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2.3. L’histoire des ILS

2.3.1. Vers une professionnalisation

En France, la profession s’organise vers la fin des années 70 avec la création de la première association d’interprètes, l’ANFIDA (Association Nationale Française des Interprètes pour

26 La violence des propos des uns et des autres est très facilement observable sur certains forums internet concernés (oralistes et gestuels) qui incarnent de façon moderne ce qui pouvait se passer lors de grandes réunions institutionnelles.

Déficients Auditifs), qui cherche dès 1980 un partenariat pour répondre au besoin urgent de créer une première certification professionnelle permettant d’asseoir la profession et de se démarquer du rôle social qui lui était généralement attribué. Le premier « diplôme », appelé alors « Capacité communicationnelle du premier degré », se crée en partenariat avec l’INJS (Institut National des Jeunes Sourds de Paris) et voit le jour en 1980. Une interprète interviewée nous raconte qu’à l’époque ;

« Ils évaluaient simplement ton niveau de langue des signes, c’est tout. Ils n’évaluaient absolument pas si tu pouvais traduire d’une langue vers une autre. (…) Les sourds n’avaient tellement pas l’habitude de pouvoir signer que dès qu’ils voyaient un entendant signer c’était formidable ! »27

Le lien avec l’INJS est alors très important puisqu’à l’instar de la situation dans de nombreux pays, en France, la formation ne se crée pas au sein même des institutions académiques, mais bien dans les réseaux directement liés et concernés par la surdité. Comme nous l’apprenons dans l’interview également, «le responsable pédagogique était placé sous la responsabilité du CPSAS28».

Dès lors, vers 1981, la possibilité de mettre en place une certification du deuxième degré se pose, cette fois en partenariat avec le CPSAS (Centre de Promotion Sociale des Adultes Sourds, alors dénommé CPADS). Cette formation était prévue sous forme de stages de plusieurs jours et visait à évaluer le niveau de maîtrise de la langue des signes du candidat.

L’ANFIDA entreprend de nouvelles recherches pour une collaboration plus académique et ces premiers contacts ont permis de lancer en 1983 un projet de formation plus ambitieux, en collaboration entre le département de LEA de l’Université Paris 8 et le CPSAS : il s’agit du Diplôme de Premier Cycle Universitaire d’interprètes pour Déficients Auditifs. Cette formation n’aura lieu qu’une seule fois ; selon une des interprètes que nous avons interviewée, les étudiants n’étaient pas satisfaits du contenu et mettaient en avant la situation paradoxale d’un intitulé où il est fait mention d’interprétation pourdéficients auditifsdans un contexte où les sourds et les interprètes militaient ensemble pour la reconnaissance de la communauté et de la langue des signes.29

27Voir interview ILS 13 en annexe, pages 444-445

28CPSAS : Centre de Promotion Sociale des Adultes Sourds.

29Voir interview ILS 13 en annexe, page 445

Parallèlement, vers 1986, plusieurs pistes de projets ont vu le jour au sein de l’ANFIDA, notamment un DEUG de communication avec une option « interprète pour déficients auditifs » ou « interprète en LSF ». Une première prise de position sur le point de vue envisagé par la profession se dessine puisque d’un côté, le sigle DA est gardé (Déficient Auditif) qui renvoie à ce que Meynard qualifie de point de vue déficitaire, de l’autre la revendication de la présence du sigle LSF qui met en avant un nouveau regard porté sur la surdité. À l’instar de ce qui se pratique aux États-Unis, et qui sert de modèle à l’époque, il est envisagé plusieurs niveaux de formation : interprète « plein temps », interprète

« occasionnel », interprète « social » ou interprète « de conférence ». Nous noterons que de nombreux pays ont longtemps fonctionné selon ce genre de répartition de l’activité qui devait renseigner sur le niveau de qualification de l’interprète. Suite à cela, les premiers contacts entre l’ANFIDA et l’ESIT (École Supérieure d’Interprètes et de Traducteurs) ont lieu vers 1986 pour mettre en place un projet de formation dont le niveau d’entrée serait plus élevé. En effet, des documents d’archive de l’époque nous informent que se dessinait une formation scindée en deux :

«(une) formation de haut niveau type universitaire avec des étudiants ayant une bonne maitrise des langues. Une autre formation de type régional avec une plus grande souplesse de fonctionnement. Plusieurs contacts ont été pris avec l’ESIT dans la perspective de la formation de haut niveau citée ci-dessus. L’association ANILS devenant organisme de formation continue aurait eu pour mission de mettre en œuvre des plans de formations. Une création d’une commission et beaucoup de contacts ont été pris en ce sens. Et les pourparlers avec l’ESIT devaient reprendre suite à un accord réciproque. »30 Nous voyons ici le projet de décentrement de l’activité de l’interprétation qui tend à s’éloigner de l’ancrage des milieux de la surdité vers une perspective plus professionnelle avec le rapprochement vers les interprètes en langues vocales. Pour autant, suite à des dissensions internes, cette formation ne verra pas aussi rapidement le jour que prévu et il faudra attendre 1992 pour que l’interprétation en langue des signes soit sanctionnée par un diplôme universitaire avec l’ouverture de la section LSF à l’ESIT. En 1988 est créée l’association SERAC (Sourds Entendants Recherche Action Communication), qui ouvre une formation à l’interprétation dont le diplôme est reconnu par la communauté sourde. Cette formation sera ensuite associée à Paris 8 pour la création d’un DFSSU (Diplôme de Formation Supérieure

30Communiqué de Michel Lamothe, alors président de l’ANFILS, voir en annexe ILS 13 p 446-447

Spécialisée d’Université) en 1999, puis du master d’interprétariat en LSF français en 2006.

Trois autres formations31 ont vu le jour depuis, à Lille 3 en 2002, à Toulouse 2 en 2005 et à l’Université de Rouen à la rentrée 2012. Toutes les formations françaises actuelles proposent désormais un diplôme de niveau Master 2 et les quelques tentatives de formation à l’interprétation à un niveau moindre (par des organismes privés ou des associations) se sont toutes soldées par un échec. La France a réalisé entre les années 1980 et les années 2000 une avancée remarquable en termes d’offre de formation et de professionnalisation des interprètes en LSF.