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L’espace d’un point de vue linguistique

Chapitre 5 - Présentation du corpus et des données recueillies

5.2. Analyse des Résultats du corpus principal (corpus 1 à 6)

5.2.1. Les données recueillies sur l’espace

5.2.1.1. L’espace de signation

5.2.1.1.1. L’espace d’un point de vue linguistique

Lorsqu’on parle d’espace en LS, on pense en tout premier lieu à l’espace de signation qui est l’espace directement et ergonomiquement accessible par les mains du signant « (…) ‘sign space’, which is defined as the frame within which a signer’s hands move» (Stewart, Schein et Cartwright ; 1998 : 66), et qui peut se définir comme l’espace de locution au sens premier.

Un schéma de Klima et Bellugi (1979) le représente comme un demi-ovale en trois dimensions dont le centre est le plexus solaire du signant, et qui va généralement de la tête de l’interprète jusqu’aux hanches. Pour autant, cette délimitation n’est pas stricte, car l’interprète peut à tout moment utiliser une autre partie de son corps (ergonomiquement accessible par ses mains) pour les besoins d’un signe lors de son élaboration. Dans cet espace de signation, le locuteur représente le discours en positionnant les sujets de façon à pouvoir créer des interactions en utilisant l’espace de façon pertinente entre ces entités dans l’intention de créer du sens. Utiliser l’espace de façon pertinente implique que le locuteur soit en mesure de faire cohabiter des éléments standards de la LS avec des notions visuelles communément partagées (Dieu est en haut et les hommes en bas), des éléments relevant de la CNV ainsi que les règles de temporalité liées à la langue. Nous noterons ici une remarque qui peut paraitre anecdotique mais qui met bien en lumière l’importance de l’appropriation de l’espace de signation : si la notion de passé est en général derrière le dos du locuteur et que le futur est devant lui, l’ILS peut à tout moment décider de placer sa ligne de temps horizontalement face à lui en décidant que tout ce qui est à gauche d’un certain point est du passé et tout se qui se situera à droite sera l’avenir (Cuxac, 2000 :164). L’espace de signation est donc un espace en perpétuel mouvement et le locuteur y détermine au fur et à mesure du discours les emplacements qu’il estime être les plus justes.

L’espace de signation en tant que tel apparaît peut-être comme une notion relativement évidente, mais il est à noter que son analyse en situation d’interprétation n’a jamais été explorée. On trouve ça et là dans la littérature traductologique les mots espace, space, sign space, espace de signation, etc., sans que jamais cette notion ne soit réellement définie et approfondie dans sa relation à l’interprète. La totalité des études étant d’approche linguistique, elles se sont surtout penchées sur des corpus de locuteurs sourds (en situation

dialogique ou de narration) et sur l’analyse de la subdivision de l’espace en différents sous-espaces appelés loci, c'est-à-dire des « portions d’espace auquel il est attaché une valeur référentielle de façon ponctuelle » (Bras, Millet et Risler ; 2004) dans l’intention d’en déterminer la valeur linguistique du procédé opératoire.

Millet (2006 : 98) décrit l’espace comme une notion polysémique et polyfonctionnelle. Sans pour autant vouloir donner une définition générale de l’espace «qui sans doute n’a de réelle définition qu’en termes mathématiques. À ce niveau très général, on se contentera d’une approximation intuitive, telle que chacun peut l’appréhender», l’auteure propose l’énumération suivante :

- Espace réel, espace de signation: espaces fonctionnellement différents même s’ils sont identiques au plan physique. Le premier est l’espace dans lequel le locuteur se trouve, tandis que le second est linguistique

- Espace neutre: à une dizaine de centimètres du locuteur à hauteur de taille. Espace qui permettrait de n’assigner aucune fonction à un élément lexical ainsi posé.

-Espaces pré-sémantisés: en situation dialogique, le signeur disposerait en plus de son propre corps de cinq espaces pré-sémantisés répartis autour de lui dans son espace de signation qui (lui) permettent d’assigner aux éléments linguistiques une fonction sémantico-syntaxique: le locutif, le délocutif animé, le délocutif inanimé, le délocutif indéfini et le locatif. Ces espaces sont situés dans l’espace de signation. Nous reprenons dans les définitions qui suivent celles de Millet (2006 : 99) :

Le locutif : espace sur le buste du signeur, qui permet d’assigner les fonctions d’agent ou patient/bénéficiaire pour une première personne. (…) Espace dévolu à un animé.

Le délocutif animé : espaces à droite et à gauche du signeur à hauteur de taille, qui permettent d’assigner des fonctions d’agent ou de patient/bénéficiaire pour une troisième personne et exclusivement animée.

Le délocutif inanimé : espace devant le signeur, déployé au-delà de l’espace neutre, à une quarantaine de centimètres de la taille, permettant d’assigner la fonction de but à une troisième personne inanimée.

Le délocutif indéfini : espaces à droite et à gauche du signeur à hauteur de tempes, qui permettent d’assigner des fonctions d’agent pour une troisième personne indéfinie (on).

Le locatif : espaces situés à gauche et à droite du signeur à hauteur d’épaule (entre les espaces délocutif animé et indéfini) et destiné à recevoir les termes locatifs du schéma actanciel. (…) C’est ainsi que s’expliquent les différentes valeurs lexicales assignées à un signe selon son emplacement. Millet (2006 : 99) ajoute : «le lexique de la LSF est en effet sous-spécifié dans bien des cas. Les bases verbo-nominales et animo-locatives sont nombreuses.» Pour ce faire et en expliquer le fonctionnement, l’auteur prend l’exemple du signe [balai] qui, selon son emplacement et sa forme d’exécution, renvoie soit au verbe « balayer » soit à l’objet tout simplement.

En 2004, Bras, Millet et Risler avaient également présenté une organisation spatiale des signants. Les auteurs identifient pour l’espace relationnel ou espace de signation les six

« espaces » suivants :

1.Espace dialogique, ouespace d’énonciation: espace du réel où se passe l’énonciation.

2. Espace présémantisé de distribution actancielle d’après les travaux de Klima et Bellugi (1979), certains espaces semblent être prédisposés à accueillir une catégorie de sémantisation (centre : neutre ; haut et côtés : agent indéfini ; côtés : agent/patient ; etc.)

3.Espaces topographiques (Vercaigne-Menard et Pinsonneault, 1994), créés par le recours à des spécificateurs de taille ou de forme. Nous ne voulons pas entrer dans les débats entre

« classificateurs » et « proformes manuels » qui animent la communauté des linguistes et sur lesquels nous n’avons pas nécessité de nous attarder pour ce qui concerne notre analyse de l’espace d’un point de vue traductologique.

4. Espace corporel 5. Lignes de temps

6. Espace des loci digitaux (énumérations) Les auteurs ajoutent :

«il est à noter que certains espaces peuvent se combiner, se superposer, comme l’espace dialogique et l’espace pré-sémantisé des relations actancielles (…), tandis

que d’autres espaces semblent incompatibles entre eux comme l’espace des loci digitaux et les espaces topographiques. » (Bras, Millet et Risler, 2004 : 63)