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Chapitre I. Problématique :

1.1. Le modèle des sphères publiques d’Habermas

1.1.3. Le langage comme dispositif de régulation sociale

Pour Habermas, les présupposés sont des critères d'appréciation esthétiques déterminés par les valeurs culturelles de chaque groupe – lesquelles sont « limitées à l'horizon du monde vécu propre à une culture déterminée » et ne sont rendues « plausibles qu'à l'intérieur du contexte d'une forme de vie particulière » : « Partant, la critique de standards de valeur présuppose une précompréhension partagée par les parties prenantes de l'argumentation, une précompréhension dont on ne saurait disposer, mais qui au contraire constitue et délimite à la fois le domaine des prétentions thématisées à la validité » et un accord « rationnellement motivé » (Habermas, 1987 : 58).

La capacité du sujet à parler et à agir permet le passage de l'individualité à la collectivité et, plus avant, sa publicisation dans les médias grâce à un « monde vécu partagé » au-delà des « systèmes culturels d'interprétation » et des « images du monde » préexistants au débat public (Habermas, 1987 : 59-60). Pour mieux comprendre ce processus d'ouverture et de fermeture du sens et afin de proposer un modèle rationnel du monde vécu, Habermas adopte une approche historique qui s'inspire des recherches en anthropologie culturelle menées par Lévi-Strauss (Lévi-Strauss, 1949 ; 1955 ; 1962). Habermas s'inscrit dans le procès

de différenciation entre nature et culture : le recours à la théorie de la narrativité et à la structure du mythe montre comment les pratiques magiques juxtaposent, sans différenciation, les plans de l'action téléogique et de l'action communicationnelle. Pour Habermas le maintien d’un lien entre langage et monde, autrement dit entre la médiation communicationnelle du langage et « ce au sujet de quoi une entente peut être obtenue dans la communication », en critiquant l'incapacité du mythe à définir les distinctions sémiotiques : « Ce qui a, en ce sens, valeur de relation interne, c'est la relation logique entre fondement et conséquences, et comme relation externe, la relation causale entre cause et effet (physical v. symbolic causation) (Habermas, 1987 : 65) ».

Le rapport entre langage et réalité suppose donc une possibilité d'entente à la fois sur l'espace de la communication et sur l'objet de la communication. S'opère alors un processus d'interpénétration entre l'interprétation mythique du monde et l'emprise magique sur le monde dans la dialectique du Sujet. La légitimité acquise par le sujet dans la reconnaissance par autrui permet ce mouvement de va-et-vient. En effet, si la subjectivité est pour Habermas, du domaine de ce qui n'est pas commun, par opposition à un arrière-fond normatif commun, le passage au collectif se caractérise par le fait de rendre commun les présupposés tacites du langage aux autres.

Les processus individuels d'énonciation et d'interprétation du sujet en vue d'une reconnaissance de son statut politique soulignent l'écart entre le plan réel du monde vécu et le plan symbolique qu'il articule, de manière dialectique, selon une primarité et une secondarité du lien social (Lamizet, 1998 : 118). Pour être en mesure d'accéder à la secondarité, il est nécessaire de s'inscrire dans l'échange symbolique du langage. C'est ainsi que les sujets peuvent entrer dans les relations spéculaires de la sociabilité. Alors que les représentations mythiques se rattachent à des traditions culturelles, en tant que systèmes d'interprétation, la mise en débat dans le champ interpersonnel permet de faire apparaître l'écart entre ces systèmes d'interprétation et les « contrastes » qui s'en dégagent (Habermas, 1987 : 69). La question de la priméité et de la secondarité peut être problématisée en termes de fermeture versus ouverture des représentations (Popper, 1978). Cette dynamique diachronique permet d'observer une séquence d'apprentissage « reconstructible » dans l'intelligibilité et « révisable » dans l'intersubjectivité. Ces ruptures

ou césures entre les modes de pensée affectent la définition des systèmes conceptuels de base : « Les interprétations d'un stade dépassé, quel que soit leur contenu, sont catégorialement dévalorisées lors du passage aux stades ultérieurs. Ce n'est pas telle ou telle raison, mais le type de raison qui convainc le plus » (Habermas, 1987 : 83). Cette problématique s’observe dans les échanges entre les experts accrédités et les militants qui soulignent une hiérarchie des expertises. Atteindre un accord « rationnellement motivé » (Habermas, 1987 : 58) entre les deux parties implique de recourir à des stratégies discursives et argumentatives car « seuls les acteurs investis d'une représentativité » peuvent décider. Pour se définir comme des acteurs sociaux légitimes, les militants doivent articuler les représentations aux pratiques :

C'est le fait de prendre une décision qui s'impose à tous, et de pouvoir la mettre en œuvre dans l'espace public, qui définit les acteurs de la médiation. En effet, une décision représente bien une dialectique entre le singulier et le collectif. La décision se définit comme une forme de médiation, dans la mesure où elle articule une dimension singulière de la représentation et une dimension collective de la mise en œuvre : la responsabilité singulière de celui qui prend la décision (ce que l'on est convenu d'appeler le pouvoir) et la pratique collective qui inscrit cette décision dans la réalité d'une situation sociale effective. L'importance de la décision dans la médiation tient à la fois au processus même de la décision, qui représente la mise en œuvre effective d'un pouvoir, et aux incidences de la décision, qui n'a de réalité que dans la mesure où elle est appliquée, et qui, par conséquent, fait effectivement de l'espace dans lequel elle est mise en œuvre un espace social, régulé et structuré par des décisions institutionnelles. La décision est le moment où est consommée la rupture entre la naturalité et la culture (Lamizet, 1998 : 126).

1.1.4. L'intentionnalité de l'agir dans le processus de