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CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE

1.3 Le contexte théorique de la recherche

1.3.1 La vision simple de la lecture

Les chercheurs à l’origine de la vision simple de la lecture (Simple View of Reading) (Gough et Tunmer, 1986; Hoover et Gough, 1990) regroupent l'ensemble des processus cogni- tifs impliqués dans l'acte de lire selon deux composantes (ce qui justifie leur utilisation du terme

simple). Ils stipulent que la lecture experte est le produit de l'interaction de la reconnaissance

des mots et de la compréhension linguistique. La reconnaissance des mots consiste en la capacité d’identifier les composantes d’un mot (par exemple, les syllabes qui le constituent) afin d’accé- der à son sens, alors que la compréhension linguistique réfère à la compréhension orale de ces mots dans des phrases ou des textes (Oakhill et al., 2015). Gough et Tunmer (1986) et Hoover et Gough (1990) expliquent que les deux composantes agissent de manière différente l'une de l'autre, mais qu'elles demeurent toutes deux nécessaires à l'obtention d'une lecture experte et

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qu’elles doivent interagir entre elles. Afin d'illustrer cette assertion, ils utilisent l'équation sui- vante : l'interaction de la reconnaissance des mots (RM) et de la compréhension linguistique (CL) permet l'atteinte de la lecture experte (L), donc RM X CL = L. Les chercheurs démontrent ainsi la nécessité et la complémentarité de ces deux composantes pour atteindre une lecture experte. Les prochains paragraphes examinent plus en détail les deux composantes de cette théo- rie.

1.3.1.1 La reconnaissance des mots

La reconnaissance des mots ne constitue pas un apprentissage naturel (Morais, Pierre et Kolinsky, 2003) parce que l'écrit repose sur un code composé de symboles (Gombert, 2003). Essentiellement, l'élève apprend à faire correspondre ces symboles (des graphèmes) avec les sons qu'ils produisent (des phonèmes). Lorsque l'élève saisit cette mécanique de la lecture, c'est- à-dire, dès qu'il reconnait « […] les unités phonologiques des mots, les phonèmes et les syllabes » (Desrochers, Carson et Daigle, 2012, p. 7), il devient apte à reconnaitre de manière autonome une grande quantité de mots (Desrochers, Carson et Daigle, 2012; Oakhill et al., 2015). Bien que ce travail de reconnaissance des mots ne représente pas le même défi pour chacun, certains bénéficiant de plus de facilité que d'autres, une chose demeure certaine, tous doivent y accéder. En effet, on compare la reconnaissance des mots à une forme d'obstacle, un passage obligé pour comprendre un écrit (Kamhi, 2007; Morais et al., 2003). Protopapas et ses collègues (2012) la surnomment « la composante dépendante de l'écrit » (p. 218) parce que ses opérations relèvent spécifiquement de l'écrit (Daigle, Ammar, Bastien et Berthiaume, 2010; Morais et al., 2003; Protopapas, Simos, Sideridis et Mouzaki, 2012; Sprenger-Charolles et Colé, 2006). Ces opéra- tions doivent être maitrisées (Ecalle, Magnan et Bouchafa, 2008; Gaonac'h et Fayol, 2003; Hoover et Gough, 1990; Kamhi et Catts, 2005), car, sans cette maitrise, voire cette automatisa- tion, la charge cognitive qu'elles nécessitent entrave l'activation des processus liés à la compré- hension et ralentit ainsi l'accès au sens (Perfetti et Rieben, 1989). Dans les prochains para- graphes, il sera question de la seconde composante de la vision simple de la lecture, soit la compréhension linguistique.

20 1.3.1.2 La compréhension linguistique

De manière générale, un enfant comprend ce qu'on lui demande ou raconte sans pour autant avoir reçu d'enseignement formel (Ecalle et al., 2008; Oakhill et al., 2015). L'enfant amorce donc son parcours scolaire en ne sachant pas reconnaitre les mots, mais en possédant des connaissances qui lui permettent de comprendre ce qu'on lui dit (Oakhill et al., 2015). Ce qui appartiendra au monde scolaire consiste à le rendre conscient des opérations qui permettent d'améliorer sa compréhension d'un message écrit (Fayol, David, Dubois et Rémond, 2000) et, selon Oakhill et al. (2015), par l’intermédiaire, entre autres, de l’enseignant qui lui montrera formellement comment comprendre ce message. Bien que les actions nécessaires à la compré- hension d'un message écrit et oral semblent similaires, il existe une sorte de décalage entre elles (Cain, 2010; Oakhill et al., 2015). Premièrement, un élève se retrouvant seul devant un texte ne peut interagir avec lui, tout comme l'auteur d'un livre ne peut réagir lorsqu'un élève, par un geste ou une expression du visage, ne comprend pas son message (Oakhill et al., 2015). Deuxième- ment, les intonations et les expressions propres au discours oral sont absentes à l'écrit, ce qui rend la compréhension du message écrit plus laborieuse (Bidaud et Megherbi, 2005). L'élève doit maitriser la ponctuation ou la structure du texte pour y discerner des questions ou des in- dices indiquant, par exemple, que le personnage parle ou réfléchit (Bidaud et Megherbi, 2005). Troisièmement, le choix des mots à l’écrit diffère de ceux utilisés à l'oral. Selon Bidaud et Megherbi (2005), « […] nous utilisons davantage de mots rares à l'écrit qu'à l'oral » (p. 21). Quatrièmement, l'élève et l'auteur n'évoluent pas nécessairement dans le même contexte lorsque l’un écrit et l'autre lit. Par exemple, des écarts de temps et de lieux nécessitent un effort pour contextualiser la lecture. L'auteur doit décrire suffisamment ce qu'il souhaite faire comprendre et l'élève, quant à lui, doit devenir habile pour inférer les indices laissés par l'auteur (Oakhill et

al., 2015).

Bref, comprendre un discours à l'oral et à l'écrit présente des défis différents. Cependant, à l'écrit, l'élève bénéficie de la permanence de la trace écrite (Fayol, 2004). L'écrit devient une chose que l'on observe et conserve (Pierre, 2003a). L'élève peut relire un passage, revenir en arrière, arrêter sa lecture, y laisser des traces. En d'autres termes, l'élève peut effectuer un travail pour saisir le sens de sa lecture et construire un modèle de situation (Kintsch et Van Dijk 1978,

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1988). La création de ce modèle nécessite plusieurs opérations qui relèvent de la reconnaissance des mots et de la compréhension linguistique (Gough et Tunmer, 1986; Hoover et Gough, 1990). Ces opérations font l’objet de la section suivante.

1.3.1.3 Les opérations de traitement de l'information écrite

Certaines des opérations, dites de bas niveau, agissent sur la reconnaissance des mots (par exemple, les règles de correspondance entre les graphèmes et les sons) (Gough et Tunmer, 1986), alors que d'autres agissent sur le développement de la compréhension linguistique. Trois opérations qualifiées de haut niveau sous-tendent, quant à elles, la compréhension linguistique. Il s’agit de la connaissance des structures de textes, de la gestion de la compréhension et de l'inférence (Bianco, 2014; Oakhill et al., 2015). À cela, il faut ajouter le vocabulaire et la fluidité, qui exercent aussi une influence déterminante (Beck, McKeown et Kucan, 2003; Yaghoub Zadeh, Farnia et Geva, 2012). Nous définissons maintenant chaque opération, pour nous attarder davantage, à la fin, sur l'inférence, qui est au cœur de la présente recherche.

Premièrement, une connaissance des diverses structures de textes guide l'élève, car elle lui permet de savoir ordonner l'information, de l'organiser ou même de la placer dans des gra- phiques (Silva et Cain, 2015). Au Québec, il est principalement question de textes littéraires et de textes courants (Giasson, 2011). La structure narrative du texte littéraire ne varie pas beau- coup (situation de départ, élément déclencheur, péripéties, dénouement et situation finale) et demeure plus facilement accessible (Cain, 2003; Vadasy et O'Connor, 2011). La seconde pose davantage problème (Marin, Crinon, Legros et Avel, 2007). En effet, il existe une variété de structures de textes courants et un même texte peut en intégrer plus d'une. Par exemple, on retrouve des structures qui fonctionnent de manière circulaire, par hypothèse, par description ou de manière plus analytique (Marin et al., 2007).

Deuxièmement, gérer sa compréhension consiste à poser un regard critique sur sa façon de comprendre un texte. Il est aussi question de s'interroger sur le niveau de difficulté d'un texte (Oakhill, Hartt et Samols, 2005). Duffy (2003) compare la gestion de la compréhension à une discussion avec soi-même durant laquelle on se questionne sur notre compréhension. L'élève en situation de gestion de compréhension doit être conscient qu'il peut adapter sa vitesse de lecture

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selon le niveau de difficulté du texte et qu'il peut s'arrêter devant un mot inconnu ou une inco- hérence. Cela implique d'être conscient de ses bris de compréhension et de se donner des moyens pour y remédier (Duffy, 2003).

Troisièmement, plusieurs chercheurs s'entendent pour accorder au vocabulaire un rôle déterminant dans l'accès au sens d'une lecture (Beck et al., 2003; Schmitt, Jiang et Grabe, 2011; Stanovich, 1986). Silva et Cain (2015) mentionnent que pour effectuer une lecture avec aisance, un élève doit connaitre la signification de 90 % des mots du texte. D'autres chercheurs raffinent cette donnée en la liant au niveau de compréhension requis. Si, par exemple, 60 % de la com- préhension est requise, alors l'élève doit connaitre 95 % des mots. Par ailleurs, dans le cas d'un niveau de compréhension à 70 %, alors le nombre de mots à connaitre passe de 98 % à parfois 99 % (Schmitt et al., 2011). Ces chercheurs démontrent ainsi une forte relation entre connaitre de plus en plus de mots et comprendre de mieux en mieux un texte. Or, pour enrichir le voca- bulaire, il est recommandé, entre autres, de lire. En effet, selon Stanovich (1986), plus un élève lit, plus il apprend de nouveaux mots, ce qui facilite sa lecture et l'encourage à lire davantage, augmentant toujours sa banque de mots connus. Par contre, un élève en difficulté qui connait peu de mots peine à lire un texte et se décourage (Cain et Oakhill, 2011). Il lit donc moins de textes et apprend ainsi encore moins de mots, ce qui, évidemment, n'améliore pas sa lecture (Cain et Oakhill, 2011; Stanovich, 1986). Stanovitch (1986) appelle « l'effet Mathieu » (p. 380) ce cercle vicieux-avantageux en référence à un verset biblique stipulant que les riches s'enri- chissent et les pauvres s'appauvrissent. Finalement, il est instructif de noter qu'il existe différents degrés de connaissance d'un mot. Cain (2010) ainsi que Tannenbaum et ses collègues (2006) établissent l'existence de deux dimensions du vocabulaire : l'étendue et la profondeur. La quan- tité des mots connus représente l'étendue. La profondeur s'apparente aux connaissances autour d'un mot précis. Ils stipulent que la quantité des mots connus obtient la plus forte corrélation avec la compréhension en lecture. Il est donc plus avantageux, selon ces auteurs, de connaitre beaucoup de mots plutôt que d'en savoir quelques-uns de manière approfondie. Mentionnons que le vocabulaire ne détient pas de statut clairement établi dans la théorie de la vision simple de la lecture. Plusieurs chercheurs se demandent d'ailleurs si le vocabulaire soutient le dévelop- pement de la compréhension linguistique ou s'il est plutôt lié à la composante de la reconnais- sance des mots (Farrell, Davidson, Hunter et Osenga, 2010; Kirby et Savage, 2008; Ouellette et

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Beers, 2010; Protopapas et al., 2012; Tannenbaum, Torgesen et Wagner, 2006; Tilstra, McMaster, van den Broek, Kendeou et Rapp, 2009). Nonobstant ces considérations théoriques, le vocabulaire demeure un fort prédicteur de la compréhension en lecture (McKeown et Beck, 2011).

La quatrième opération du traitement de l'information écrite est la fluidité. On la définit comme étant la lecture orale rapide et précise de mots isolés ou de textes (Snow, 2002; Yaghoub Zadeh et al., 2012). Les chercheurs qui viennent d'être cités précisent qu’une lecture fluide con- siste également à faire varier l’intonation ou l'expression de la voix lors de la lecture. Tout comme le vocabulaire, la fluidité fait l'objet de recherches quant à sa place dans la théorie de la vision simple de la lecture. Elle est actuellement envisagée comme un pont qui relie les deux composantes : une lecture fluide passant nécessairement par une reconnaissance immédiate de mots et menant à l'accès au sens d'un texte (Tilstra et al., 2009; Yaghoub Zadeh et al., 2012).

Finalement, l'inférence joue un rôle crucial dans la compréhension d'une lecture (Bianco, 2014; Cain et Nash, 2011; Cain et Oakhill, 1999, 2007; Fayol, 2004; Kintsch et Rawson, 2005). Bien que les autres opérations exercent aussi un rôle important, nous concentrons notre étude sur l'inférence, considérant l'effet dominant qu'elle exerce sur la compréhension d'une lecture et la difficulté qu'elle représente pour plusieurs élèves, entre autres, ceux du 3e cycle du primaire auxquels nous nous intéressons dans la présente recherche.