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CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE

2.4 L'enseignement de la compréhension en lecture

2.4.1 La compréhension en lecture par un enseignement explicite de stratégies

2.4.1.3 Les typologies de stratégies de compréhension en lecture et leur application

tion d'une seule stratégie et à la vérification de son impact sur la compréhension de l'élève (Pear- son, 2009). Considérant les multiples variables impliquées dans la compréhension d'une lecture (mémoire, connaissances personnelles, structure de texte, vocabulaire, etc.), plusieurs cher- cheurs concluent qu'il serait préférable de combiner diverses stratégies et d'enseigner à l'élève à

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distinguer quand appliquer telle stratégie plutôt qu'une autre (Collins Block et Pressley, 2003; Duffy, 2002; Palincsar et Brown, 1984). L'un des dispositifs précurseurs mariant plus d'une stratégie est l'enseignement réciproque de Palincsar et Brown (1984). Ces chercheuses sont parmi les premières à proposer un dispositif privilégiant un enseignement explicite combinant quatre stratégies de compréhension, soit la prédiction, le questionnement, la clarification et le résumé (Pearson, 2009). Par la suite, plusieurs autres chercheurs tentent d'agencer les stratégies et proposent des typologies.

La typologie qui est le plus souvent mentionnée dans les recherches regroupe les straté- gies selon le moment de la lecture (avant, pendant et après) (voir Giasson, 2011; Duffy, 2002). Des exemples de ces stratégies sont présentées dans le tableau IX. Ainsi, avant la lecture, le lecteur non seulement explore, mais dès cette étape, il active ce qu'il connait du sujet pour faci- liter sa lecture. Pendant la lecture, il est question d'un travail sur les éléments du texte mais, à nouveau avec ce que le lecteur connait déjà. Finalement, après la lecture, il s'agit de se créer un modèle de situation par le résumé et de faire des liens avec des lectures précédentes. Ainsi, un double travail s'opère constamment entre ce que fournit explicitement le texte et les ressources personnelles du lecteur. D'autres regroupent les stratégies selon leur fonction. C'est le cas de Dignath et Büttner (2008) qui proposent des stratégies de repérage (surligner), d'élaboration (résumer) et d'organisation (schématiser), ainsi que de Kelly et Clausen-Grace (2007) qui pro- posent cinq catégories : prédire, faire des liens, questionner, visualiser et résumer.

Tableau IX Exemples de stratégies cognitives de compréhension

Stratégies Avant la lecture Pendant la lecture Après la lecture

C

ognit

ives

-Activer les connais- sances antérieures (inférence);

-Énumérer ce qu'on ne sait pas;

-Avoir une intention; -Survoler le texte.

-Clarifier les mots/expressions; -Se questionner;

-Effectuer des liens avec ses connaissances (inférence); -Lier les parties du texte (infé- rence);

-Se créer des images mentales; -Sélectionner les idées impor- tantes.

-Résumer;

-Revoir l'intention; -Faire des liens avec d'autres lec- tures.

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Les lecteurs disposent donc de stratégies de compréhension en lecture. Il reste à savoir lesquelles enseigner et comment les intégrer à un enseignement explicite. Principalement, ce sont les travaux de Duffy et son équipe qui s'attardent à l'intervention de l'enseignant. Selon eux, l'enseignant devrait commencer par expliquer ce que signifie la stratégie choisie (connaissances déclaratives), puis enseigner comment l'utiliser (connaissances procédurales) et quand l'appli- quer (connaissances conditionnelles), ce qui s'apparente à la phase du modelage de l'enseigne- ment explicite. Duffy ne spécifie pas de stratégies explicitement liées à son dispositif, mais pro- pose plutôt que l'enseignant dispose d'une grande latitude dans le choix de la stratégie à appli- quer en fonction du texte choisi. Ce chercheur précise d'ailleurs qu'un enseignement de stratégies de compréhension en lecture ne peut suivre un déroulement rigide. Au contraire, l'enseignant qui enseigne des stratégies de compréhension en lecture s'adapte aux nombreux imprévus, mais sait aussi récupérer les occasions d'apprendre que cet enseignement suscite soit pour donner de nouveaux exemples, soit pour diversifier ses explications. Ensuite, l'enseignant propose diverses tâches aux élèves en lien avec ce qui a été expliqué et ajuste son intervention en fonction de leurs besoins. Ainsi, selon Duffy, l'efficacité d'un enseignement explicite de stratégies de com- préhension repose beaucoup sur l'expertise de l'enseignant. Cette aisance ne vient pas spontané- ment à tous et des formations s'avèrent parfois nécessaires (Duffy, 2002, 2003).

Outre les travaux de Duffy et son équipe, plusieurs autres chercheurs expérimentent un enseignement explicite de stratégies de compréhension, et ce, dans divers contextes, à un point tel que la quantité de recherches disponibles permet d'effectuer des méta-analyses. Une méta- analyse compare des recherches qui utilisent un groupe expérimental et un groupe contrôle. On calcule la différence entre la moyenne obtenue par le groupe expérimental et celle du groupe contrôle, divisée par l'écart-type du groupe contrôle (Bissonnette et al., 2010). Le résultat obtenu s'appelle l'effet d'ampleur et permet un comparatif entre des études qui utilisent des mesures variées autrement difficiles à comparer. Bissonnette, Richard, Gauthier et Bouchard (2010) ef- fectuent une méga-analyse qui compare les effets d'ampleur de 11 méta-analyses s'adressant à des clientèles en difficulté de plus de 30 000 élèves. Ils établissent un seuil de base de .40 comme

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effet d'ampleur. Les méta-analyses en enseignement explicite obtiennent des résultats qui oscil- lent entre .41 et 1.18. Selon ces chercheurs « les résultats montrent que les méthodes d'ensei- gnement structurées, telles que l'enseignement explicite, sont celles à privilégier pour l'ensei- gnement des matières de base, particulièrement auprès des élèves en difficulté » (p. 28). Souli- gnons toutefois que ces recherches ne tiennent pas compte de la réalité de la classe ordinaire qui se compose non seulement d'élèves en difficulté, mais aussi d'élèves ayant d'autres profils d'ap- prenants.

En ce sens, Turcotte, Giguère et Godbout (2012) effectuent une recherche qui se déroule en milieu défavorisé et dont le but est d'expérimenter un enseignement explicite de stratégies en classe ordinaire en ayant recours à des textes courants. Comme mentionné dans la probléma- tique, les élèves en milieu défavorisé sont plus à risque d'échec scolaire, entre autres à cause de leurs difficultés en lecture (voir les travaux de Desrosiers et Tétreault, 2012). Les textes cou- rants, nettement moins utilisés au primaire, concernent pourtant une part importante des lectures effectuées éventuellement au secondaire pour apprendre par la lecture, d'où la nécessité de les aborder au primaire (voir l'étude de Cartier, 2006).

Ces chercheuses collaborent avec 20 enseignants auxquels elles offrent une formation de deux journées sur l'enseignement explicite de stratégies et sur le modèle de compréhension d’Irwin (1986). Les stratégies choisies se déclinent ainsi : prédiction, activation des connais- sances antérieures, identification des structures de texte, questionnement, compréhension des mots de substitution, compréhension de mots en contexte et avec la morphologie et identifica- tion de l'idée principale explicite et implicite. Lors des journées de formation, les enseignants du groupe expérimental reçoivent un guide qui explique et détaille la teneur des stratégies et le contenu des enseignements qui y sont liés (connaissances déclaratives, procédurales et condi- tionnelles) ainsi que des activités pour faciliter cet enseignement et une banque de textes à im- primer ou à projeter sur un tableau interactif. En ce qui a trait aux participants, des élèves de la 4e à la 6e année font partie soit du groupe expérimental (n= 273), soit du groupe contrôle (n= 101). Tous ces élèves passent une épreuve de compréhension de lecture en prétest et en post- test. Il s'agit de trois textes dont le niveau de difficulté a été contrôlé par le logiciel de lisibilité

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LISI de Mernager (2012) avec une longueur variant de 548 mots (4e année) à 692 mots (6e an- née). Composés par les chercheuses, chaque questionnaire accompagnant les textes comprend 11 questions qui réfèrent à l'un des processus établis par Irwin (1986).

Les résultats obtenus au prétest indiquent que le groupe contrôle est nettement plus per- formant que le groupe expérimental. Pourtant, les chercheuses s'étaient assurées que toutes les classes provenaient de milieux similaires (indice de défavorisation de 9 sur 10) (Turcotte, Giguère et Godbout, 2015). Par contre, à la suite de l'intervention, tous les groupes expérimen- taux affichent des progrès significatifs entre le prétest et le post-test, tel que résumé dans le tableau X. Par exemple, les groupes expérimentaux de 4e année ont en moyenne 4,34 questions réussies de plus à la fin du projet que ceux du groupe contrôle (soit 1,61 question réussie en moyenne).

Tableau X Résultats au prétest et post-test de la recherche de Turcotte et al. (2015)

Élèves N Moyenne prétest Moyenne post-test Moyenne des progrès

4e avec intervention 110 6,8* 11,15 4,34 4e sans intervention 36 9,54 11,19 1,61 5e avec intervention 89 9,1 12,13 2,98 5e sans intervention 30 12,34 12,83 0,23 6e avec intervention 74 8,6 12,75 4,08 6e sans intervention 35 11,69 12,65 1,03

*Le total est de 16 points en 4e et 18 en 5e et 6e année.

L'analyse de ces résultats doit cependant se faire avec prudence, car l'instrument de me- sure, bien que construit avec rigueur, n'a été créé et utilisé que pour cette étude. Finalement, les chercheuses soulignent l'importance des formations et de l'accompagnement en cours d'expéri- mentation pour les enseignants.

En bref, l'enseignement explicite de stratégies de compréhension représente un dispositif efficace, reconnu pour faire progresser l'élève dans sa compréhension d'un texte. Les recherches actuelles tendent à proposer davantage une combinaison de stratégies plutôt qu'un enseignement qui isole une seule stratégie afin d'outiller l'élève devant la diversité de problèmes que peut

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présenter une lecture. C'est le cas de l'enseignement réciproque qui propose une combinaison de quatre stratégies à enseigner explicitement. Toutefois, l'enseignement explicite ne représente pas la solution à adopter unilatéralement (Rosenshine, 1986). Comme mentionné précédem- ment, l'enseignement explicite en général, mais aussi pour des stratégies de compréhension en lecture, s'avère plus efficace lorsque l'enseignant aborde une nouvelle leçon ou qu'il souhaite outiller ses élèves dans l'apprentissage d'une procédure plus complexe. Dans ces contextes, l'en- seignement explicite bénéficie autant aux élèves en difficulté qu'à ceux plus doués. Autrement, cet enseignement, à cause de sa séquence lente et progressive, risque de désengager les élèves les plus doués qui ont déjà compris la leçon (Rosenshine, 1986). Aussi, on reproche aux tenants de cet enseignement de choisir des textes essentiellement selon la stratégie à enseigner (Guthrie

et al., 2004; Palincsar et Schutz, 2011). Ainsi, le contenu du texte est considéré moins important,

comparativement à la présence d'indices pour appliquer une stratégie. Cela vaut aux textes uti- lisés en enseignement explicite de stratégies de souvent être décontextualisées, par exemple, de ne pas être intégrées dans un thème (Palincsar et Schutz, 2011). Dans cette logique, un ensei- gnement essentiellement de stratégies ne prend pas suffisamment en compte l'acquisition des connaissances qu'un élève acquiert en lisant, ce à quoi pallie un enseignement par l'imprégnation (McKeown et al., 2009; Palincsar et Schutz, 2011).