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CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE

2.2 Le développement de la compréhension en lecture

2.3.2 Les classes d'inférence

2.3.2.2 L’hypothèse minimaliste (McKoon et Ratcliff, 1994)

Les chercheurs McKoon et Ratcliff (1994), à la tête de cette hypothèse minimaliste, abondent dans le même sens que les constructionnistes au sujet du caractère non essentiel de l'inférence d'élaboration, mais ces chercheurs se distinguent en ajoutant que l'inférence globale revêt elle aussi un caractère optionnel. Ils stipulent qu'il n'y a qu'une seule inférence essentielle, d'où la justification de son caractère minimaliste. Il s'agit de l'inférence qu'ils appellent « néces- saire », car elle permet la cohésion locale du texte et assure l'essentiel de la compréhension. Ces chercheurs établissent toutefois la présence d'autres types d'inférences optionnelles. La typolo- gie d'inférences qu'ils proposent, présentée dans le tableau IV, se décline en deux grandes caté- gories : l'inférence essentielle et l'inférence optionnelle.

Dans la classe de l'inférence essentielle, il y a l'inférence nécessaire qui se subdivise en sous-catégories classées selon que l'inférence soit générée automatiquement ou stratégiquement. Il s'agit de l'inférence référentielle ou anaphorique, lorsqu'il faut trouver quel mot remplace un référent, pronom ou synonyme, de l'inférence relationnelle, qui relie les différentes propositions d'une phrase entre elles, et l'inférence causale locale, qui reprend le fil de cause à effet entre les phrases d'un paragraphe (McKoon et Ratcliff, 1992). Dans la phrase suivante, Lucie rencontre

ses étudiantes individuellement, ce qui permet de mieux les connaitre, l'élève infère que le réfé-

rent « les » et le nom « étudiantes » représentent les mêmes personnages et que l'auteur établit une causalité entre une rencontre individuelle et la possibilité de mieux connaitre ses étudiantes. Pour établir cette cohésion locale, les minimalistes expliquent que l'inférence peut être générée automatiquement, si l'information est facilement récupérable en mémoire de travail ou stratégi- quement, si l'élève doit effectuer une recherche plus approfondie pour formuler son inférence. Par exemple, un lecteur expérimenté fait automatiquement le lien entre un pronom et le nom qu'il remplace alors qu'il doit parfois réfléchir davantage à certaines relations anaphoriques.

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Dans la phrase suivante, Mikaël quitte la maison tôt chaque matin. Il préfère s'entrainer avant

ses cours au lieu de devoir y aller tard le soir, le prénom « Mikaël » et le pronom « il » peuvent

rapidement être reliés, alors que le pronom « y » nécessite un arrêt pour effectuer un lien avec un lieu implicite d'entrainement. L'inférence anaphorique entre « il » et « Mikaël » peut être générée automatiquement, alors que le « y » suggère un comportement plus stratégique de l'élève. Les minimalistes sont les premiers à effectuer cette distinction entre une inférence gé- nérée automatiquement ou stratégiquement (Lavigne, 2008).

Tableau IV Classification des inférences selon McKoon et Ratcliff (1992)

Moment Caractère Classe Automatique Stratégique

Durant la lecture Inférence essen- tielle

Nécessaire Référentielle Relationnelle Cause effet Après la lecture Inférence option-

nelle Élaboration

Instrumentale Sémantique

Catégorie Globale

Ensuite, à l’instar de leurs collègues constructionnistes, les minimalistes ne considèrent pas l'inférence d'élaboration comme essentielle à la cohésion locale, mais ils admettent tout de même l'existence de trois types d'inférences dans cette classe qui soutiennent de manière indi- recte la cohésion locale. Il s'agit de l'inférence instrumentale, sémantique et de catégorie. Une inférence instrumentale relie un objet à une action, comme dans la phrase « Un crayon pour écrire », une inférence sémantique relie un mot directement à son explication comme dans « La neige accumulée forme une congère », et une inférence de catégorie relie un mot à un terme plus général, comme dans « Naomi porte cette jupe, car ce vêtement lui convient ». L'inférence glo- bale ne serait requise que lors d'un bris de compréhension lorsque la cohésion locale d'un texte n'a pas été maintenue, contrairement à ce que supposent les constructionnistes. Afin de démon- trer leurs assertions, les chercheurs effectuent quelques recherches auprès de clientèles adultes.

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À titre d'exemple, McKoon et Ratcliff (1992) effectuent une expérimentation auprès de 30 sujets étudiants universitaires en psychologie. Ils leur font lire un court texte de deux para- graphes. Le premier paragraphe est identique pour tous les sujets et raconte l'histoire du meurtre d'un président (but principal) avec un fusil (but subordonné). Pour le deuxième paragraphe, ils proposent trois scénarios différents. Le premier scénario, lu par 10 étudiants, suit la logique du premier paragraphe : le meurtrier tue le président avec le fusil et s'enfuit. Les deux autres scé- narios, lut chacun par 10 étudiants, diffèrent au niveau de ce qu’insinue le premier paragraphe. Ils font état d'un bris dans l'arme du crime qui oblige le meurtrier à procéder autrement, soit en changeant de position de tir (deuxième scénario) soit en utilisant plutôt une grenade (troisième scénario). La cohérence locale des trois textes est maintenue dans l'atteinte du but principal, tuer le président (McKoon et Ratcliff, 1992).

Ensuite, les chercheurs présentent un mot à la fois aux étudiants en leur demandant si ce mot était présent dans le texte qu'ils viennent de lire. Les chercheurs calculent l'exactitude et la vitesse de chaque réponse. Puisque la cohérence locale est présente dans chaque version du texte, les minimalistes croient qu'il n'y aura pas de différence entre les étudiants dans leur ré- ponse étant donné que la cohérence globale n'est pas nécessaire à une compréhension de ce texte. Si l'on se réfère au modèle constructionniste, les étudiants qui ont lu la première version du texte dans laquelle la cohérence est plus évidente à dégager devraient obtenir des résultats supérieurs. Or, tous les étudiants obtiennent les mêmes temps de réaction et un niveau d'exacti- tude comparable, peu importe la version du texte, ce qui fait dire aux minimalistes que ce qui importe le plus c'est de formuler les inférences qui assurent la cohésion locale.

Ces chercheurs effectuent d'autres expérimentations dans lesquelles ils présentent des textes avec des incohérences sur le plan local et qui obligent le lecteur à inférer globalement le sens du texte. Ils appuient à nouveau leur assertion stipulant que l'inférence globale n'est générée qu'en cas d'incohérence locale. Lorsque le texte est cohérent, les inférences nécessaires s'avèrent suffisantes pour assurer la cohésion locale du texte et permettre un accès au sens (McKoon et Ratcliff, 1992).

Les minimalistes confèrent donc un rôle essentiel à certaines inférences et expliquent que d'autres revêtent un caractère optionnel. Plus précisément, les minimalistes affirment que

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non seulement l'inférence élaborative, mais aussi l'inférence globale ne seraient générées qu'après la lecture et seraient facultatives à l'élaboration d'un texte cohérent nécessaire pour créer un modèle de situation. Rappelons que les minimalistes confèrent un caractère automa- tique principalement pour l'inférence référentielle (ou anaphorique) en opposition aux autres types d'inférence qui requièrent un comportement stratégique de l'élève.

En résumé, les constructionnistes et les minimalistes s'opposent en trois points en ce qui a trait à la cohérence locale du texte. Premièrement, quant au moment de la lecture où une infé- rence globale est générée : pendant, pour les constructionnistes, et après, pour les minimalistes. Deuxièmement, quant à l'inférence qui permet le plus de comprendre un texte : l'inférence glo- bale, pour les constructionnistes, et l'inférence nécessaire axée sur la cohésion locale, pour les minimalistes. Troisièmement, quant à l'existence d'inférences que seuls les minimalistes jugent optionnelles, soit les inférences globales. Ils se rejoignent cependant sur le fait que l'inférence élaborative n'est pas toujours essentielle à la compréhension d'un texte.

Si le modèle constructionniste et l'hypothèse minimaliste agencent différemment les classes d'inférences et leur octroient des rôles et des statuts différents, le modèle de Kintsch (1978, 1988, 1998) propose une troisième classification de l'inférence basée sur de nouveaux arguments.