de la réalité. La recherche d’intelligibilité conduit les locuteurs à être à la fois des victimes et des agents, de façon à concilier la crédibilité et l’authenticité, dans la production de récits d’apparence « idiosyncrasiques », « invraisemblables » ou « inintelligibles » (TL. Polletta, 2009 : 45). Prendre pour objet d’étude les récits militants sur le net, sous des formes aussi diverses que les confessions ou les expériences autobiographiques révélées par les les tweets, en se basant donc sur la lecture et l’interprétation des versions successives du texte et des textes antérieurs, permet d’analyser non seulement le texte produit mais également le cheminement (ou processus) qui conduit à la production du texte.

A la suite de Polletta, je considère ces récits comme vecteurs d’efficience. Butler a montré que les personnes torturées pendant la guerre perdaient la capacité de témoigner par des mots car la violence déshumanise et supprime le témoin. La prise de parole permet à

l’inverse le passage de la passivité à l’auto-affirmation, grâce à une humanisation à soi et à autrui (Butler, 2010): « Ceux et celles qui ont accès à la représentation, notamment à la représentation de soi, ont de plus grandes chances d'être humanisés, tandis que ceux et celles qui n'ont pas l'opportunité de se représenter sont plus susceptibles d'être traités et considérés comme s'ils étaient moins humains » (Butler, 2005 : 174). Les pratiques d’écriture et de lecture dans les récits sont définies par Collins et Blot (2003) comme un entrelacement du texte et de la vie dans des processus cumulatifs d’intellectualisation nés de l’observation, de la comparaison, de l’expérimentation et de la communication.

La structure mythique de l’idéologie capitaliste et les récits du pouvoir sont systématiquement déconstruits par les pratiques de lecture et d’écriture quotidiennes des militants. Soulignant les interrelations du texte, de l’identité et du pouvoir dans les problématiques que posent le colonialisme, la formation de l’Etat moderne, les systèmes éducatifs et la relation des pratiques officielles et des pratiques populaires, Collins et Blot (2003 : 121-122) montrent que l’incorporation de significations « natives » ou indigènes dans les discours coloniaux participe à la construction d’une identité alternative issue de la lutte culturelle qui fait usage des structures et des systèmes produits par l’impérialisme contra l’ordre colonial et l’impérialisme. Ces pratiques de lecture par l’en-dessous des textes et ces bricolages d’identités hybrides restaurent les voix indigènes qui ont été effacées de l’économie scripturale des discours officiels et fondent de nouveaux récits de la preuve et de l’évidence (Bauman, 2000 : 83). Les récits d’expérience biographiques et autobiographiques sont perpétuellement revus, augmentés, filtrés par les choix successifs du sujet (Giddens, 1991 : 5). Le projet réflexif du soi dans la modernité s’accomplit grâce à l’ouverture des formes, à la pluralisation des contextes et à la diversité des paroles d’autorité. La libre circulation des formes fait transiter les politiques de l’émancipation vers les politiques de la vie (Giddens, 1991). Les formes orales traditionnelles « décollées » des structures sociales et culturelles dans lesquelles elles sont enchâssées et incorporées aux nouvelles technologies s’insèrent dans les nouveaux mondes noétiques (Ong, 1982) pour donner une « vision retournée » (Ouellet, 1998 : 34) du monde.

2.3.3.2. Une sémiotisation des échanges sociaux

« L'absence d'un interprétant ultime, au lieu d'être une frustration continuelle, constitue la condition de possibilité définitive du langage comme fait humain […]. Ce modèle logique libère la sémiotique de la métaphysique du référent » (Fisette, 1990 : 16-17). Par ce modèle de production textuelle et narrative, les écritures militantes refusent d’énoncer des vérités et des dogmes ; elles demeurent sous le joug de l’évaluation et de la critique des pairs. L’addition de récits et de biographies, les correctifs et les ajustements apportés par les producteurs, étendent le spectre de l’argument singulier énoncé par l’auteur grâce au champ de forces des intentionnalités conjointes et à la répétition des arguments par les pairs. La représentation de la preuve et la récurrence des motifs au sein d’une information circulaire participent à la construction de la légitimité des récits de vie dans les médias (Epstein, 1996).

Les pratiques sémiotiques issues du partage de l’émotion esthétique visuelle dans les médias remettent en question les critères sur lesquels se fondent les ‘grands’ récits médiatiques et politiques : la vraisemblance (les évidences normatives), l’objectivité (les définitions monologiques), le goût (le choix des objets et l’exclusion des tabous) et la clarté (le jargon terminologique) (Barthes, 1999). Barthes souligne la vacuité d’un langage universel qui tenterait de circonscrire par un « territoire de langage », « un placer terminologique dont il est interdit de sortir » et qui rejetterait ce qui est extérieur à sa communauté pour bâtir un « universel de propriétaires » (Barthes, 1994 : 27-28). Lorsque les sujets parviennent à se représenter eux-mêmes, le langage acquiert une puissance d’agir et une performativité (Butler, 2004) qui permet la construction d’un agenda de la résistance et de l’exclusion sociale (Bennett et al., 2011) et son intégration dans les agendas globaux. Selon l’hypothèse de Bennett, le texte est un jeu et le lecteur du texte est un joueur. Le recours à un usage raisonnable (stratégique) du langage via l’emploi de tropes et de figures littéraires (ironie, autodérision, caricature et pastiche) montre la capacité de distanciation critique des militants par rapport au réel de l’expérience, en vue d’une déréalisation de l’expérience vécue et de sa transposition dans l’univers des représentations. Cette déréalisation permet le passage à l’acte d’écriture sans pour autant remettre en cause l’authenticité et la simultanéité de la pratique. Le processus de mise en scène de soi

implique la mise en œuvre de savoirs pratiques et créatifs visant à contourner la censure, l’autocensure et les lieux communs. Ils témoignent de la valeur des processus autoréflexifs personnels intervenant dans la représentation de la souffrance et de la violence vécue.

De Certeau critique le dogmatisme de l’approche de Bourdieu qui range les pratiques sous la loi de l’habitus (1980) et les réduit à la rationalité socio-économique en les enfermant dans le quadrillage d’un lieu théorique94. Or pour De Certeau, les pratiques souterraines non discursives ne peuvent être analysées grâce à l’appareillage d’un discours théorique prédéfini mais peuvent l’être par une approche expérimentale. Les approches ethnologiques, narratives et herméneutiques ont tenté de saisir ces arts de faire qui s’apparentent à une production artistique, c’est-à-dire à « une capacité à faire un ensemble nouveau à partir d’un accord préexistant » (De Certeau, 1990 : 114), une forme de tact (Freud, 1942) défini comme « la saisie et la création d’une ‘harmonie’ en des pratiques régulières, le geste éthique et poétique de religere (relier) ou de poser un accord par une suite indéfinie d’actes concrets » (De Certeau, 1990 : 115; Goody, 1979).

Lors du passage à l’écriture, les pratiques textuelles de patchwork (Lévi-Strauss, 1962, 1964) permettent le réajustement progressif, par le biais de manipulations correctives et d’interventions successives, des récits et des textes mineurs et vulgaires (Epstein, 1996). L’écriture des textes en aval de la représentation médiatique permet la conjonction des procédés analytiques et cumulatifs (Ong, 1982: 111). Le processus de semiosis ad finitum (Peirce, 1931) incorpore les marques du contexte spatio-temporel et culturel (les indicialise) et il les inscrit dans un continuum formant une généalogie temporelle des pratiques. Cette permanence des formes permet d’apporter des corrections ultérieures (d’accepter le faillibilisme) dans une production de nouvelles formes médiatées du soi, où l’inscription du contexte spatio-temporel et culturel signale le trajet accompli par le texte. La proximité avec les formes de l’expérience, à partir de cadre de référence situationnels (c’est-à-dire correspondant aux situations de l’expérience dans lesquelles les textes ont émergé), rend le projet d’écriture militant plus spécifique (en comparaison des écritures médiatiques) et

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Bourdieu a montré que la formalisation dans et par le langage est un instrument de la reproduction des classes dominantes (Bourdieu and Passeron 1964; Bourdieu 1980) et favorise les pouvoirs en place. Les savoirs des experts accrédités sont confinés dans des aires restreintes, visant à les maintenir en l’état. Ce sont des savoirs statiques qui tirent leur autorité de leurs rituels et de leur immuabilité sacrée.

maintien un lien avec le sensible grâce aux textes, aux hypertextes et aux verbatim. Cette opération ne s’abstrait pas des contraintes, des conventions et des genres imposés par la structure des nouveaux médias (hashtags, mentions, nombre de caractères, etc.), elle les subvertit. L’illusion du réel (imitatio) provoque une mémorisation sensible des formes culturelles dans laquelle la différenciation culturelle agit comme mode de régulation. C’est aussi la recherche d’un lien de confiance qui s’établit publiquement sur la base d’échanges langagiers interpersonnels et intimes (Giddens, 1991).

L’instrumentation des lieux restreints d’accès au savoir économique (Conseils, Comités d’expertise) en tant qu’outil de conquête des territoires, qui a longtemps été la marque de l’expertise, a été remplacée, avec l’avènement de la société en réseaux et la libéralisation des flux l’information et des dispositifs souples de contrôle de l’information (Bauman, 2000), par une guerre « liquide » de l’information portant sur l’accès et la restriction d’accès à l’information. En se centrant sur une analyse des espaces anthropologiques militants publiquement accessibles, qui souligne les processus alternatifs d’acquisition et de contrôle de l’information dans des espaces autonomes de production d’information, cette recherche de doctorat souhaite combler en partie les lacunes observées dans la littérature sociologique liée au rôle central de la communication dans l’émergence et l’institutionnalisation de nouvelles formes de savoir populaires et marginales, et proposer une modélisation de la production textuelle alternative des militants pour tenter de résoudre les problèmes liés à l’autorité journalistique, à la centralité des textes de pouvoir et aux exclusions sociales dans les discours. L’analyse des textes marginaux non reconnus comme des grands genres de communication met en évidence les jeux d’association, les dynamiques de relations et les effets d’influence sous-jacents aux textes, en traçant de nouvelles manières de faire de l’information.

2.3.3.3. Intertexte et hypertexte

L’analyse sémio-itérative des textes explore les liens que les textes, en tant que phénomène social, tissent sur la toile (ou le réseau) et la manière dont « l’assemblage des textes » (Derrida, 1972) forme un nouveau méta-texte. Les pratiques dérivatives provoquent une extension du sens et de la signification efficiente sur le plan politique. Le texte, considéré comme une fixation de l’action (Ricoeur, 1986), représente les trois niveaux

de l’acte de parole mis en évidence par Austin et Searle (Austin, 1970; Searle, 1972) : l’acte de dire (acte locutionnaire), ce que nous faisons en parlant (acte illocutionnaire) et ce que nous faisons par le fait de dire (acte perlocutionnaire) (Ricoeur, 1986). Le texte est ainsi « un double processus de production et de transformation du sens (Kristeva, 1969 : 26-27), à fonction anaphorique, « relationnelle », et « transgressive » d’ « ouverture » et d’« extension » (Kristeva, 1969 : 35).

Par le jeu des intertextualités, la signification d’un événement en vient à dépasser les conditions sociales de production du texte. L’interprétation textuelle met en évidence un modèle explicatif et compréhensif de la pensée, qui fait des textes des formes de validité indicatives du jugement et des procédures de validation, de motivation et d’argumentation mises en œuvre par les producteurs et les lecteurs (Ricoeur 1986 : 204). Mais l’événement ne porte pas uniquement sur la négociation des significations, il est aussi lié à la valeur de l’information elle-même de par la diversification des sources. Les environnements hypermédiatiques transposent des régimes textuels de visibilité localisés dans d’autres environnements textuels. Par exemple, un texte (disons un article ou un roman) dont l’auteur aurait indiqué des liens et des références par des annotations est un système citationnel élaboré à partir du texte-source, vers lequel toutes les références convergent (unidirectionnel). Un système hypertextuel est une structure en réseau au sein de laquelle chaque texte a sa propre autonomie (Landow, 2006). Par exemple sur @CLACMontreal, il n’y a pas d’autorité d’un texte (qui constituerait un texte source) sur les autres textes mais des textes reliés entre eux par des interdépendances multidirectionnelles et mouvantes (entre les militants de la CLAC et les syndicats, les médias, les audiences). Les interventions des membres actifs font également évoluer l’information par leurs pratiques d’édition et de citation : par exemple, certains tweets de la CLAC plus populaires (qui font l’objet de plus de retweets que les autres) et les thématiques qui y sont abordées, ont de fortes chances d’être ensuite privilégiés par les producteurs de la CLAC. L’étude de l’hypertextualité sur @CLACMontreal s’inscrit donc dans la problématique plus large des effets d’influence et de réciprocité observables entre les participants de la discussion.

Sur le plan des échanges de communication, la problématique de l’intertextualité s’entend, dans le contexte de la mondialisation et des échanges transculturels, comme une volonté

renouvelée d’accueillir et de reconnaître l’autre en soi sans devenir un autre (Ouellet, 2002). Le texte est l’indication d’une relation par l’inscription de la voix dans le graphe (Derrida, 1967; Hanks, 1989; Kristeva, 1969; Landow, 2006). Les analyses sémiotiques s’inscrivent ainsi dans la pensée de l’altérité (Foucault, 1976b) qui prône la transmission de l’héritage, de la mémoire et de l’histoire à partir d’un stock d’archives et de références culturelles tout en préservant le rapport à soi (Ouellet, 2002: 442-443). Les apports de l’anthropologie et de l’ethnographie à une sémiotique et une théorie du texte (Atkinson, 1990; Boas, 1911; Hanks, 1989; Malinovski, 1935) soulignent la dimension sociale du texte. Pour Hanks comme pour Kristeva, le texte est une « matrice sociale », il signale une « orientation sociale » et est un phénomène communicatif (1989). Le texte est ainsi l’empreinte d’une circularité sociale (Spitulnik, 1997), le produit socioculturel d’un processus d’éducation ou de socialisation (Hanks, 1989), « l’accomplissement » d’un geste et d’un trajet reflétant une activité sociale (Kristeva, 1969 : 181). (C’est l’auteure qui souligne) ou encore « la fixation sociale de l’action sensée » (Ricoeur, 1986 : 195). Les processus de production textuelle et intertextuelle permettent la sémiotisation d’un imaginaire social. Etudier les pratiques sémiotiques c’est aussi étudier les relations de pouvoir sous-jacentes au texte et la relation du texte au pouvoir social (Hanks, 1989).

Les théories du texte se construisent autour de trois dimensions majeures du texte : le texte comme script ou trace des comportements culturels, l’autonomie du texte par rapport aux structures verbales et syntaxiques et le texte comme processus de transformation et d’actualisation du sens. L’hypertexte est considéré comme une métaphore de la relation entre intention et structure (Deleuze et Guattari, 1973, 1980), une métaphore du réseau inspirée du Memex de Vanevar Bush (1945). Kristeva opère une théorisation du texte général en tant que réseau englobant la voix, le geste, l’écriture et l’économie :

Dans cette perspective ; nous définissons le texte comme un appareil translinguistique qui redistribue l’ordre de la langue, en mettant en relation une parole communicative visant l’information directe, avec différents types d’énoncés antérieurs ou synchroniques. Le texte est donc une productivité, ce qui veut dire : I. son rapport à la langue dans laquelle il se situe est redistributif (destructivo-constructif), par conséquent il est abordable à travers des catégories logiques plutôt que purement linguistiques ; 2. Il est une permutation de textes, une intertextualité : dans l’espace d’un texte plusieurs énoncés, pris à d’autres textes, se croisent et se neutralisent (Kristeva, 1969 : 52).

L’analyse sémiotique porte sur le processus de transformation du texte (le moment de son