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CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE

2.4 L'enseignement de la compréhension en lecture

2.4.3 L'enseignement de la compréhension en lecture par l'enseignement réciproque

2.4.3.1 La validation de l'enseignement réciproque par Palincsar et Brown

À partir de 1982, Palincsar et Brown entreprennent une série d'études pour valider l'en- seignement réciproque. Durant chaque étude, la chercheuse principale, Palincsar, ne travaille qu'avec un ou deux élèves à la fois. Ceux-ci sont tous en 7e année (soit secondaire 1) et évoluent dans des classes spécialisées totalisant un maximum de huit élèves par classe. Le déroulement des séances avec un ou deux élèves est le suivant. Palincsar assume l'enseignement de chaque stratégie25, la prédiction, le questionnement, la clarification et le résumé, une à la fois. Elle dé- bute par une explication de ce que signifie la stratégie (connaissance déclarative), dans quelles circonstances il peut être bénéfique de l'utiliser (connaissance conditionnelle) et comment la mettre en application (connaissance procédurale). Ensuite, elle modélise ces explications à

25 À l'exception de l'étude de 1985, dans laquelle les chercheuses forment des enseignants afin de valider les résul-

tats en compréhension de la lecture lorsque l'enseignement réciproque est assumé par un enseignant (Palincsar, 1985), et de l'étude de 1987, dans laquelle la variable dépendante concerne les interactions avec les pairs quand l'animation est encadrée par un élève tuteur (Palincsar, Brown et Martin, 1987).

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l’aide d’un texte et explique comment elle applique cette stratégie pour le lire. Par la suite, l'élève lit un paragraphe en ayant en tête ce que Palincsar vient de lui expliquer. Après cette courte lecture, l'élève applique la stratégie enseignée et reçoit les rétroactions de la chercheuse. Il en va ainsi pour chacune des stratégies. Lorsque les quatre stratégies ont été clairement expli- quées (après environ quatre séances), l'enseignement réciproque en tant que tel débute. Le ma- tériel de lecture est puisé dans divers manuels scolaires et consiste en des extraits de romans.

Au début de chaque séance, s'il y a plus d'un élève, ils se répartissent les quatre stratégies. Par exemple, si la chercheuse travaille avec deux élèves, chacun assume deux stratégies. À la suite d'une lecture silencieuse d'un paragraphe, l'élève anime sa stratégie : il pose des questions ou demande des questions à l'autre, il clarifie ou demande ce qui doit être clarifié, il résume ou demande les idées importantes et, tout au long, il prédit et s'enquiert des prédictions de son collègue. En verbalisant sa compréhension d'une stratégie, l'élève nomme ce qu'il maitrise ou non et donne ainsi des indices à la chercheuse pour l'aider. À tout moment, elle se réserve le droit de corriger l'élève par des rétroactions fournies en direct. Ce travail de rétroactions correc- tives fournies presque immédiatement permet de travailler dans la zone proximale de dévelop- pement de l'élève. Au fil des séances, ces rétroactions diminuent, car l'élève devient apte à ani- mer seul la stratégie. Ce déroulement se répète pour la durée d'implantation de 20 journées, idéalement consécutives, à raison de 45 minutes par séance. À la fin de chaque séance, les élèves passent une courte évaluation avec un texte à lire suivi de 10 questions26. Ces tests sont corrigés immédiatement et remis en début de la séance suivante aux élèves afin que ceux-ci constatent leur progrès ou ce qu'ils doivent améliorer. Les résultats de ces tests quotidiens servent de me- sure de comparaison entre le début de l'intervention et la fin, lors de la vingtième semaine.

Durant toutes ces séances, la logistique de l'intervention permet de respecter deux con- ditions d'expérimentation. Premièrement, les élèves bénéficient de la présence d'un adulte qui permet de garder une ambiance de discussion saine, d'offrir beaucoup de rétroactions et de con- trôler la désinformation. Par désinformation, les chercheuses entendent les erreurs que les élèves formulent lors de la discussion par méconnaissance (Palincsar et Brown, 1984). Deuxièmement, aucune logistique particulière n'est requise pour occuper les autres élèves de la classe, puisque

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soit tous les élèves s'impliquent dans la tâche de lecture, soit la chercheuse ne travaille qu'avec un ou deux élèves retirés de la classe. Ces conditions d'expérimentation, bien qu'elles nous sem- blent presque idéales, ne concordent pas avec un contexte habituel d'enseignement, alors que l'enseignant assume la totalité des leçons de la classe.

Parmi d'autres recherches menées par Palincsar et Brown, trois valident la différence entre un expérimentateur chercheur et un expérimentateur enseignant (1984, 1984a, 1987) et une (1985) compare l'enseignement réciproque avec un enseignement essentiellement de straté- gies. Les deux chercheuses reprennent toujours un déroulement similaire avec 24 élèves faibles compreneurs de secondaire 1. D'après les résultats obtenus et résumés dans le tableau XI, peu importe l'expérimentateur (chercheuse, enseignant ou tuteur), il y a une différence entre le pre- mier test et celui de la vingtième semaine, signe d'une modification dans la performance de l'élève en compréhension de la lecture et de l'efficacité de ce dispositif dans ce contexte précis d'expérimentation avec un enseignant ou un chercheur.

Tableau XI Études de validation de l'enseignement réciproque de 1982 à 1987

Année Type

d’expérimentateur

Résultats moyens aux tests 1 et 20

1984 Chercheuse ER : 30 % au test 1, 80 % au test 20.

1984 Enseignant ER : 40 % au test 1, 80 % au test 20.

1985 Chercheuse ER : 55 % au test 1, 88 % au test 20.

Enseignement de stratégies : 38 % au test 1, 48 % au test 20.

1987 Élèves-tuteurs ER : 54 % au test 1, 88 % au test 20.

*ER : enseignement réciproque.

** Nous présentons deux résultats : celui obtenu en moyenne au test 1 après la première séance et celui obtenu au test 20 après la dernière.

Rosenchine et Meister (1994) abondent en ce sens dans une recension de 16 études en enseignement réciproque et ne constatent pas de différence significative si l'enseignant ou la chercheuse est responsable de l'expérimentation.

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L'étude de 1985 compare l'enseignement réciproque avec un enseignement explicite de stratégies. À cette époque, on évoque le fait que ce n'est pas l'enseignement réciproque dans sa combinaison d'un enseignement explicite de stratégies pratiquées par de la discussion collabo- rative qui est fructueuse, mais simplement l'enseignement explicite de stratégies qui gagne en popularité (Palincsar, 1985). Les chercheuses formulent donc deux conditions expérimentales : l'une d'enseignement réciproque et l'autre d'enseignement explicite de stratégies. Le déroule- ment est le même, mais elles retirent la discussion collaborative dans la deuxième condition expérimentale. Les résultats, nettement à l'avantage de l'enseignement réciproque (88 % contre 48 % au vingtième test comme l’indique le tableau XI), laissent supposer de la supériorité de ce dispositif incluant la discussion collaborative sur l'enseignement explicite de stratégies (Pa- lincsar, 1985).

Si l'ensemble des résultats obtenus lors de ce processus de validation apparait à l'avan- tage de l'enseignement réciproque, deux aspects méthodologiques seraient instructifs à confron- ter au contexte de la classe ordinaire. Premièrement, le ratio d’un adulte pour un ou deux élèves ne traduit nullement la réalité scolaire, et ce, même en classe spécialisée. Deuxièmement, Pa- lincsar et Brown n'expérimentent jamais dans le contexte d'une classe ordinaire comportant un nombre plus élevé d'élèves avec des profils d'apprenants variés, elles ciblent plutôt des élèves précis, tous faibles compreneurs. Ces études de Palincsar et Brown apportent, certes, plusieurs informations pertinentes dans l'application de leur dispositif, mais elles s'avèrent incomplètes pour effectuer une implantation en classe ordinaire. Il faut donc se référer à d'autres études ef- fectuées dans ce contexte.