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Chapitre 5 - Présentation du corpus et des données recueillies

5.1. Présentation de notre démarche

5.1.1. Corpus Principal, corpus 1 à 6

5.1.1.7. Précautions de lecture du corpus

Nous pouvons reprendre les précautions de lecture avancées par C. Roy (2000-b : 69) et les transposer à notre transcription puisque nous estimons qu’elles restent valables d’une langue des signes nationale à une autre :

« Because ASL is not a written language and because grammatical relationships can be marked on by the face, hands, and through movement and space, ASL is represented by glosses which are literal English representations of some part of the corresponding ASL lexical item. Therefore the meaning represented here is always somewhat skewed or simplified. »118

Nous voulons signaler également que les étudiants suivant ce cours de M2 Recherche en traductologie sont majoritairement étrangers, ce qui peut parfois expliquer certaines fautes de syntaxe et de français que nous avons choisi de garder telles quelles dans la mesure où elles ont eu une certaine influence sur l’interprétation.

5.1.1.8. Résultats

Concernant les contraintes d’espace :

Avant même d’analyser l’espace de signation de l’interprète, nous avons observé dans notre corpus l’importance de la délimitation de l’espace de travail, c'est-à-dire de l’espace dans lequel évoluera l’interprète physiquement pour mener à bien son intervention. Cet espace est déterminant pour la bonne continuation de l’interprétation. Comme nous l’avons remarqué en analysant le corpus 4, lorsqu’une zone d’espace de travail est négociée, elle n’est pas pour autant fixe. Cette zone est amenée à se déplacer selon les évènements qui se produisent dans la salle, ou bien lorsque l’orateur décide d’utiliser d’autres éléments présents dans l’espace (un paper board, un évènement extérieur que l’on entend). En effet, nous avons relevé des déplacements physiques des interprètes (nous renvoyons le lecteur à la section 5.2.2.2), des tentatives de déplacement, des regards appuyés vers des supports visuels présents dans la salle dont certains étaient hors de portée de l’interprète. L’ensemble de ces évènements ont entravé la concentration des interprètes, et ont généré des omissions de plusieurs segments consécutifs du discours original, comme nous l’avons relevé dans le corpus 4.

118Traduction : « L’ASL n’ayant pas d’écrit, les formes grammaticales prennent forme par le visage, les mains, le mouvement ou l’espace, l’ASL est représentée par des gloses qui ne rendent compte que d’une partie transcodée du référent en LS. C’est la raison pour laquelle ce qui est écrit n’est qu’une vision tronquée ou simplifiée du sens général en ASL. »

Nous avons travaillé la notiond’espace d’énonciationde l’interprète (voir section 5.2.1.1.3.) qui se compose, en situation d’interprétation, de l’espace de travail et de l’espace contextuel.

L’espace de travail est un espace qui se compose de l’espace de signation de l’ILS mais aussi de ce que nous avons nommé «espace de désignation», qui est l’ensemble des éléments présents dans le lieu où se déroule l’évènement et qui peuvent, à un moment donné de l’interprétation prendre une valeur sémantique par le déictique (l’interprète pointe un mot, un schéma ou désigne une personne présente dans la salle). Tout changement de cette zone ergonomiquement accessible par l’ILS et négociée dans l’espace commun provoque une perturbation dans le déroulement de l’interprétation comme nous l’avons remarqué dans les corpus 3 et 4. En effet, l’interprétation se déroulait dans une certaine zone de travail et fût soudainement modifiée lorsque l’orateur a fait une démonstration sur un paper board. Le temps que l’ILS ne comprenne l’importance de cette démonstration et prenne en conséquence la décision de se déplacer a monopolisé toute son attention, ce qui a largement contribué à une dégradation significative en termes d’informations transmises par l’ILS vis-à-vis du discours.

C’est pourquoi il nous semble pertinent d’intégrer la gestion de l’espace physique comme une donnée constitutive de ce que nous nommons les contraintes d’espace. Elle est déterminante et fait entièrement partie des Efforts qui incombent à l’interprète en langue des signes.

Les contraintes liées àl’espace contextuel:

Nous avons relevé une forte présence de ce que nous avons nommé «indications contextuelles» dans la production des ILS de notre corpus. Ces indications sont propres à l’interprétation en langue des signes et sont susceptibles d’être représentatives d’une contrainte supplémentaire lors de la phase de production, et qui est rare entre langues vocales.

Nous avons relevé 70 occurrences d’indication de changement de locuteur. Ces occurrences ont eu un impact sur la production des interprètes, surtout les interactions courtes puisque dans un tiers des cas, les ILS faisaient face à ces évènements en utilisant massivement entre autres la tactique de l’omission. Ici, nous qualifions l’omission de tactique dans la mesure où l’ILS ne signale pas dans sa production le changement de locuteur, mais intègre les interventions des étudiants dans le flux du discours principal, voire dans le segment suivant (voir section 5.3.1.1.).

Nous avons également observé 27 occurrences d’indication d’évènement dans la salle, 12 précisions quant au caractère humoristique du discours, 7 occurrences d’informations données sur l’orateur, 7 interactions directes avec l’ILS, et 4 occurrences où l’ILS est en situation bimodale (signe et parle en même temps).

L’ensemble de ces contraintes nous laissent à penser que l’interprète ne prend pas uniquement en charge les éléments linguistiques puisqu’il gère effectivement l’ensemble des évènements qui permettent l’intégration de la personne sourde dans l’évènement. Nous rejoignons ici la littérature anglo-saxonne qui place l’interprète en vecteur de la communication (Wadensjö, 1998 ; Metzger, 1999 et Roy, 2000-b entre autres) puisque son apport va bien au-delà de la simple information translinguistique.

La mémoire de la spatialisation:

Nous avons voulu affiner la notion de la mémoire spatiale et l’analyser au regard des contraintes des ILS. Pour ce faire, nous avons analysé et comptabilisé le nombre d’erreurs de pointage dans l’espace de signation des productions des interprètes. Nous voulions ainsi comprendre si leur fréquence d’occurrence était liée au nombre d’entités positionnées dans l’espace de signation. Nous avons relevé 12 erreurs de pointage sur l’ensemble des six corpus.

La totalité de ces erreurs sont survenues pendant les premières minutes des interprétations et sur des éléments de discours qui ne présentaient que deux entités à placer. Ce n’est donc pas la multiplicité des items qui surcharge la mémoire de la spatialisation de l’interprète, mais le caractère binaire ou opposable de ces items (voir figure 9 dans le paragraphe 5.2.3.1 p. 198).

Concernant l’analyse des tactiques des ILS :

Nous avons ensuite observé les décisions traductionnelles des ILS en analysant plus particulièrement leurs tactiques, notamment celle de la scénarisation. Nous avons relevé 82 occurrences de scénarisations. Nous avons ensuite défini deux sortes de scénarisations : une scénarisation induite par le discours(57 occurrences) etune scénarisation de composition (25 occurrences), plus particulièrement utile lors d’occurrence de vides lexicaux.

La scénarisation induite répond aux règles discursives de la langue des signes puisqu’elle s’appuie sur l’utilisation de transferts personnels pour mettre en scène un évènement présent dans le discours. Dans la majorité des cas, la scénarisation induite apparaît dans la production

de l’interprète suite à des éléments déclencheurs que nous avons identifiés : notion relative à un évènement antérieur, introduite par des pronoms ou des éléments de discours explicatifs (voir figure 14 p. 245). Nous avons également relevé pour cette tactique un taux d’omission de détails ne portant pas préjudice à la compréhension de 29 % (voir figure 13 p. 239).

Les scénarisations de composition que nous avons analysées sont dans 56 % des cas plus longues que le segment original (voir figure 12 p. 238). Lors d’une analyse plus poussée nous avons observé que dans 52 % des cas elle ne satisfaisait pas au regard du segment original (voir figures 12 p. 238 et 13 p. 239 où nous avons relevé le nombre d’omissions, d’approximations et d’erreurs de chaque scénarisation de composition). Nous avons également relevé que dans 48% des cas, il y avait une omission dans le segment qui suivait les scénarisations de composition, ce qui donne à penser, dans la logique du Modèle d’Efforts, que ces scénarisations étaient fort consommatrices en ressources attentionnelles. Nous avons considéré que la création d’entités de scénarisation ne se faisait pas aussi aisément et nécessitait une étape supplémentairelors de la phase de production pour permettre à l’ILS de définir les entités de scénarisation pertinentes à mettre en scène dans son espace de signation. Nous avons appelé cette étape création d’entités de scénarisation (voir figure 15 p. 247). Nous analyserons plus en détail dans cette recherche l’impact de la scénarisation sur le processus cognitif de l’interprétation.

Le recours à la scénarisation est économique et ergonomique lorsqu’elle est correctement menée à terme. Pourtant, les autres difficultés de la scénarisation que nous avons observées relèvent de la conscience de l’apport personnelde l’interprète lors de la décision de ce que qu’il « donnera à voir ». Nous interrogeons ici la notion de fidélité au message telle qu’elle est communément envisagée et estimons que son acception en interprétation en langue des signes est beaucoup plus souple qu’en interprétation entre langues vocales.

Nous avons ensuite analysé plus en détail le comportement des ILS face au vide lexical en analysant leurs tactiques de prise en charge d’éléments du discours n’ayant pas de correspondances lexicales avérées en LSF. Nous avons relevé que la labialisation était une tactique présente dans 31,7 % des occurrences et était systématiquement utilisée en ajout d’une autre tactique, l’emprunt apparaît la seconde tactique à 19% des occurrences, la scénarisation à 11,5% des occurrences et la dactylologie à 7,6 %.

Nous avons décliné et analysé la notion de l’emprunt en interprétation en LS. En premier vient l’approximation conceptuelle qui se décline en deux tendances : la radicalisation (ex traductologie qui est traduit par le signe [traduire] et labialisé « LOGIE » (exemple au corpus 5). En second vient l’emprunt à charge sémantique ajoutéeque nous expliquerons avec l’analyse de « validation écologique » (au paragraphe 5.5.1.2.2.2, p. 278).

Nous avons ensuite procédé à une étude comparative des occurrences d’omission avec les résultats présentés par les travaux de Napier (2000). Selon nos résultats, le taux d’omission que nous avons observé est de 4 pour 10 minutes de discours, contre 17 omissions pour le même temps dans l’étude australienne de Napier. Dans notre corpus, l’ensemble des omissions étaient à 79 % associées à un vide lexical avéré en LSF.

Enfin, et contre toute attente, nous avons relevé que l’utilisation de la dactylologie était à 50%

des occurrences en référence aux noms propres, mais également pour faire état du vocabulaire français utilisé dans le discours.

Nous avons pu observer que la dactylologie est largement chronophage et consommatrice en ressources attentionnelles en situation d’interprétation, de surcroit lorsqu’elle est utilisée en deuxième tactique suite à une scénarisation ou un emprunt. Nous avons relevé un taux d’omission des segments suivant l’utilisation de la dactylologie qui s’élève à 60%.

Nous avons expliqué plus haut notre choix d’utiliser plusieurs sources de données pour répondre au mieux à nos besoins de recherche. Les données recueillies avec le corpus principal nous permettent de dégager les premières tendances lors de notre observation de l’exercice de l’interprétation. Les corpus 7 (étude de cas naturaliste), et 8 (interprètes chevronnés) nous aident à mettre en perspective les éléments observés et à comprendre leurs incidences sur le processus interprétatif en tant qu’éléments pertinents ou constitutifs ou non de l’exercice.

5.1.2. Corpus 7