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CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE

2.2 Le développement de la compréhension en lecture

2.3.3 Le développement de l'inférence

2.3.3.2 Le développement de l'inférence chez l'élève du primaire

Cain et Oakhill (2012)

À notre connaissance, la recherche d’Oakhill et Cain (2012) représente l'une des rares recherches longitudinales menée en compréhension de la lecture. Effectuée sur une période de 4 années, elle s'adresse à 83 élèves, évalués à 3 reprises à 7, 9 et 11 ans. L'originalité de cette étude repose sur la quantité de variables mises en relation pour expliquer le développement de la compréhension en lecture, comme, par exemple, l’inférence. Les chercheuses souhaitent vé- rifier si les opérations liées à la compréhension linguistique (soit la gestion de la compréhension, la connaissance des structures de récit et l'inférence) apportent une contribution unique à la compréhension en lecture, c’est-à-dire indépendamment de l'effet de variables affiliées à la re- connaissance des mots. Ces variables sont, comme le rapportent les auteures, la fluidité en lec- ture de mots (c’est-à-dire la précision et la vitesse avec laquelle les mots sont lus), la conscience phonologique ainsi que d'autres variables comme le vocabulaire, la mémoire de travail, les con- naissances grammaticales et le quotient intellectuel.

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Dès le départ, les participants réalisent le test Neale (version de 1989) afin que l'évalua- teur statue, entre autres, de leur niveau en compréhension de la lecture. La formule utilisée par ce test consiste à augmenter progressivement le niveau de difficulté de la lecture et des questions de compréhension. Le nombre de réponses correctes indique le niveau de lecture de l'élève. Par la suite, afin de vérifier leurs questions de recherche, Oakhill et Cain (2012) ont recours à plu- sieurs outils d’évaluation qu’elles administrent à chaque cueillette de données, mais dont la plu- part sont modifiés à chaque temps de passation de manière à ce que ceux-ci se complexifient avec les années scolaires. Dans un premier temps, les opérations liées à la compréhension lin- guistique en lecture sont évaluées à l’aide des tâches suivantes. La première tâche permet d’éva- luer la gestion de la compréhension et requiert de lire deux courtes phrases et de détecter les erreurs qu’elles contiennent. La deuxième tâche permet d’évaluer la connaissance de la structure du récit et se décline en deux sous-tâches, soit une tâche de reconstitution d'histoires et une tâche visant à vérifier la compréhension du titre d’une histoire. En ce qui a trait à l’évaluation de l'inférence, les chercheuses proposent trois tâches aux élèves. La première tâche consiste à écou- ter un texte comportant trois phrases. Ensuite, l'examinateur énonce quatre phrases à l’élève et lui demande si chacune d’entre elles fait partie du texte entendu. Parmi les quatre phrases énon- cées par l’examinateur, deux proviennent littéralement du texte entendu, une constitue une in- férence d'élaboration valide qui combine des informations du texte avec d'autres informations en lien avec celui-ci et une représente une inférence qui n'est pas valide. Les deux autres tâches se distinguent parce que l'élève lit seul de courts textes pour lesquels il doit ensuite répondre à six questions (deux littérales et quatre inférentielles). Les auteures réutilisent ici des textes qu'elles ont composés pour leur recherche de 1999. À titre d'exemple, l'élève lit l'histoire de deux enfants qui s'amusent à construire des châteaux de sable parce que l'eau est trop froide. Constatant l'heure tardive, ils rentrent chez eux en pédalant le plus vite possible afin de ne pas se faire gronder pour leur retard au souper. Les questions inférentielles d'élaboration demandent le lieu où les enfants ont joué et comment ils sont revenus à leur maison. Nulle part dans le texte, il n'est fait mention explicitement d'une plage et de vélos. L'élève doit le déduire à l'aide des informations du texte (Cain et Oakhill, 1999). Dans un deuxième temps, les variables reliées à la reconnaissance de mots sont aussi testées et analysées en profondeur quant aux liens qu'elles

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partagent mais, dans les limites de cette recherche, nous ne relatons que les résultats relatifs aux composantes de la compréhension linguistique.

L'analyse des tests relativement à la compréhension linguistique permet aux chercheuses de dégager le rôle important que jouent le niveau d’habileté en production d’inférences sur la compréhension en lecture. En effet, les résultats aux tâches d'inférence sont toujours significa- tivement corrélés à ceux obtenus en compréhension de la lecture, et ce, peu importe le temps de passation. Également, les résultats aux tâches portant spécifiquement sur l'inférence augmentent au fil des trois temps d'évaluation, ce qui soutient l'idée que l'inférence poursuit son développe- ment durant la scolarité primaire de l'élève. En parallèle, soulignons également que les résultats obtenus au test de gestion de la compréhension sont toujours significativement corrélés à ceux en compréhension de lecture, alors que ceux en lien avec la connaissance des structures de récit obtiennent une force de corrélation plus faible avec celle-ci. Les principales conclusions déga- gées par cette recherche mettent en relief le lien entre la capacité précoce à produire des infé- rences et le développement de la compréhension en lecture.

Barnes, Dennis et Haefele-Kalvaitis (1996)

Barnes, Dennis et Haefele-Kalvaitis (1996) effectuent une recherche auprès de 51 élèves âgés entre 9 et 15 ans. Leur intention est de vérifier l'effet des connaissances personnelles d'un élève sur sa capacité à comprendre un texte. Il serait logique de prétendre que, de manière gé- nérale, plus un élève grandit, plus celui-ci devrait développer des connaissances personnelles. En ce sens, les auteures établissent cinq tranches d'âge pour distinguer les participants de leur étude, soit 1) 6-7 ans, 2) 8-9 ans, 3) 10-11 ans, 4) 12-13 ans et 5) 14-15 ans, tranches entre lesquelles les chercheuses comparent leurs résultats11. Pour mener leur étude, elles créent une planète imaginaire, appelée Gan, et formulent 20 faits relatifs à propos de celle-ci (par exemple, les lacs sont faits de jus d'orange). Ainsi, une même quantité d'informations devrait être dispo- nible, c'est-à-dire présente dans la mémoire des élèves au fur et à mesure qu’ils apprennent ces 20 faits. Dans un premier temps, tous les élèves sont amenés à mémoriser ceux-ci. Par exemple, on leur dit que sur cette planète, la fourrure des ours est bleue, que les lacs et les rivières sont

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faits de jus d'orange, que les tortues se déplacent avec des patins… Après avoir nommé ces faits, les chercheuses testent ce que les participants ont mémorisé à l’aide d’une tâche de rappel. Par la suite, dix épisodes écrits en lien avec les informations déjà données sont lus individuellement par les élèves (par exemple, l'épisode 8 raconte l'histoire de deux personnages, Dack et Tane, qui ont cueilli des framboises; à leur retour, la température chute tellement que la route se glace et qu'il leur faut mettre leur manteau fait de fourrure d'ours; dès qu'ils mettent le pied sur le chemin glacé, ils dérapent et Dack se retrouve par terre, écrasant les framboises rangées dans son sac; Tane souhaite l'aider mais s'écrase à son tour, se retrouvant avec des traces rouges de framboises partout sur lui, le faisant ressembler à un boxeur à la suite d'un combat échoué). Après leur lecture, chaque élève lit et répond individuellement à quatre questions. Pour chaque épisode, il y a toujours 1) une question d'inférence d'élaboration, qui nécessite de faire des liens avec les 20 faits nommés (par exemple, que sortent de leur sac les animaux pour se réchauffer? (réponse attendue : leur manteau bleu de fourrure d'ours)); 2) une question d'inférence de cohé- sion, pour laquelle l'information est présente seulement dans le texte lu, mais qui nécessite de faire des liens (par exemple, que souhaitent les personnages en constatant que la rue est gelée? (réponse attendue : être des tortues qui se déplacent en patinant)); 3) une question littérale (par exemple, qu'est-ce qui arrive à Dack? (réponse attendue : il tombe sur la glace en premier)); 4) une question de logique avec les informations du texte (par exemple, pourquoi compare-t-on

Tane à un boxeur? (réponse attendue : à cause des framboises sur lui qui ressemblent à des

blessures de boxe)).

À connaissances égales, les résultats ne sont pourtant pas les mêmes entre les différents groupes d'âge. Les élèves de 6-7 ans formulent un nombre significativement inférieur d’infé- rences de cohésion (p < .001) et d'inférences d'élaboration (p < .0001) par rapport aux plus vieux de 14-15 ans qui en formulent davantage (Barnes, Dennis et Haefele-Kalvaitis, 1996). Le ta- bleau VI résume cette augmentation dans la formulation d'inférences au fil des tranches d'âges Tableau VI Résultats obtenus pour les inférences de cohésion et d'élaboration en fonction des

tranches d’âge étudiées (Barnes, Dennis et Haefele-Kalvaitis, 1996, p. 224) Types d'inférence

Tranches d'âge Cohésion Élaboration

59 8-9 10-11 12-13 14-15 50 % 67 % 66 % 81 % 29 % 36 % 41 % 66 %

Ces résultats montrent des différences développementales dans la capacité à inférer. Si les participants disposaient de connaissances en lien avec les thèmes abordées dans les questions de compréhension qui étaient égales au départ, les chercheuses soulèvent l'hypothèse selon la- quelle la capacité à accéder aux informations et à s'en servir pour formuler des inférences peut différer selon l'âge. Les participants qui disposaient de connaissances égales n'ont peut-être pas tous su y accéder avec la même efficacité. Ce constat amène les chercheuses vers une deuxième étude.

Dans cette seconde étude, Barnes, Dennis et Haefele-Kalvaitis (1996) contrôlent l'acces- sibilité des mêmes vingt faits par une tâche de rappel semblable à celle utilisée dans l’étude antérieure, mais dont elles mesurent la durée. La durée prise pour rappeler l'information devient ainsi la mesure d'accessibilité des faits énoncés. Par la suite, la méthodologie de l'étude 1 est reprise auprès de participants comparables. Les résultats démontrent une relation significative- ment positive (p < .0001) entre la vitesse de formulation d'une inférence, le type d'inférence et l'âge des élèves. En général, les élèves plus jeunes prennent plus de temps pour formuler un nombre d'inférences inférieurs à celui produit par les plus vieux, peu importe le type d'inférence. Plus précisément, les résultats de cette recherche démontrent une différence quant aux types d'inférences à formuler : l'inférence d'élaboration prend toujours plus de temps à être formulée que l'inférence de cohésion, peu importe la tranche d'âge. Cette différence est significative (p < .0001) pour l'ensemble des élèves, sauf pour les plus vieux (14-15 ans). Ensuite, la relation entre la vitesse de formulation et le type d'inférence change au fil des tranches d'âges. L'inférence de cohésion prend significativement plus de temps à être formulée seulement chez les plus jeunes (de 6 à 9 ans). Pour les sujets entre 6 et 13 ans, l'inférence d'élaboration prend plus de temps à être formulée que l'inférence de cohésion. En résumé, malgré le fait qu'une même quantité d'informations soit disponible en mémoire, l'élève se distingue selon son âge de par sa capacité à accéder à cette information et la quantité d'inférences qu'il peut formuler. Selon les données

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de cette recherche, au fil du développement, non seulement la quantité d'inférences varie, mais le type aussi, autant pour l'inférence d'élaboration que celle de cohésion (Barnes et al., 1996).

Les recherches menées auprès d'enfants d’âge préscolaire et d'élèves du primaire que nous avons présentées soutiennent l'idée selon laquelle le développement de l'inférence est tri- butaire de variables qui l'accélèrent ou le ralentissent tel que les connaissances personnelles, l'accès aux informations dans la mémoire, le vocabulaire ou les connaissances grammaticales. Si l’on établit un parallèle avec la population scolaire qui nous intéresse, on peut poser le pos- tulat selon lequel l'élève du 3e cycle du primaire a amorcé son apprentissage de l'inférence très jeune et que cet apprentissage se poursuit à cette époque de sa scolarisation, mais avec des lec- tures qu'il doit faire par lui-même. Or, au sein d'une même classe, certains élèves réussiront à accéder à leurs connaissances personnelles ou mémoire pour formuler des inférences, alors que d'autres éprouveront des difficultés liées à ces mêmes variables, ce qui peut nuire, entre autres, à leur accès au sens d’un texte. De plus, tel que mentionné dans la problématique, les questions d'évaluation qui nécessitent de formuler une inférence pour être répondues sont généralement les moins bien réussies. En ce sens, il est important d'examiner des recherches portant sur des populations d'élèves aux prises avec des difficultés inhérentes à la formulation d'inférences, ce dont il sera question dans la prochaine section.